Note de Synthèse : Après la chute d’al-Assad, l’Algérie, république sœur de la Syrie, face à un isolement inédit et une fragilité stratégique

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La genèse commune entre l'Algérie et la Syrie s'inscrit dans un cadre idéologique, militaire et stratégique forgé par le panarabisme, le soutien de l'URSS et les luttes anti-impérialistes portées par la gauche française. Les deux pays ont évolué comme des «républiques-sœurs»partageant la même doctrine militaire, la même défiance envers les Frères musulmans et les mêmes mécanismes autoritaires de contrôle interne. Ce lien s’est encore renforcé lors des soulèvements arabes de 2011, alors que les deux régimes se sont repliés sur le dogme de la stabilité sécuritaire face aux pressions des populations.

Cette alliance, qui se voulait «résistante» et qui a tourné en corrompue et en dictature, a toutefois des conséquences négatives pour le régime militaire algérien, qui se trouve aujourd'hui isolé diplomatiquement et sous pression interne. L’Algérie, désormais seul pays aux côtés de l'Iran de cet axe de la résistance en ruine, doit faire face à des parallèles inquiétants avec le régime syrien. Le risque de voir le Hirak relancer la contestation interne et pousser vers un changement de régime est plus élevé que jamais.


1. Contexte historique des relations Algérie-Syrie

Depuis le début du conflit syrien en 2011, l'Algérie a maintenu une position singulière, refusant de suivre la ligne de la Ligue arabe et du Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui avait exclu la Syrie. Cette posture a été marquée par la neutralité proclamée par l'Algérie et son supposé «refus du principe d'ingérence» dans les affaires intérieures des États. Un pseudo-principe de non-ingérence qui vole en éclats face à l'ingérence manifeste de l'Algérie dans les affaires du Maroc et de plusieurs pays d'Afrique subsaharienne. Par ailleurs et contrairement à de nombreux pays arabes, l’Algérie n’a jamais rompu ses liens diplomatiques avec le régime de Bachar al-Assad.

Les motivations de cette position reposaient sur :

  • La crainte de l'effet de contagion des révolutions arabes, notamment en raison du mouvement Hirak en Algérie.
  • Le refus de soutenir les forces islamistes (comme le Front Al-Nosra ou d'autres groupes jihadistes) opérant en Syrie, perçues comme une menace pour la sécurité intérieure algérienne.
  • Le maintien de l’équilibre diplomatique entre les puissances régionales, notamment l’Iran, la Russie et les monarchies du Golfe.

2. Principales positions de l’Algérie sur la crise syrienne

2.1. Soutien diplomatique et stratégique

  • Soutien à Bachar al-Assad : L’Algérie a soutenu le maintien d’Assad au pouvoir, s’opposant à sa destitution en tant que préalable à toute solution de paix.
  • Soutien au "retour" de la Syrie dans la Ligue arabe : L'Algérie a fait pression pour la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe, organisant même des visites de haut niveau et des rencontres bilatérales.
  • Quête à des alliances régionales : L'Algérie a coordonné ses positions avec la Russie, l'Iran et certains États du Golfe, tels que les Émirats arabes unis et Bahreïn, qui se sont également rapprochés de la Syrie. Cette coordination a permis de créer un front diplomatique favorable à Assad, renforçant la légitimité du régime syrien et facilitant sa réinsertion dans les cercles arabes.
  • Vote au Conseil des droits de l'homme de l'ONU : L’Algérie a voté à 9 reprises en faveur du régime syrien, suscitant des critiques d’ONG comme la Syrian Network for Human Rights (SNHR), qui ont dénoncé l’alignement algérien avec des puissances autocratiques (Russie, Chine, Cuba, Venezuela).

2.2. Actions humanitaires

L'Algérie a maintenu l'envoi d'aide humanitaire au régime syrien durant et après la guerre civile.

En février 2023, suite au séisme qui a frappé la Syrie et la Turquie, l'Algérie a été l'un des premiers pays à répondre à l'appel à l'aide de la Syrie. Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a exprimé ses condoléances à son homologue syrien et a assuré du soutien de l'Algérie.

L'Algérie a envoyé 210 tonnes d'aide humanitaire urgente, comprenant des médicaments et de la nourriture, ainsi que des équipes de protection civile spécialisées pour participer aux opérations de secours et de sauvetage. De plus, l'Algérie a fait un don de 15 millions de dollars à la Syrie pour soutenir les efforts de reconstruction et d'aide aux victimes du séisme.

