La Gambie, ou le micro-échantillon du nouvel ordre mondial

Ce qu’il se passe aujourd’hui en Gambie dépasse de loin une affaire de politique intérieure propre au pays. Il y a certes, d’un côté, un vainqueur des dernières élections présidentielles, connu et reconnu par la communauté internationale, Adama Barrow en l’occurrence, et de l’autre, le président sortant, Yahya Jammeh, au pouvoir depuis un quart de siècle, qui a reconnu au début la victoire de son adversaire avant de se rétracter dans les 48 heures, et décider de s’accrocher à son poste. La suite on la connait : des tentatives de médiation se sont multipliées de la part du Maroc tout d’abord, qui a dépêché deux émissaires sur place, le ministre délégué aux Affaires étrangères, Nasser Bourita et le patron de la DGED, Mohamed Yassine Mansouri, et ensuite de la Mauritanie dont le président Mohamed Ould Abdelaziz himself s’est déplacé à Banjul afin de tenter de convaincre Yahya Jammeh de quitter le pouvoir en douceur pour éviter tout bain de sang éventuel et lui exprimer la possibilité de lui trouver une voie de sortie honorable et une terre d’exil ou d’asile. Niet catégorique de Yahya Jammeh qui a signifié à ses hôtes une fin de non-recevoir, compliquant davantage la situation : les pays de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, dite CEDEAO, ont vite réagi à cette violation du processus démocratique en Gambie et mènent, en ce moment précis, des opérations militaires dans ce pays, emmenés par le puissant Sénégal voisin qui dirige la mission de rétablissement de la légitimité institutionnelle.

Cela dit, la réalité est beaucoup plus complexe. Si Adama Barrow, appuyé par le Chef d’Etat-Major gambien, a prêté serment ce jeudi en tant que nouveau président de la République, il l’a fait depuis Dakar où il est réfugié. Car Yahya Jammeh, qui tient toujours le palais présidentiel, entouré de sa garde prétorienne, de quelques fidèles, dont sa très zélée épouse qualifiée par ses détracteurs de ‘croqueuse de diamants’, serait sous la protection des services russes qui voient en lui un contre-pouvoir de taille et efficace à la recrudescence de l’influence et de la présence américaines au Sénégal, sachant que Washington est en pourparlers avancés avec Dakar pour y installer un PC-avancé de l’AFRICOM basé en Allemagne. Ce serait là une occasion inespérée pour Moscou d’avoir une ‘présence physique’ -sinon militaire au moins via quelques ‘experts’ et ‘conseillers’, sur les rives Atlantiques de l’Afrique de l’Ouest.

La position géographique enclavée de la Gambie au sein du Sénégal permet de contrôler tout le périmètre d’influence de la CEDEAO jusqu’en Mauritanie ; et le pays n’est pas une ancienne colonie française comme la quasi-totalité de son voisinage. La Gambie était une colonie britannique, c’est un pays anglophone avec une pure culture anglo-saxonne, mais Yahya Jammeh l’a désengagé de l’influence de la couronne britannique en dirigeant le pays d’une main de fer et en supprimant sans ménagement tous ses opposants. Au fil des ans, la Gambie est devenue une plateforme de toutes sortes de trafics, une sorte de narco-Etat qui voit transiter via son territoire tous types de produits illicites et psychotropes en provenance d’Amérique Latine, notamment le Venezuela et la Colombie, ce qui permet le financement de plusieurs groupuscules terroristes dans la région du Sahel. D’où la crainte des pays de la CEDEAO et des Etats-Unis d’Amérique de voir émerger un Etat hors-la-loi, dirigé par un dictateur, et qui risque de devenir incontrôlable s’il n’est pas rapidement maîtrisé.

Il se targue aujourd’hui d’être soutenu par Moscou, mais la Maison Blanche aura un nouveau locataire, en la personne de Donald Trump, lequel a des rapports très privilégiés avec Vladimir Poutine. L’avenir de Yahya Jammeh est donc suspendu au fil du téléphone rouge entre le Kremlin et Washington qui sera réactivé dès vendredi.

Abdellah El Hattach 

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