Key points :
- Le Chef du bureau de liaison israélien à Rabat David Govrin a publié un tweet ce mardi dans lequel il exprime son indignation au sujet du message de félicitation envoyé par le Chef de gouvernement marocain Saad Eddine El Otmani au leader du Hamas, Ismaïl Haniyeh.
- «Soutenir le Hamas c'est soutenir l'Iran» a écrit l'ambassadeur israélien. «Et soutenir l'Iran c'est soutenir un pays qui sème la destruction dans les pays arabes et qui supporte le Polisario» a-t-il insisté.
- David Govrin avait quitté le Maroc le mardi 11 mai au moment où les tensions entre Israël et le Hamas étaient à leur apogées.
- Saad Eddine El Otmani a envoyé ce samedi une lettre à Ismail Haniyeh, dans laquelle il lui adresse ses « plus chaleureuses félicitations » pour sa victoire sur Israël.
Que se passe-t-il :
«J'ai été interpellé par la déclaration du chef de gouvernement marocain, M. El Otmani, qui a soutenu et félicité les organisations terroristes Hamas et Jihad islamique soutenues par l'Iran. Quiconque soutient les alliés de l'Iran renforce de facto son influence régionale. Le renforcement de l'Iran, qui sème la destruction dans les pays arabes et soutient le Front Polisario, n'est-il pas en contradiction avec les intérêts du Maroc et des pays arabes modérés? » s'est indigné David Govrin, Chef du bureau de liaison israélien à Rabat dans un tweet en langue arabe publié sur son compte ce mardi 25 mai.
Dimanche dernier, Saad Eddine El Otmani a annoncé sur son compte twitter avoir envoyé un message personnel au chef du groupe du Hamas pour le féliciter de sa « victoire » sur « l’entité sioniste » lors des récents combats entre Israël et la bande de Gaza.
Selon le site d’information Ynet, le Chef de Gouvernement marocain Saad-Eddine El Othmani, a envoyé samedi une lettre au chef du Hamas, Ismail Haniyeh, dans laquelle il lui adresse ses « plus chaleureuses félicitations » pour « la victoire remportée par le peuple palestinien et la résistance suprême après l’accord de cessez-le-feu entre les factions de la résistance et l’entité sioniste ».
El Otmani s'était entretenu, , le 11 mai dernier, avec le chef du bureau politique du Hamas Ismaïl Haniyeh, et avoir érigé la situation des Palestiniens « au sommet de ses préoccupations ».
C'est depuis Israël que David Govrin a écrit son tweet. Il avait rejoint son pays le 15 mai dernier pour des raisons familiales liées à « l’hospitalisation de son père ».
The Big Picture
Le Maroc a été le troisième État arabe à normaliser ses liens avec Israël en 2020 dans le cadre d’accords négociés par les États-Unis, rejoignant ainsi les Émirats arabes unis et Bahreïn. Saad Eddine El Otmani, issu du Parti islamiste de la justice et du développement (PJD) proche da la galaxie des frères musulmans et très attaché à la cause palestinienne, a été le signataire de l'accord tripartite entre le Maroc, Israël et les Etats-Unis. C'est évènement historique annonçait une ère nouvelle dans les relations entre le Rabat et Tel-Aviv.
Très attaché au pouvoir et particulièrement docile quand il s'agit d'influence américaine, le PJD , toute structures confondues, du bureau politique à la jeunesse, s'est résigné à la décision du Roi Mohammed VI de la reprise des relations avec Israël, laissant à son bras religieux, le Mouvement unicité et réforme (MUR), le rôle de catalyseur des voix dissonantes du parti clairement anti-normalisation.
Les échauffourées puis les affrontements armés qui ont éclaté les derniers jours du Ramadan ont mis le Chef du gouvernement islamiste dans l'embarras, ne sachant pas sur quel pied danser. Celui du signataire de la normalisation ou celui du frère musulman historiquement solidaire avec son frère Ismail Haniyeh.
