Qatar, un choix cornélien

En décidant, aujourd’hui, de maintenir ses vols vers Doha tels qu’ils sont opérés normalement, soit cinq vols directs par semaine entre Casablanca et la capitale du Qatar, la compagnie aérienne nationale Royal Air Maroc nous a, dans un sens, donné le cap de ce que sera l’avenir des relations entre Rabat et Doha depuis l’annonce de l’embargo sur le Qatar par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Bahreïn et l’Egypte.

A l’arrivée au pouvoir du Cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani en 2013, les relations entre les deux pays ont évolué positivement, tant sur le plan politique qu’économique, avec une accélération à compter de 2015. En revanche, l’entrée du PJD au gouvernement avec à sa tête Abdelilah Benkirane, applaudi par Doha, n’était pas du goût de Ryadh, d’Abu Dhabi et du Caire. D’où le froid qui s’est abattu sur les relations entre le Maroc et ces trois pays, notamment après les élections législatives d’octobre 2016 qui ont vu le PJD rempiler pour un second mandat.

La crise qui secoue les pays du Golfe est suivie de très près par les autorités marocaines qui gèrent les contrecoups de ce véritable séisme en essayant d’en amortir l’impact. Le Maroc subit indubitablement des pressions de la part de Ryadh et Abu Dahbi en vue de s’aligner sur leur position vis-à-vis de Doha. Rabat n’est certainement pas contre l’idée de rejoindre cette «Nouvelle Alliance» mais le pays a ses spécificités et, surtout, ses conditions. Dans la terminologie usitée, on parle de l’Arabie saoudite et «ses alliés». Et le Maroc est tout sauf un pays satellite. Le Maroc, à travers son histoire contemporaine, a su garder une certaine équidistance avec les pays composant le Conseil de coopération du Golfe, en consacrant une diplomatie souveraine. Jamais le Maroc ne s’est immiscé dans les affaires intérieures d’un autre pays, frère de surcroît, et n’accepterait nullement que l’on s’ingère dans les siennes. Et surtout lorsqu’il s’agit des résultats des urnes, expression suprême de la souveraineté nationale.

Si, sur le plan politique, le Maroc a bien défini les règles du jeu, la réalité sur le plan des échanges économiques a subi les retentissements de ce «froid». Avec 70% d’investissements directs en moins, les pays du CCG boudent de plus en plus le Maroc comme destination privilégiée de leurs placements. Par contre, le Qatar est resté fidèle à ses engagements sur tous les projets socio-économiques décidés sur le Maroc ainsi que sur le partenariat stratégique en terme de sécurité énergétique. Par ailleurs, si la RAM a décidé aujourd’hui de maintenir ses vols vers Doha, c’est un gage de «bonne santé» dans les relations bilatérales entre les deux pays. Sachant que Qatar Airways cherche à entrer dans le capital de la compagnie aérienne nationale. Cela dit, avec le blocus imposé par Ryadh et ses alliés, et les répercussions sur la santé financière de la compagnie qatarie, tous ces plans pourraient être révisés, voire annulés en cas d’escalade ou de conflit armé.

Le cas échéant, le Maroc a des intérêts vitaux à défendre. Et ne pas agir pourrait avoir des conséquences fâcheuses sur le plan interne, en terme de paix sociale et des risques sécuritaires. Sans oublier l’importante diaspora marocaine au Qatar qui risque d’être menacée. Se mettre à dos le Qatar pourrait, éventuellement, mettre fin à la trêve de la chaîne Al Jazeera concernant certains sujets déplaisants. Il faut reconnaître que la gestion du dossier n’est pas aisée. D’où le rôle fondamental que doit jouer notre diplomatie en tentant de rapprocher les points de vue des «belligérants» et d’apaiser les velléités des uns et des autres. Rabat pourrait proposer ses bons offices, soit à sa propre initiative soit en partenariat avec la France qui partage des d’intérêts stratégiques avec le Qatar. La visite, la semaine prochaine, au Maroc, du président français Emmanuel Macron, permettra d’y voir plus clair.

Abdellah EL HATTACH

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