3. Relations bilatérales et initiatives diplomatiques

3.1. Échange de visites de haut niveau

  • Renforcement des liens diplomatiques par des visites bilatérales de ministres des Affaires étrangères. Par exemple, la visite de Faisal Mikdad, ministre syrien des Affaires étrangères, en Algérie, en avril 2023 a été saluée comme un geste de solidarité.
  • Appels téléphoniques entre Assad et Tebboune pour renforcer les relations bilatérales, évoquant des programmes de travail communs et des échanges de visites présidentielles.

3.2. Rôle de l'Algérie en tant que «médiateur»

  • Médiation entre la Turquie et la Syrie : Selon le journal El Watan, l'Algérie aurait tenté de créer un canal de dialogue secret entre la Syrie et la Turquie pour atténuer la tension autour de la question kurde et les conflits frontaliers.
  • Tentation de jouer le rôle de facilitateur régional à travers des initiatives diplomatiques discrètes, visant à renforcer sa position d'acteur central en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

4. Enjeux géopolitiques et implications pour l'Algérie

4.1. Isolement diplomatique croissant

  • Derniers pays de l'axe de la "résistance" : Après la chute de Bachar al-Assad, l'affaiblissement du Hezbollah au Liban et le déclin de l’influence du Hamas, l’Algérie et l'Iran se retrouvent comme les derniers soutiens des régimes dits de la «résistance» face aux puissances occidentales et aux monarchies du Golfe.
  • Perte de crédibilité internationale : Les votes algériens en faveur du régime syrien au Conseil des droits de l’homme (notamment après l’usage d'armes chimiques par le régime syrien) ont entaché l'image de l'Algérie auprès des puissances occidentales et des défenseurs des droits humains.

4.2. Affaiblissement des alliances régionales

  • Avant même la chute du régime d'al-Assad, la normalisation des relations entre la Syrie et plusieurs États arabes (Jordanie, Bahreïn, Émirats arabes unis et Arabie saoudite) a retiré le tapis sous les pieds de l'Algérie, la privant de son rôle de principal défenseur du régime syrien.
  • Alors que l'Algérie s'enferme dans une posture de soutien aux régimes déchus et de repli idéologique, le Maroc, lui, s'affirme sur la scène internationale par une série de victoires diplomatiques éclatantes. La reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara a marqué un tournant stratégique majeur, suivie par le soutien de plusieurs pays africains, arabes et européens. Le Maroc a consolidé sa position de hub économique et diplomatique vers l'Afrique et renforcé son influence au sein d'organisations régionales comme l'Union africaine. Ce dynamisme contraste avec la politique étrangère algérienne, perçue comme figée et isolée. En conséquence, l'isolement de l'Algérie s'accentue, réduisant sa marge de manœuvre diplomatique, alors que le Maroc s'impose comme un acteur incontournable de la région atlantique et du continent africain.
  • La posture d'isolement stratégique pourrait affecter sa capacité à influencer les décisions entre autres au sein de la Ligue arabe, réduisant son rôle rêvé de «pays pivot».

5. Conséquences internes pour l'Algérie

5.1. Fragilisation politique et sociale

  • Perte de légitimité interne du régime militaire : Le régime militaire algérien, accusé de réprimer les libertés publiques, pourrait être comparé au régime syrien déchu. La chute d’Assad pourrait donner un élan au mouvement Hirak, qui milite depuis 2019 pour un changement de régime en Algérie.
  • Montée du mécontentement populaire : La contestation sociale grandissante, les pressions économiques internes et la perception d'un régime de plus en plus isolé à l'international pourraient renforcer les revendications populaires.

5.2. Risques sécuritaires accrus

  • Le vide laissé par la chute d'Assad pourrait réactiver les réseaux jihadistes au Maghreb et au Sahel.
  • Radicalisation des mouvements internes : L'influence des groupes salafistes surveillés par les services de sécurité algériens pourrait être exacerbée si la situation économique et sociale de l'Algérie se détériore.

