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Diffuser les images de combat de Sinwar, une erreur stratégique d’Israël

La décision stratégique d’Israël de diffuser des images de la mort du chef du Hamas, Yahya Sinwar, survenues lors d’un affrontement avec les forces de défense israéliennes (IDF), a rapidement suscité des réactions diverses sur les scènes médiatique et politique. En fuitant ces documents visuels, Israël a cherché à renforcer la légitimité de sa campagne militaire et à démontrer un succès décisif contre l’un des cerveaux derrière les attaques du 7 octobre 2024. Cependant, cette manœuvre semble se retourner contre l’État israélien en conduisant, involontairement, à la glorification de Sinwar comme martyr, notamment dans les larges cercles pro-palestiniens au-delà des pays arabo-muslmans.

Le présent article vise à analyser cette fuite d’images sous l’angle des erreurs stratégiques dans les opérations de communication en période de conflit, en s’appuyant sur les théories de la guerre psychologique et de la perception des leaders en temps de guerre.

La stratégie israélienne : un tournant mal calculé

La divulgation d’images et de vidéos montrant Yahya Sinwar dans ses derniers instants constitue un geste symbolique fort. En choisissant de révéler les détails de cette confrontation, Israël semble avoir visé un double objectif : démoraliser les soutiens du Hamas en leur montrant la vulnérabilité de leur chef et affirmer sa supériorité militaire face à une organisation terroriste. Cependant, l’effet escompté ne semble pas se matérialiser. Au contraire, les images de Sinwar, blessé et continuant à résister sur le front, ont contredit la narration israélienne qui le présentait caché dans un tunnel, entouré de boucliers humains. Cette dissonance entre la réalité et le discours officiel israélien a alimenté une réévaluation de la figure de Sinwar, le transformant en symbole de résistance.

L’une des critiques principales formulées par des experts, comme Leila Molana-Allen, correspondante spéciale pour PBS jouissant du soutien du Pulitzer Center, souligne que ces images sont venues amplifier la figure héroïque de Sinwar dans l’imaginaire collectif pro-palestinien. Le fait de voir ce leader mourir en combattant a créé une dynamique de glorification, malgré les intentions israéliennes de le discréditer. Cette erreur rappelle les mécanismes de la guerre psychologique où la gestion des perceptions du public est aussi importante, sinon plus, que la réalité tactique sur le terrain.

La résonance de la figure du martyr : un effet non anticipé

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Dans le contexte des luttes de libération ou des mouvements de résistance, la mort d’un leader charismatique en combat tend à engendrer un effet de martyrisation, souvent renforcé par des images diffusées au grand public. Le cas de Yahya Sinwar s’inscrit parfaitement dans cette logique. En le montrant blessé, résistant jusqu’à ses derniers instants, Israël a involontairement construit un récit similaire à celui d’autres figures historiques de la résistance telles qu’Omar al-Mukhtar, comme l’a souligné un utilisateur pro-palestinien sur les réseaux sociaux. La comparaison avec Omar al-Mukhtar, héros de la résistance libyenne contre l’occupation italienne, met en lumière la manière dont les symboles de résistance, une fois glorifiés, transcendent leurs actions immédiates pour devenir des icônes historiques et culturelles.

Ce phénomène est d’autant plus puissant lorsqu’il s’inscrit dans une culture où la notion de martyr revêt une importance symbolique particulière. En diffusant des images de Sinwar, Israël a participé à sa « légende » en tant que héros de la résistance palestinienne, un effet amplifié par plusieurs journalistes félicitant Sinwar pour sa mort en martyr, atteignant ainsi un statut réservé aux « honorables ».

Le «use case» américain

En contraste avec la décision israélienne de diffuser les images de la mort de Yahya Sinwar, l’administration américaine a choisi une stratégie totalement différente dans la gestion des éliminations de figures emblématiques du terrorisme comme Oussama ben Laden, chef d’Al-Qaïda, et Abou Bakr al-Baghdadi, leader de Daesh. Dans ces deux cas, les États-Unis ont délibérément décidé de ne pas publier les images des opérations qui ont conduit à leur mort, malgré l’intérêt médiatique mondial et les appels à la transparence. Cette retenue visait à éviter toute glorification posthume et à empêcher que les images ne deviennent des symboles de martyre pour les partisans de ces groupes terroristes.

L’administration de Barack Obama a notamment expliqué que diffuser les images du corps de ben Laden risquait d’encourager davantage de violence et de radicalisation, transformant sa mort en une source de propagande pour Al-Qaïda. De la même manière, les détails de la mort d’al-Baghdadi ont été communiqués verbalement, sans support visuel, pour éviter que sa disparition ne devienne un instrument de recrutement pour Daesh. Cette approche montre une gestion plus réfléchie de l’information, où l’objectif n’était pas seulement de neutraliser une menace, mais aussi de contrôler la perception publique et de limiter les répercussions à long terme. 

Les effets des fuites médiatiques : une leçon en gestion de crise

La décision de divulguer les images de Sinwar a également soulevé des questions sur les standards éthiques du journalisme en période de conflit. Channel 12, une chaîne israélienne, a diffusé les photos graphiques de Sinwar sans tenir compte des normes journalistiques internationales. Ce genre de fuites médiatiques non contrôlées peut avoir des conséquences graves, non seulement en termes de perception publique mais aussi de mobilisation des soutiens adverses. Comme l’a observé le journaliste Dan Cohen, Sinwar est devenu « une légende » précisément parce qu’il a été montré défiant, blessé, mais toujours combatif.

Cet épisode souligne une leçon essentielle en gestion de crise et communication de guerre : la maîtrise des narratifs visuels est primordiale. Les images, en particulier en temps de guerre, peuvent avoir des effets incontrôlables et souvent contraires aux objectifs initiaux. La diffusion d’images graphiques sans contexte adéquat ou sans contrôle sur leur interprétation peut transformer un moment de victoire en une opportunité de martyrisation pour l’«ennemi».

Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist
20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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