Il a suffit d’une phrase glissée dans un décret et d’une signature de l’ancien Chef de gouvernement Abdelilah Benkirane pour hypothéquer l’avenir de toute l’industrie pharmaceutique nationale. Fruit d’un lobbying intense des chancelleries étrangères, le deuxième alinéa de l’article 4 du décret n° 2-13-852 relatif aux conditions et aux modalités de fixation du prix public de vente des médicaments, a offert gracieusement aux multinationales 10% de marge sur les médicaments importés au détriment de la fabrication locale. Six ans après, le bilan est sans appel : les importations des médicaments ont augmenté de 46% et la valeur ajoutée locale du secteur a chuté de 50%!
Afin de corriger cette anomalie préjudiciable, au pays, au citoyen et à l’industrie pharmaceutique nationale, l’AMIP a déposé le 14 septembre dernier une saisine auprès du Conseil de la Concurrence. Une démarche par laquelle l'Association Marocaine de l'industrie Pharmaceutique espère que l’avis du Conseil permettra de garantir une souveraineté sanitaire nationale. Mais également d’enclencher une dynamique de transformation de la politique du médicament du Royaume dans un contexte d'urgence sanitaire et de récession économique.
Le 18 décembre 2013, le gouvernement Benkirane a promulgué un décret qui stipule entre autres ce qui suit : «Pour les médicaments importés, le PFHT retenu est majoré de 10% couvrant la marge importateur, les frais d'approche et les droits de douane. »
Le décret co-signé par Abdelilah Benkirane et El Houssaine Louardi et qui par miracle est passé entre les mailles du filets du SGG va ainsi offrir sur un plateau d’argent plus de 10% de marge aux importateurs qui sont principalement des multinationales. Au moment où les mêmes responsables avaient entamé une guerre sur les marges des officines et des fabricants locaux.
En favorisant le médicament importé, la nouvelle réglementation a condamné la fabrication locale, réduit les recettes de l’état et grugé le pouvoir d’achat du citoyen marocain
C’est par un courrier adressé à Driss Guerraoui, le 14 septembre dernier, que notre rédaction a pu consulter, l'Association Marocaine de l'industrie Pharmaceutique représentée par son président, Ali Sedrati, a procédé à la saisine du Conseil de la Concurrence et ce dans la stricte application de la loi 20.13 relative au dit conseil.
D’emblée l’AMIP fixe le périmètre de la saisine : «L'Association Marocaine de l'Industrie Pharmaceutique introduit la présente demande d'avis spécifiquement à l'Article 4/alinéa 2 du décret n° 2-1 3-852»
Il faut dire que les industriels marocains ont entrepris de multiples démarches auprès de plusieurs institutions nationales avant de s’adresser au Conseil de la Concurrence. Le sujet devient brûlant car au delà de l'inéquité de la réglementation en vigueur, la menace sur l’autonomie du pays en matière de couverture des besoins en médicaments s’est aggravée en raison de la crise sanitaire liée au coronavirus.
De plus, la majoration discriminatoire envers les fabricants locaux stipulé dans le décret n° 2-1 3-852 n’a pas seulement impacté le secteur pharmaceutique, mais également les recettes de l'État et le pouvoir d'achat du citoyen marocain.
En effet, cette mesure qui favorise le médicament importé à celui fabriqué localement, a eu comme conséquence directe le ralentissement des investissements locaux dans l'outil industriel et la fabrication domestique, et la baisse de presque 50% de la valeur ajoutée locale du secteur.
L’impact a été aussi ressenti violemment sur le déficit commercial et augmenter les sorties de devises qui s’est aggravé durablement suite à l'augmentation des importations en prix et en volume. Selon les chiffres de l’Office des Changes, le déficit de la balance commerciale pharmaceutique s'est élevé en 2017 à 4,7 MMDH soit un creusement annuel de presque 10%. Lequel déficit dépassera sans aucun doute la barre des 6 milliards de dirhams à la fin de cette année.
Le citoyen marocain fait également les frais de cette décision puisqu'elle engendre une augmentation du Prix Public de Vente constante de plusieurs médicaments importés. Surtout qu’une part importante de ces médicaments concerne des pathologies lourdes comme le cancer ou les hépatites. Ce qui réduit année après année l'accès à ces médicaments.
