Le 6 mars 2025, au lendemain d’une allocution télévisée d’Emmanuel Macron marquée par un ton dramatique sur la menace russe et les défis d’un monde en pleine mutation, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, était l’invité de France Inter. Face à Léa Salamé et ses co-intervieweurs, il a livré une analyse sans détour des enjeux sécuritaires qui secouent l’Europe, appelant à un sursaut collectif face à une Russie agressive et à un désengagement américain préoccupant.
Une menace russe persistante et un choc américain
Interrogé sur les répercussions de la réélection de Donald Trump et de son apparent désintérêt pour la sécurité européenne, Sébastien Lecornu n’a pas mâché ses mots : «Le choc vient du fait que tout cela n’est pas très prévisible et n’apparaît pas comme étant toujours rationnel.» Il a souligné que ce virage isolationniste des États-Unis n’est pas une surprise totale, citant une phrase attribuée au général de Gaulle : «Jamais les Américains ne prendront de risques vitaux pour autre chose que pour eux-mêmes.” Pour le ministre, ce repli américain, accentué par la suspension récente de l’aide militaire et du renseignement à l’Ukraine, marque un tournant stratégique majeur. “Il n’y a plus la réassurance américaine», a-t-il constaté, plaidant pour une Europe qui prenne davantage son destin en main.
Sur la menace russe, le ministre a été catégorique : «La Russie est une menace, oui, un pays qui s’est habitué à sa survie politique par de l’agressivité extérieure.» Il a évoqué les partenariats inquiétants de Moscou avec Téhéran et la Corée du Nord, ainsi que la militarisation de son économie, comme autant de signaux alarmants. «On ne peut plus dépendre du locataire de la Maison Blanche», a-t-il insisté, appelant les capitales européennes à un «réveil difficile» face à cette nouvelle donne.
Une Europe à la croisée des chemins
L’intervention de Lecornu intervient dans un contexte où Emmanuel Macron, dans son discours du 5 mars, a exhorté les Français et les Européens à ne pas rester «spectateurs» face à «un monde de danger». Le ministre des Armées a repris cette idée, soulignant l’urgence d’une autonomie stratégique européenne. «Le désintérêt pour l’Europe et le pivot vers le Pacifique sont anciens», a-t-il rappelé, pointant du doigt un agenda de «faiblesse occidentale» qui profite aux compétiteurs comme la Russie, l’Iran ou la Corée du Nord.
Face aux craintes d’une escalade vers une «troisième guerre mondiale» exprimées par certains auditeurs, Lecornu a appelé au calme : «Il faut rester calme et confiant. Passer de l’insouciance à la fébrilité serait une erreur.» Il a toutefois reconnu que la suspension de l’aide américaine à l’Ukraine, qualifiée de “trahison” par l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, aura des effets opérationnels et moraux significatifs, bien que temporisés par l’inertie logistique et les stocks ukrainiens.
Réarmement et effort budgétaire : un impératif national
Pour répondre à ces défis, Sébastien Lecornu a défendu l’accélération de l’effort de défense français, en écho aux annonces de Macron de porter le budget des armées à 3-3,5 % du PIB, contre 2,1 % actuellement. «On est à 50,5 milliards d’euros par an aujourd’hui, l’objectif pour 2030 était de 68 milliards, mais il faudrait atteindre 90 milliards pour une armée en pleine capacité», a-t-il estimé, tout en précisant que ces chiffres nécessitent encore des ajustements. Il a détaillé les besoins concrets : trois frégates supplémentaires pour la Marine nationale, une vingtaine de Rafales pour l’aviation, et un renforcement des capacités de frappe dans la profondeur et de guerre électronique.
Comment financer cet effort sans augmenter les impôts, comme promis par Macron ? Lecornu a esquissé des pistes : recentrer l’État sur ses missions régaliennes, mutualiser les ressources au niveau européen, et mobiliser l’épargne des Français via des investissements patriotiques. «C’est de l’industrie française, de la création de richesses sur le territoire», a-t-il argumenté, évoquant des placements à long terme pour des projets comme un porte-avions.
Dissuasion nucléaire et réserves : la France en première ligne
Sur la question du parapluie nucléaire français, Lecornu a clarifié la position de Macron : «Elle reste française, il n’y a pas de partage.» Toutefois, il a reconnu que la dissuasion française contribue à la sécurité collective européenne, un débat relancé par le désengagement américain. «Nous sommes, après les États-Unis, l’armée la plus crédible dans l’OTAN en Europe», a-t-il affirmé, défendant un arsenal nucléaire suffisant et modernisé.
Enfin, le ministre a insisté sur le renforcement des réserves opérationnelles, ouvertes jusqu’à 70 ans, comme une réponse aux multiples sollicitations des armées, du territoire national aux opérations extérieures. «On n’a pas assez de réservistes encore aujourd’hui», a-t-il déploré, appelant les Français à s’engager.
Un point d’interrogation qui s’estompe ?
Auteur du livre Vers la guerre ?, paru en octobre 2024, Sébastien Lecornu a été interrogé sur ce point d’interrogation. «On n’est plus en paix, c’est certain, mais si nous sommes forts, nous saurons dissuader ceux qui veulent s’en prendre à nos intérêts», a-t-il répondu, refusant toutefois de retirer ce symbole d’incertitude. Pour lui, la France et l’Europe ont encore une carte à jouer pour éviter le pire, à condition d’agir vite et ensemble.