C’est la mort dans l’âme qu’il se plie à la volonté des autorités de son pays et quitte ainsi une organisation qu’il a dirigée durant presque trois décennies. Le successeur de Abdelhadi Boutaleb, dont il a été le principal assistant durant six années, vit au Maroc depuis 34 ans. Son départ est une véritable déchirure, et pour l’intéressé même si, en tant que diplomate aguerri et discipliné, il ne cherche pas à faire de vague et se plie aux orientations de Riyadh, et pour ses amis marocains qui sont devenus, au fil du temps, une véritable famille. Mais la politique a des raisons que la raison ignore. Une crise sans précédent est passé par là, il en a été un dommage collatéral.
L’ISESCO a publié ce mercredi un communiqué signé par Abdelaziz Ben Othman Altwaijri lui-même, dans lequel le directeur général de l’Organisation islamique pour l'éducation, les sciences et la culture, relevant de l'Organisation de la coopération islamique, a vivement condamné la décision de la Commission européenne de blacklister l’Arabie Saoudite et l’inscrire dans la liste noire des Etats qui constituent une menace pour l’Union européenne à cause de leur laxisme en matière de financement du terrorisme et de blanchiment d’argent.
جلالة الملك محمد السادس يشيد بالإيسيسكو وبمديرها العام في الكلمة السامية التي وجهها للمشاركين في المؤتمر الدولي حول حوار الثقافات والأديان المنعقد في فاس اليوم pic.twitter.com/0Gu2STfzFx
— عبدالعزيز التويجري A. Altwaijri (@AOAltwaijri) September 10, 2018
Dans son communiqué, qui a davantage l’air d’un dernier baroud d’honneur, Abdelaziz Ben Othman Altwaijri essaie de dédouaner son pays d’origine en insistant sur le fait que l’Arabie Saoudite constituait un partenaire actif dans la mise en œuvre de la stratégie antiterroriste mondiale de lutte contre le terrorisme. On ne sait pas s’il est du ressort de cette organisation ou de son secrétaire général d’engager tous les pays membres dans une position politique qui n’est pas forcément la leur, mais la sortie du diplomate saoudien sonne comme un triste adieu dans l’espoir d’avoir accompli son devoir.
Abdelaziz Ben Othman Altwaijri a aligné neuf mandats successifs de trois ans chacun. A la tête de cette importante organisation, il a côtoyé tous les grands de ce monde et était très estimé parmi ses pairs, marocains et étrangers. Son élection et ses réélections passaient comme une lettre à la poste, certes dans un cadre de consensus, mais surtout en raison de l’unanimité qu’a su réunir le directeur général autour de sa personne et de son projet.
En trois décennies, Abdelaziz Ben Othman Altwaijri, très apprécié des rois Hassan II et Mohammed VI, a réussi à
renforcer et à promouvoir la coopération entre les différents États membres -qui sont au nombre de 56- tout en consolidant la compréhension entre les peuples, en tentant, sans relâche, de faire connaître la véritable image de l'Islam et la culture islamique et favoriser le dialogue entre civilisations, cultures et religions.
L’ISESCO condamne la position de la Commission européenne à l’égard du Royaume d’Arabie Saoudite pic.twitter.com/TGNlyw1hn6
— ISESCO en français (@isesco_fr) February 14, 2019
Fort de sa longue expérience, il était considéré par beaucoup comme un ambassadeur extraordinaire de son pays auprès de tous les pays et dirigeants musulmans, grâce à son charisme et à sa grande présence diplomatique et académique. D’ailleurs, sur un nombre considérable de dossiers, il a été dépêché par Rabat et Riyadh en tant que canal de discussion express entre le Maroc et l’Arabie saoudite. Son rappel par les autorités de son pays au beau milieu de son dixième mandat, alors qu’il constituait un gage de stabilité et de sérénité, n’est pas un signal amical de la part des saoudiens. D’aucuns avancent que son action à Rabat est nettement plus sensible et stratégique que celle de l’ambassadeur saoudien au Maroc. C’est peut-être un peu exagéré mais c’est dire l’importance de l’homme dans l’architecture des relations maroco-saoudiennes. De plus, l’ISESCO, dont le siège permanent se trouve à Rabat, n’a eu à sa tête que deux directeurs généraux : un marocain, Abdelhadi Boutaleb, et le saoudien Abdelaziz Ben Othman Altwaijri. La preuve que le rôle culturel, religieux et politique du Maroc et de l’Arabie saoudite au sein de la grande famille musulmane n’a d’égale que l’importance des souverains des deux pays en leur qualité respective d’Amir al-Mouminine et de président du Comité Al-Qods et de Serviteur des deux lieux saints de l’Islam.
Tous les regards seront désormais braqués sur l'identité du futur candidat au poste de directeur général de l’ISESCO. Est-ce que les 57 opteront pour le consensus comme ils l’ont fait durant plus de trois décennies ou bien choisiront-ils un mode d’alternance en désignant, démocratiquement, un diplomate qui ne soit ni marocain ni saoudien ? Difficile à imaginer sachant la place centrale qu’occupe cette organisation dans le dispositif d’influence de l’un et de l’autre pays. Des sources font déjà circuler le nom du Dr. Salim Al-Malik, haut responsable au ministère saoudien de l’enseignement pour succéder à son compatriote Altwaijri. Mais il ne s’agit que de supputations car le conseil suprême de l’organisation est souverain dans ses choix, et Rabat ne cédera pas un pouce si le candidat n’est pas consensuel. Sauf si le Maroc décide cette fois-ci d’aller à la bataille, proposer un candidat, et s’attaquer aux urnes pour récupérer un poste qui a été sien à l’ère Boutaleb.