Dans sa saisine, l’AMIP rappelle que la réglementation n’a pas toujours été aussi discriminatoire envers l’industrie locale. En effet, une ancienne disposition relative à la fixation des prix des produits importés imposait aux fournisseurs étrangers d'accorder une remise d'au moins 20% à partir du Prix Grossiste Hors Taxes de leur pays d'origine en faveur de l'importateur national. Ce qui greffait au final le Prix Public de Vente au patient et obligeait à déclarer au minimum cette remise de 20% au Maroc. Une approche souveraine permettant un meilleur contrôle des marges et sortie de devises et une meilleure contribution fiscale en faveur du Royaume.
LEMM : le lobby qui milite pour reconquérir la souveraineté sanitaire de la France et mettre en péril celle du Maroc
Autre indicateur alarmant présenté par l’AMIP est celui du taux de couverture des besoins en médicaments par la fabrication locale. Il est passé de presque 80% au début des années 2000 à moins de 60% en 2020. Sachant que la moitié des médicaments importés au Maroc sont
fabricables dans notre pays compromet davantage la souveraineté nationale en matière de médicaments.
Le décret n° 2-1 3-852 promulgué par le gouvernement Benkirane y est pour beaucoup. En raison des des marges élevées à l’importation les acteurs du secteur ont été encouragé à avoir recours à leur importation au détriment de leur fabrication locale. Les importations des médicaments sont passées de 4,8 milliards de dirhams en 2014, année de l'entrée en vigueur du nouveau décret, à 5,7 milliards en 2017. Avec une Croissance moyenne de 7% annuellement, elles devraient se situer à presque 7 milliards de dirhams à fin 2020. Soit 46% d'augmentation en six ans.
Ainsi devant l’indifférence totale de l'exécutif, l'industrie pharmaceutique nationale n’a cessé de perdre de sa compétitivité dans son marché domestique. Au moment où les multinationales qui opèrent dans le pays, intarissables, assiègent littéralement les ministères pour arracher année après année avantages et réglementations à même d'augmenter les dividendes de leurs sociétés mères et de mettre en oeuvre la stratégie sanitaire de leurs pays.
Organisés en association, la LEMM, les représentants de la Big Pharma sont plus que jamais en mode commando en raison de la pandémie du Coronavirus. Appendice de la LEEM, l’organisation professionnelle des entreprises du médicament opérant en France, l’association marocaine suit les orientations stratégiques de la maison mère et son président Frédéric Collet. Ce dernier n’est autre que le porte drapeau de la relocalisation de la fabrication des médicaments en France.
L’urgence de l’élaboration d’une véritable politique nationale du médicament
La crise sanitaire de la Covid-19 a tout changé. Le monde a découvert l’importance de la souveraineté économique, notamment dans le domaine vital de la santé publique. Si la France, estime de manière officielle qu’elle devrait s’interroger sur les conséquences désastreuses des délocalisations à l’étranger de la fabrication de produits essentiels à la santé de ses citoyens, nous devons également nous en alarmer. Il est temps pour que nos responsables et nos industriels prennent des initiatives fortes pour reprendre la main sur la question de la politique industrielle du médicament délaissée depuis plus d’une décennie.
En dépit de cette conjoncture, l’optimisme est de mise. En effet, la vision développée par le Conseil de la Concurrence au sujet de la vision stratégique future du marché du médicament au Maroc présenté juin dernier est particulièrement ambitieuse et s’inscrit dans la volonté des acteurs du secteur de garantir la souveraineté sanitaire du Royaume.
Le Conseil recommande à juste titre, l’élaboration d’une véritable politique nationale du médicament qui puisse répondre aux impératifs de sécurisation de l’approvisionnement du pays en médicaments et dispositifs médicaux, en conformité avec les nouvelles priorités épidémiologiques de la population marocaine, avec le pouvoir d’achat des citoyens et avec les exigences de qualité et de respect des normes sanitaires universelles.
Enfin, la sélection d’un laboratoire marocain et non d’une multinationale, en l'occurrence Sothema, un fleuron national qui de plus est dirigé par une femme marocaine, pour conduire les essais cliniques du vaccin chinois, nous comble de fierté et nous rassure sur la capacité de notre industrie pharmaceutique à s’adapter, à innover et faire preuve d’une grande agilité.
Il est donc impératif de profiter de la crise du Coronavirus pour accélérer la mise en place d’une politique de médicament volontariste tout en garantissant à notre industrie locale l'environnement économique et réglementaire idoine.