Courageux, téméraires, casse-cou, audacieux, OVNI, les qualificatifs n’ont pas manqué pour désigner ces marocains, lettrés, actifs et « jeunes » qui ont franchi le rubicon, cédant aux chants des sirènes, en créant un mouvement politique, « Maan », une translittération du mot arabe « معاً » qui signifie, ensemble.
« The unveiling » du mouvement s’est fait après une dizaine de jour d’une campagne de «Teasing » lancée sur les réseaux sociaux et les médias. Le hashtag #Koulchi_Moumkine « Tout est possible », a attiré la curiosité d’une communauté digitale et médiatique qui n’a pas manqué l’occasion pour assister « IRL » à la révélation du mouvement, assurée par quelques anciens chevaliers adorateurs de Tariq Ibnou Ziyad, qui ont du abandonner, réserve et impartialité pour se lancer dans une arène politique marécageuse et piégée.
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Ils s’appellent, Zakaria, Salaheddine, Yassine, Mehdi, Sara, …., ils sont avocats, banquiers, entrepreneurs, journalistes, éducateurs, acteurs associatifs et ils ont un points commun: ils ont tous développé une défiance à l’égard de l’offre politique existante.
Très au fait de l’actualité politique et de la situation socio-économique du pays, Ils ont accumulé frustrations et déceptions face à un exécutif et un écosystème politique qui ont brillé par leur médiocrité, lâcheté, népotisme et incompétence. Ils se regroupent et cogitent durant deux années, pour lancer enfin et dans l’air de leur temps, un mouvement politique, « s'inscrivant dans la rupture, se voulant une force de proposition constructive et rationnelle et ne s'encombrant ni d'ennemis, ni de préjugés.»
Après Podemos, Mouvement 5-Étoiles, En Marche!... le Maroc voit naître à son tour son mouvement non contestataire
Situé entre le mouvement social et le parti, le mouvement politique, est devenu le nouveau réceptacle universel des déçus de la politique partisane qui veulent faire bouger les lignes sans pour autant s'investir dans une contestation sociale et politique «inefficace».
En Europe, plusieurs mouvements ont vu le jour entre 2009 et 2017, le Mouvement 5-Étoiles italien, le Mouvement pour la démocratie en Europe 2025 en Grèce, Podemos en Espagne, Mouvement Demain en Belgique, En Marche! et France insoumise en France. Devant la défiance croissante envers les politiques « classiques », les citoyens de par le monde sont de plus en plus à l’écoute de cette nouvelle forme d’action collective concertée en faveur d’une cause dans une logique de revendication, tournant le dos aux organisations dont le dessein est de défendre des idées et de conquérir puis d'exercer le pouvoir.
Après les mouvements contestataires du 20 février, du Hirak du Rif et de Jerada, le Maroc voit ainsi naître son premier mouvement non contestataire. Un mouvement qui déclare n’avoir aucun ennemie, ndlr ( Makhzen et partis politiques ) autre que la médiocrité.
Le mouvement « Maan » se qualifie de positif, constructif et porteur de projets concrets pour sortir le pays du marasme économique et social.
Maan - معاً, un MTD bis ?
C’est la question à laquelle les membres fondateurs du mouvement « Maan » sont souvent amenés à répondre. Et pour cause, les observateurs politiques marocains, n’ont pas de modèles de mouvement, dans l'histoire contemporaine, réunissant cadres et jeunes de différents horizons, autres que le MTD, le Mouvement pour Tous les Démocrates, créé par Fouad Ali El Himma au début de 2008. Mouvement qui a mué, en une année, en un parti politique qui va quelques années après bouleverser le paysage et la pratique politique au Maroc.
Malgré la légitimité de cette interrogation, plusieurs points séparent les deux mouvements, notamment de par leurs genèses. Alors que le MTD est né dans des conditions de prospérité économique et sociale, puis appuyé, dès le début, par des pontes du monde politique et économique marocain, le mouvement « Maan », voit le jour dans un contexte économique et sociale difficile marqué par une série de mouvements sociaux, 20 février, hirak du Rif et de Jerrada, n’ayant pour appui que la timide autorisation de constitution de l’association politique.
Toutefois il est à noter que les deux mouvements partagent un point commun, le timing de lancement, coïncidant avec l’approche des échéances électorales.
« Maan » mutera-t-il en un parti politique ?
Autant, les similitudes avec le MTD sont peu évidentes, autant la possibilité de mutation du mouvement « Maan » en un parti politique paraît être une évolution naturelle.
D’ailleurs les principaux concernés, ne rejètent pas cette voie. Par contre, ils préfèrent se focaliser sur la réussite de leur projet. Sous observations de tout l'écosystème, ils ont à démontrer leur capacité à s’imposer dans un paysage politique très particulier, à mobiliser et à se faire entendre, à déployer leurs projets et à gagner de crédibilité tout en adoptant des positions fortes et courageuses sur les sujets importants qui mouvementent la vie des citoyens.
Mouvement politique -vs- mouvement contestataire
Dans l’essai, « Age of Anger », publié en 2017, et très commenté par les sociologues américains, l’écrivain indien, Pankaj Mishra, présente une prospective très pessimiste du monde, à cause de la «frustration des laissés-pour-compte de la modernité». Une vision qui corrobore les analyses d’autres sociologues qui prévoient une multiplication des mouvements sociaux contestataires de par le monde, qu'ils justifient par le « chaos endémique, consubstantiel à l’évolution des sociétés capitalistes, amplifié par les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. »
A moins d’une semaine du lancement de leur mouvement, les Maanistes en ont d'ores et déjà fait le constat. Ils subissent quotidiennement de la pression des réseaux sociaux, en les appelant par exemple à pendre des positions plus contestataires et plus radicales envers le « système ». L'impact psychologique de cette pression n’est pas négligeable, car c’est ce même écosystème qui a offert et qui offre toute cette audience et cet écho au mouvement, qui va également le persécuter dans l'objectif de satisfaire les mécontentements emmagasinées, derrière les smartphones, au fil des crises à répétition.
Par ailleurs, « Maan » a la chance d’apprendre de son environnement. Et le mouvement politique français « En marche! » est un cas d'école à suivre et à observer de près. En effet, après avoir engrangé plusieurs succès électoraux, puis médiatiques, En Marche ! connaît sa plus grande crise, mettant en péril sa pérennité, non face à ses adversaires politiques mais face à un autre mouvement, les #GiletsJaunes, qui a choisi la voie de contestation. Une crise qui en dit long sur les menaces qu’encourent la pratique de la politique dans le nouveau contexte socio-économique et géopolitique qui va durablement impacter notre pays et notre environnement proche.
Courage politique
Enfin, au delà de toute appréciation hâtive sur cette initiative de ce groupe d’hommes et de femmes, dits «jeunes», nous devons saluer leur courage et leur audace. Ces hommes et ces femmes ne sont pas des professionnels de la politique et doivent quotidiennement lutter pour assurer l'équilibre entre leur vie professionnelle, leur vie personnelle et leur engagement social et politique. Un courage qui est devenue une denrée rare, faisant malheureusement défaut à une classe politique, en grande majorité complice et coupable de la dégradation de la situation politique, sociale et économique de notre pays.