Ne pouvant suivre le rythme très lent et anormalement bureaucratique du département des Affaires étrangères, ni l’incompréhensible léthargie de Nasser Bourita sur ce dossier pourtant stratégique pour le royaume, le chef du gouvernement a décidé de prendre le taureau par les cornes et donner carte blanche à son ministre du Commerce et de l’Industrie, Moulay Hafid Elalamy, en vue de piloter le volet économique du processus d’adhésion du Maroc à la CEDEAO. Pour ce faire, MHE a cédé la mission, dans le cadre d’un marché négocié, à un Think-Tank international comme lobbyiste attitré de cette opération d’envergure.
Le Maroc ne pouvait plus attendre. Ses intérêts non plus. Hésitant et incapable de trancher, le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Nasser Bourita, a fait perdre trop de temps au royaume. Profitant de l’accession à la présidence de la CEDEAO d’un ami du Maroc, en l’occurrence le président du Nigeria Muhammadu Buhari, Rabat a décidé de donner un coup de fouet à son agenda d’adhésion à ce groupement africain sous-régional, en confiant à un Think-Tank international la mission de lobbyiste du département de Moulay Hafid Elalamy en charge de tout le volet économique du processus d’adhésion.
Intitulée «Élaboration et formulation d’une stratégie opérationnelle visant à optimiser sur le plan commercial et économique l’entrée du Royaume du Maroc dans la CEDEAO» la mission qui durera huit mois devra tout d’abord soumettre une note stratégique pour expliciter le contexte, les enjeux et les grandes lignes de la négociation, avant de devoir analyser la compatibilité des ALE signés précédemment par le Maroc avec le processus d’adhésion, notamment en ce qui concerne les processus d’intégration antérieurs et la politique commerciale et les stratégies sectorielles du Maroc.
Pour cela, le Think-Tank sur lequel MHE a jeté son dévolu aidera à la compréhension des processus d’intégration de grands blocs régionaux, à l’identification des démarches adoptées par ces groupements pour réussir l’intégration régionale et, enfin, à l’identification des mécanismes d’accompagnement des processus d’adhésion similaires.
Le ministre de l’Economie et des Finances -en tant qu’ordonnateur des dépenses publiques ayant été congédié récemment-, son intérimaire Amara ne peut apposer son approbation pour une telle opération. Le temps pressant, la saison estivale battant son plein et vu l’urgence et la sensibilité de la mission, c’est Saadeddine El Othmani en personne qui s’est engagé à signer l’ordre de mission de ce marché négocié d’une valeur de 7 millions de dirhams.
Nous disions dans une précédente édition que c’est Guépard Consulting Group qui avait décroché cette mission. Or, la société de son propriétaire Abdelmalek Alaoui, était plutôt en lice, sous le mandat de Meriem Bensalah à la CGEM, d’une mission similaire en faveur du patronat marocain. L’opération n’a pas abouti à cause du veto du ministre délégué aux affaires africaines, Mohcine Jazouli.
Demeurent cependant quelques questions légitimes en suspens : 1) Quel rôle aura à jouer Mohcine Jazouli dans ce nouveau dispositif ? Sera-t-il intégré dans la réflexion stratégique ou bien aura-t-il juste à déployer les ressources de son département comme simple exécutant ? Sachant que ces ressources sont en fait sous le contrôle de Nasser Bourita 2) La nouvelle connivence Othmani-MHE signifie-t-elle justement qu’on retire le dossier Afrique à Nasser Bourita et à Mohcine Jazouli pour le remettre à Moulay Hafid Elalamy ? S’agit-il donc d’une stratégie gouvernementale globale ou bien uniquement sectorielle ? On relève sur ce point un manque de cohérence dans l’action de l’exécutif : si MHE agit pour le seul compte de son département, il faudra s’attendre demain à ce que chaque ministère cherche à recruter son propre lobbyiste pour l’accompagner dans le processus d’adhésion. En revanche, si MHE est délégué pour le compte du gouvernement dans sa globalité, on signe alor
s la fin du rôle de Mohcine Jazouli, et on aura alors officiellement dessaisi le département des Affaires étrangères de cette mission; 3) Au fort de l’été 2017, il y a tout juste un an, le gouvernement marocain, par le biais de Mounia Boucetta, Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, faisait appel aux services de son lobbyiste de choix, Valyans Consulting, dirigé à l’époque par Mohcine Jazouli, pour une mission en gré-à-gré en Afrique. Quelques mois après, Jazouli était nommé numéro 2 des Affaires étrangères chargé...de l’Afrique.
Enfin, si l’on se réfère à la note de cadrage de la mission, il est institué un comité de pilotage pour le suivi de l’exécution du marché. Ce comité est dirigé par la directrice générale du Commerce et composé des représentants de la direction des Relations Commerciales Internationales et de la direction de la Défense et de la Réglementation commerciale. Les autres départements, dont les Affaires étrangères, n’ont qu’un rôle subsidiaire, alors que la logique aurait voulu qu’il soit au cœur de ce dispositif.