A la veille de l’attentat de Daesh contre le ministère des Affaires étrangères libyen à Tripoli, le président du conseil italien a effectué une tournée éclair pour rencontrer les dirigeants des différentes parties. L’Italie, qui cherche à écarter la France dont le président rendait visite à ses troupes dans le Tchad voisin, veut s’imposer comme seul et unique médiateur pour désamorcer les luttes de pouvoir en Libye. Pour une première visite en Libye, l’enjeu était important. Cette visite survient après la conférence de Palerme –et la rencontre cruciale avec Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est de la Libye- et la nomination de l’influent Giuseppe Buccino en tant qu’ambassadeur d’Italie à Tripoli en remplacement de Giuseppe Perrone désigné chef de la mission diplomatique italienne à Téhéran.
Daesh a encore frappé en Libye. Cette fois, c’est le siège du ministère des Affaires étrangères qui a été visé. L’attentat s’est produit en deux temps : une voiture piégée qui a explosé près du bâtiment pour faire diversion et une attaque de trois terroristes, dont deux munis de ceintures explosives et d’armes automatiques, contre le siège de la diplomatie libyenne. Cette attaque suicide a causé la mort de trois personnes et 21 blessés. Revendiquée par Daesh, cette opération a été dénoncée par plusieurs pays et divers organisations internationales. Le ministère libyen des Affaires étrangères, dans un communiqué, a salué le professionnalisme des services de sécurité qui a permis de limiter les pertes humaines. L’agence de presse turque avait fait état de la mort d’une Marocaine durant l’attaque, mais l’information a été démentie par les autorités libyennes.
Morcelé par les luttes de pouvoir et le chaos sécuritaire, la Libye a été noyautée par Daesh dès la chute du régime de en 2011. Les différentes tentatives de ramener l’ordre et la stabilité dans le pays, tant de la part de la France que de l’Italie ou de l’ONU, sont restées vaines.
Après les pourparlers de Palerme, le président du conseil italien, Giuseppe Conte, a effectué une tournée éclair en Libye. Arrivé le 23 décembre à Tripoli, Giuseppe Conte a rencontré Fayez al-Sarraj, Chef du gouvernement d’union nationale, le GNA, et a abordé avec lui les derniers développements sur la scène politique en Libye et la coopération bilatérale sur le plan économique et de sécurité.
Rome, la conciliatrice
Le même jour, Giuseppe Conte a rencontré le Maréchal Khalifa Haftar et le président du Parlement de Tobrouk, Aguila Saleh Issa. Divisée entre deux gouvernements rivaux, le GNA basé à Tripoli et le gouvernement de l’Est soutenu par le Maréchal Haftar, la Libye est scindée en plusieurs zones d’influence. Au moment où la France soutient Haftar, l’Italie appuie le GNA. La tournée éclair de Giuseppe Conte, un mois après la conférence de Palerme, reflète la préoccupation de Rome de reprendre la main sur ce dossier aux dépens de la France.
La visite de Giuseppe Conte a eu lieu concomitamment à la visite d’Emmanuel Macron au Tchad où il a passé Noël avec ses troupes basées dans ce pays voisin de la Libye. La France, qui abandonne ses ambitions de jouer un rôle de premier plan en Libye tout en gardant un œil vigilant sur cette région, a salué la coopération militaire la liant au Tchad. Le président français a promis à son homologue tchadien, Idriss Déby, le soutien financier de la France tant sur le plan sécuritaire que du développement. Il s’est également félicité de la tenue en mai 2019 d’élections législatives et municipales et a promis l’appui de la France et de l’Union européenne.
Ainsi donc, la visite de Conte en Libye marque la volonté de l’Italie de jouer un rôle de premier plan dans cette ex-colonie et un changement d’attitude chez les Italiens. Rome a cessé de prendre parti pour le GNA en défendant la voie du dialogue et de la négociation. En visitant Tripoli, Benghazi et Tobrouk, le Premier ministre italien cherche à convaincre les différentes parties à développer une vision commune pour éviter le morcellement du pays.
Ni gagnants, ni perdants
Le but tant espéré est d’aboutir à des compromis politiques qui permettront d’organiser des élections, de dégager des instances représentatives communes et de rétablir l’ordre et la sécurité. L’Italie a donc changé son fusil d’épaule et essaie d’appuyer les efforts de Ghassan Salame, envoyé spécial de l’ONU pour la Libye. Plusieurs grandes puissances sont pour l’instauration de voies de dialogue entre les parties concernées et l’Italie ne fait que suivre le mouvement. La finalité en serait une transition sans anicroches, sans perdants et sans gagnants en ménageant les susceptibilités de chaque partie. L’Accord de Skhirat, dont le Maroc était le parrain, répondait justement à ces défis et à ces contraintes.
Selon la presse italienne, Rome a été choisie par la communauté internationale pour jouer le rôle de médiateur et assurer les bons offices. Toutefois, sachant que les enjeux ne sont pas seulement politiques, mais aussi économiques (plus grandes réserves de pétrole d’Afrique avec 43 milliards de barils), la patience et le scepticisme demeurent de rigueur. Si peu d’informations ont filtré sur la tournée éclair de Giuseppe Conte en Libye, force est de constater que tant que l’embargo sur les ventes d’armes ne sera pas levé par l’ONU, ne serait-ce que partiellement, il sera difficile de rétablir l’ordre. En attendant, l’Italie doit continuer à gérer les flux migratoires provenant de la Libye et à jouer au médiateur. Une chose est sûre, sa mission n’est pas aisée tant les enjeux sont nombreux.