Le projet de réforme défendu par le Président Rwandais Paul Kagamé lors du XIe Sommet extraordinaire de l’Union africaine qui s’est tenu les 17 et 18 novembre à Addis-Abeba, n’est pas passé comme une lettre à la poste, vu la réticence de plusieurs Etats d’Afrique du Nord et de l’Afrique australe à céder une partie de leurs prérogatives de souveraineté. Présenté comme le sommet de la dernière chance pour faire aboutir les réformes, son bilan est en demi-teinte. Porté personnellement par Paul Kagame, qui a provoqué ce sommet auquel ont pris part 22 chefs d’Etat, le projet n’a pas été adopté en entier. Son objectif est de rendre l’UA plus indépendante et le processus de prise de décision plus rapide en donnant à l’organisation les moyens de ses ambitions grâce à l’autofinancement. Force est de constater qu’au terme de ce sommet, plusieurs Etats membres continuent de percevoir la commission de l’UA comme un simple secrétariat chargé d’exécuter les décisions des chefs d’Etats. Il n’empêche que c’est la première fois que les chefs d’Etats africains se réunissent pour parler de réformes.
La montagne a-t-elle accouché d’une souris ? Les va-et-vient incessants, les multiples concertations, le ballet diplomatique pour faire aboutir la réforme institutionnelle de l’Union africaine auraient-ils été vains ? La réponse ne peut être que nuancée. Dans son projet, Paul Kagamé a défendu l’idée d’un financement du budget de l’union (800 millions de dollars) via une taxe surnommée Kaberuka (du nom de l’ex-Président de la Banque africaine de développement, BAD) de 0,2% sur les importations. Une proposition jugée contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) par les Etats-Unis. Valeur d’aujourd’hui, l’union dépend à raison de 50% des donateurs étrangers.
Le sommet a décidé de ramener le nombre des commissions de l’exécutif de l’union à 6 contre 8 précédemment
Depuis le sommet de Kigali en juillet 2016, une équipe d'experts en économie et en questions diplomatiques planche sur la réforme. En janvier 2017, elle a présenté un rapport sur la réforme. Face à la résistance de plusieurs Etats, nombre de propositions ont été soit passées sous silence, soit rejetées. En attendant que le Président rwandais passe le témoin à Abdel Fattah Al Sissi, le Président égyptien, l’avenir de la réforme demeure hypothéqué car ce dernier milite plus pour un rôle de médiateur de l’UA. Selon Elissa Jobson, du centre d’analyse International Crisis Group (ICG), « l’inquiétude tient à ce que, même si elle ne devait pas chercher pas à revenir dessus, l’Égypte ne ferait très probablement pas la promotion de ces réformes ».
La commission de la paix et de la sécurité fusionnera avec les affaires politiques et le commerce et celle de l’industrie fusionnera avec celle des affaires économiques.
Au final, le sommet d’Addis-Abeba a abouti à l’adoption de certaines réformes internes qui vont dans le sens de la rationalisation de l’union et du respect des obligations financières des Etats membres. Lors de la cérémonie de clôture, Paul Kagame a déclaré : « Aujourd’hui, nous avons lancé la Commission de l’UA sur une trajectoire plus performante, avec des effets bénéfiques qui se feront sentir pendant des décennies ». Il a manifesté son espoir de voir son successeur « poursuive sur la même lancée et avec les mêmes progrès ».
Quelles sont donc les réformes adoptées par l’UA ?
Premièrement, le sommet a décidé de ramener le nombre des commissions de l’exécutif de l’union (La fameuse commission de l’UA) à six contre huit précédemment. Paul Kagame espérait rendre l’administration plus responsable devant le Président de l’UA en lui donnant le pouvoir de nommer ses propres adjoints et commissaires, or jusqu’à maintenant, ce sont les Etats qui les nomment. Une situation qui a abouti à la mainmise de quelques Etats sur certaines commissions comme l’Algérie avec la commission de la paix et de la sécurité. Celle-ci fusionnera avec les affaires politiques et le commerce, selon le Tchadien Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’UA, tandis que l’industrie sera fusionnée avec les affaires économiques.
Les mauvais payeurs avertis.
Nous sommes à un mois de la fin de l'année budgétaire, les contributions sont seulement à hauteur de 50%. Comment voulez-vous qu'une Commission puisse mettre en œuvre son programme annuel ? - Moussa Faki Mahamat
Deuxièmement, le sommet a décidé de sanctionner les mauvais payeurs, qui privent l’union d’un budget « soutenable et prévisible ». Selon le retard dans le paiement, un État peut être suspendu de prise de parole durant les réunions de l'UA jusqu'à l'exclusion de toute participation aux activités de l'organisation, sommets compris.
En 2019, 54% du budget de l’union qui est de 681,5 millions de dollars devrait provenir de donateurs étrangers.
Troisièmement, les Etats membres ont décidé d’activer le Fonds pour la paix destiné à répondre aux crises qui est doté de 60 millions de dollars actuellement et devrait être porté à 400 millions à terme grâce à une taxe de 0,2% sur les importations. Cependant, seuls 24 Etats implémentent cette mesure sur les 55 Etats membres.
Cérémonie de lancement du Fonds de l'UA pour la paix à Addis-Abeba. Le Président Kagame, le Président de la CUA et les Commissaires concernés ainsi que les éminents panélistes (Présidents Mbeki, Buyoya et le Dr Kaberuka), ont souligné l'importance de ce Fonds pic.twitter.com/Q8vOWLnfxk
— Chérif Mahamat Zene (@Cherif_MZ) November 18, 2018
Quatrièmement, la méthode suivie pour désigner les commissaires a été revue. Après une présélection par un panel d’éminentes personnalités africaines, les candidatures seront étudiées par un cabinet de recrutement sur la base de leurs compétences, de la rotation entre les régions et de la parité.
Cinquième mesure phare, l’UA a décidé de réintégrer les agences du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) et du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), institutions semi-indépendantes de l’UA.
Parmi les sujets qui n’ont pas été discutés ou reportés figurent la fameuse taxe Kaberuka et le nouveau barème des donateurs qui vise à limiter leur apport à 40% du budget.
Appui total du Maroc
رئيس الحكومة د. #سعدالدين_العثماني في افتتاح #القمة_الاستثنائية الحادية عشرة ل #الإتحاد_الإفريقي ب #أديس_أبابا pic.twitter.com/vTrr1FtLYv
— رئيس الحكومة -المغرب (@ChefGov_ma) November 17, 2018
Jusqu’à la fin de son mandat en 2021, le Président de ladite Commission, Moussa Faki Mahamat, devra plancher sur une nouvelle organisation des départements de l’UA. Le Maroc qui a été représenté à ce sommet par le Chef de gouvernement, Saâdeddine El Otmani et Mohcine Jazouli, ministre délégué chargé de la Coopération africaine, a apporté son soutien total et inconditionnel aux réformes prônées par le Président rwandais. « La vision de la réforme institutionnelle de l’Union africaine qui bénéficie dès le départ du soutien total du Royaume du Maroc, repose sur une approche globale du développement et sur la promotion de la paix et de la stabilité sur le continent », a affirmé le 17 novembre à Addis-Abeba, le Chef de gouvernement.
Selon El Otmani, la « véritable réforme de l’UA ne peut se limiter à la modification des structures, mais doit s’étendre aussi aux mécanismes qui assurent le choix des personnalités qui assument des fonctions de haut rang sur la base du principe de mérite et d’engagement pour les causes du continent ».