6. Perspectives et scénarios possibles

6.1. Chute du régime militaire algérien ?

  • Avec l'affaiblissement du régime d'Assad, l'Algérie perd un allié symbolique et idéologique. L'isolement diplomatique qui en résulte, combiné au mécontentement interne, pourrait fragiliser la position du régime militaire.
  • Si le Hirak parvient à mobiliser à nouveau, la situation interne de l'Algérie pourrait connaître un tournant similaire à celui observé en Tunisie ou au Soudan, avec un risque de chute du régime militaire.

6.2. Isolement stratégique

  • En perdant son «partenaire idéologique» syrien, l’Algérie se retrouve sans soutien au sein de l’axe de la résistance. Le Hezbollah, affaibli au Liban, le Hamas, désormais décimé et l'Iran au bord de l'implosion, n’ont plus la même influence qu’auparavant.
  • En outre, la nouvelle guerre d’influence entre le Maroc et l’Algérie pourrait voir le Maroc profiter de l'isolement diplomatique algérien pour renforcer son propre rôle au sein de la Ligue arabe, de l'Union africaine et des Nations-Unies.

Références :

  1. Source : Aspen Institute Italia | Titre : The Syrian crisis viewed from Algeria
  2. Source : Middle East Monitor | Titre :Algeria reaffirms support for Syria in fight against rebels
  3. Source : AL24 News | Titre : Algeria reaffirms support for Syria in fight against rebels
  4. Source : Anadolu Agency | Titre : Syria’s Assad thanks Algeria for Arab League readmission
  5. Source : National Assembly of Pakistan | Titre : Ambassadors Of Syria And Algeria Call On NA Speaker
  6. Source : Syrian Network for Human Rights (SNHR) | Titre : Condemning Algeria’s Attempts to Perpetuate the Syrian Regime’s Impunity
  7. Source : The National | Titre : Algeria supports Syria's return to Arab League
  8. Source : Foundation for Defense of Democracies | Titre : Algeria Leads Campaign to Rehabilitate Assad Regime
  9. Source : Associated Press (AP) | Titre : Syria’s FM to Algeria, Tunisia to revive diplomatic ties
  10. Source : Kuwait News Agency (KUNA) | Titre : Algeria sends 40 tons of humanitarian aid to Syria
  11. Source : El Watan | Titre : The Algerian Connection: Will Turkey Change Its Syria Policy?
  12. Source : Carnegie Endowment for International Peace | Titre : Algerian Foreign Policy in the Context of the Arab Spring
  13. Source : ISPI | Titre : Algeria’s Balancing Act between Historical Partnership with Russia and Independence

Nawfal Laarabi

Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist
20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

3 Comments Leave a Reply

  1. L’Algérie isolée diplomatiquement ? C’est de l’humour !! Elle est membre non permanent au conseil de sécurité de l’ONU pour 2 ans (sa candidature a été approuvée à unanimité) Lors du G20 en Italie elle à été invité par la première ministre italienne … L’Algérie vient de recevoir en visite d’état le président Sud Africain et elle sera invitée lors du G20 de 2025. Elle est membre de la banque des BRICS et membre partenaire des BRICS.
    Au niveau continentale elle est membre avec 9 pays africain de la zone de libre échange africaine.Elle à réussi a ce que le Niger ne soit pas bombardé par la France,par ses actions diplomatique. Certes je reconnais une brouille avec le Mali ( qui a été mal conseillé) Si vous pensez qu’elle est isolée avec la France, je veux bien et le reconnais mais le monde ne se résume pas à la relation avec la France.
    En matière économique, ne vous inquiétez pas on ne manque pas de banane ni de laits comme l’affirme votre représentant aux nations unies OMAR HILLAL. Si j’étais vous je balaierai devant ma porte. A cause du MAKZEN, votre pays à un taux d’endettement astronomique, la valeur ajoutée des agents économique marocain profite aux « investisseurs occidentaux », la population marocaine est contre à 90% de la normalisation avec Israël etc… si vous êtes vraiment de bonne foi, négocier une bonne foi pour toute avec les autorités algérienne des contentieux en cours et ceci de manière sérieuse et discrète et arrêter ce genre de provocation stérile . Ne le faites pas pour vous, mais pour les générations futures. J’ai pas envie que nos petits enfants nous maudissent parce que nous avons jouer à la « gué-guerre » pour faire plaisir à des intérêts et des agents qui se réjouissent de nos oppositions artificielles.

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