Heureusement pour El Otmani, les provocations de l'extrême droite israélienne et de Netanyahu ont exaspéré l'administration Biden qui a laissé monter une campagne médiatique propalestinienne jamais observée dans l'histoire du conflit.
Quatre jours après avoir parlé avec l'émir du Qatar Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani et deux jours avant son entretien avec Ismael Qaani, commandant de la Force Al-Qods des Gardiens de la révolution iranienne, Ismail Haniyeh leader du mouvement Hamas qui dirige la bande de Gaza a téléphoné à Saad Eddine El Otmani en sa qualité de Chef de Gouvernement.
Le chef du bureau politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, a informé Saad Eddine El Otmani sur « les événements dangereux qui se déroulaient dans les territoires palestiniens, en particulier à Al Qods-Est et dans la bande de Gaza, les tentatives de judaïsation de la ville sainte et la prise du quartier de Sheikh Jarrah ainsi que les incursions répétées dans la Mosquée Al Aqsa », a indiqué un communiqué de la Chefferie du gouvernement marocain.
Lors de cet entretien El Otmani a réitéré au chef du Hamas « le rejet catégorique du Royaume du Maroc de toutes les mesures des autorités d’occupation qui affectent le statut juridique de la mosquée Al-Aqsa et d’Al Qods Al-Sharif ou violent les droits légitimes du peuple palestinien ». Il a également assuré à Ismaël Haniyeh que le Maroc considère toujours la question palestinienne comme sa « cause nationale ».
Cet entretien «autorisé» semble avoir donné des ailes au Secrétaire Général du PJD. Ce dernier n'est pas peu satisfait des points qu'il a regagné auprès du Hamas qui avait qualifié la reprise des relations entre le Maroc et Israël de «péché politique qui ne sert pas la cause palestinienne» et de «décision qui encourage l’occupation et nie les droits du peuple palestinien». Mais également auprès de sa base partisane et d'une opinion publique nationale et arabe majoritairement en faveur de la «résistance» palestinienne. Il ne va pas s'arrêter aux déclarations, il va organiser et participer, cette fois-ci en sa qualité du Chef du parti islamiste, à un forum virtuel sous le thème «Palestine la Résistance, Palestine la Victoire». A l'issue de cet évènement, El Otmani ira même jusqu'à envoyer une lettre de félicitation au Hamas pour sa victoire contre le Hamas après le cessez-le-feu imposé par Biden.
Si le Royaume a toléré ces échanges avec le Hamas, ce n'est nullement en raison de la pression de l'opinion publique ou médiatique mais en raison d'un revirement géopolitique initié par la nouvelle administration Biden en ce qui concerne l'ensemble du Moyen-Orient.
Biden semble ne pas apprécier la politique du fait accompli que Netanyahu a souhaité lui imposer. Peu pressé à intervenir, le nouveau président veut être maitre des leviers d'action dans la région. Pour la première fois donc, des médias comme AP et CNN ont participé au relais d'un récit propalestinien évitant de donner beaucoup d'espace sur l'appui technique et militaire de l'Iran au Hamas.
Si l'Egypte a été autorisée et chargée à reprendre son rôle de médiateur auprès du Hamas, rejoignant le Qatar, la Jordanie ou la Turquie, le Maroc aurait jugé bon, de maintenir un lien de communication avec le mouvement palestinien. Une décision tactique qui permet au Royaume de maintenir son influence sur un dossier clé de l'avenir de l'ensemble de la région.
L'autorisation du gouvernement de sit-in le 15 mai à Rabat, organisé par des proches du PJD et d'Adl Wa Al Ihsan s'inscrit dans cette approche pragmatique de la diplomatie marocaine.
Cette posture exprime également un alignement parfait de la diplomatie marocaine avec celle de Washington et conforte les analyses qui prédisent un rôle géopolitique clé du Royaume.