Contexte géopolitique et objectifs stratégiques :
La signature de la «Déclaration relative au Partenariat d'exception renforcé» entre le Maroc et la France, ce 28 octobre 2024, marque un tournant décisif dans les relations historiques entre les deux nations. Cet accord, scellé sous l'égide du Roi Mohammed VI, en présence du Président Emmanuel Macron et de plusieurs personnalités de haut rang, représente un jalon stratégique dans la coopération bilatérale. Outre la consolidation des liens traditionnels, cette Déclaration renforce le soutien explicite de la France au plan d’autonomie marocain pour le Sahara, réaffirmant la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur cette région, un dossier central dans la diplomatie marocaine.
Le «Partenariat d’exception renforcé» s'inscrit dans un contexte international marqué par des recompositions géopolitiques régionales, notamment en Afrique et en Méditerranée, ainsi que par des défis globaux tels que le climat, la migration et la sécurité.
1. Caractéristiques du "Partenariat d'exception renforcé" : Un nouveau cadre relationnel
Ancrage historique et profondeur des relations bilatérales
- Fondement historique : La Déclaration place d’entrée les relations franco-marocaines dans une perspective historique longue, ancrée dans une amitié multiséculaire et des liens humains et culturels d'une exceptionnelle richesse. Cette dimension historique n’est pas anodine, elle légitime l’idée que la relation bilatérale s’inscrit dans une trajectoire durable, qu’il faut consolider à l'aune des bouleversements actuels.
- Modernisation : L’objectif affiché est d'inscrire cette relation dans la modernité en la rendant "irréversible" et en l'adaptant aux transitions en cours (énergétique, technologique, climatique). Il s'agit d'un partenariat de nouvelle génération qui veut transcender les simples relations diplomatiques pour couvrir des secteurs stratégiques comme les nouvelles technologies et les énergies renouvelables.
Dimensions stratégiques de la coopération bilatérale
- Dialogue politique : La Déclaration acte une volonté de renforcement du dialogue politique au plus haut niveau, basé sur les principes de non-ingérence, égalité souveraine, et consultation précoce. Ces termes-clés traduisent une volonté de transparence dans la gestion des dossiers bilatéraux sensibles, mais surtout un alignement stratégique dans la politique étrangère des deux pays. Le Maroc se positionne ainsi en partenaire incontournable de la France dans les relations euro-méditerranéennes.
- Partenariat économique : Le texte place également la coopération économique au cœur des relations bilatérales, avec un accent sur la modernisation et l’approfondissement de ce partenariat. Ce volet est destiné à renforcer l'autonomie stratégique des deux pays face aux défis économiques mondiaux, comme la diversification des chaînes d'approvisionnement ou la transition énergétique.
Une architecture nouvelle et renforcée
- Un partenariat multi-niveaux : Contrairement aux simples accords bilatéraux classiques, ce partenariat s'appuie sur des composantes transversales : les collectivités locales, la société civile, les diasporas (Français au Maroc, Marocains en France) sont intégrées en tant qu'acteurs essentiels dans l'approfondissement de la relation. Cela suggère que la France et le Maroc cherchent à impliquer de manière systémique ces parties prenantes dans leur coopération, ce qui renforce le caractère global et inclusif du partenariat.
- Supervision conjointe : La mention explicite d’une supervision directe par les deux chefs d’État et la création d’un comité stratégique restreint montre que ce partenariat sera suivi de près, avec des mécanismes d'évaluation réguliers, signalant une approche rigoureuse pour garantir l'implémentation concrète des engagements pris.
2. Les secteurs clés de la coopération : Priorités stratégiques pour les deux pays
La Déclaration identifie plusieurs secteurs stratégiques qui nécessitent un effort renforcé. L’analyse de ces secteurs permet de déduire les priorités économiques et géopolitiques des deux pays :
Sécurité sanitaire et production de vaccins :
- En résonance avec les leçons de la pandémie, ce domaine est prioritaire pour les deux pays. La production locale de vaccins pourrait renforcer l'autonomie sanitaire et réduire la dépendance aux chaînes d'approvisionnement internationales. Cela est également lié à des enjeux de sécurité nationale et de protection des populations.
Gestion des ressources hydriques et agricoles :
- Le stress hydrique au Maroc, accentué par les changements climatiques, devient un enjeu crucial. La gestion durable de l’eau et l’agriculture sont des piliers de la résilience socio-économique du pays. La France, avec son expertise dans ces secteurs, peut jouer un rôle central dans le transfert de savoir-faire et le développement de technologies adaptées.
Transition énergétique et énergies renouvelables :
- Le Maroc, avec son ambitieux plan de développement des énergies renouvelables, en particulier solaire et éolien, s'impose comme un acteur clé dans ce domaine. Ce volet du partenariat peut permettre d’accélérer les projets communs dans les technologies vertes, de renforcer la coopération industrielle et d'attirer des investissements stratégiques européens.
Intelligence artificielle et connectivité :
- La mention de l'IA et de la connectivité montre une volonté d'investir dans des technologies de pointe. Il s'agit de secteurs d'avenir qui conditionnent la compétitivité économique des deux pays dans la quatrième révolution industrielle. Cela pourrait se traduire par des coopérations renforcées dans l’éducation, la recherche scientifique, ou encore des partenariats entre start-ups.
3. Coopération en matière de migration : Vers un agenda global et partagé
La migration est un axe structurant de la relation franco-marocaine, et la Déclaration adopte une approche équilibrée. Elle appelle à un agenda global en matière de migration, incluant :
- La facilitation des mobilités légales, ce qui laisse présager des accords bilatéraux pour encourager les migrations temporaires dans les secteurs économiques en tension (agriculture, BTP, soins médicaux).
- La lutte contre l’immigration irrégulière et la prévention des départs. Ici, il s’agit d’un partenariat sécuritaire, mais aussi de développement, car la prévention des flux migratoires ne peut se faire sans offrir des alternatives économiques viables dans les pays d'origine.
- La responsabilité partagée entre pays d’origine, de transit et de destination marque un engagement à construire un dialogue trilatéral incluant également l’Europe et les pays africains.
4. Le Sahara : Un soutien explicite de la France à la souveraineté marocaine
L’une des pierres angulaires de cette Déclaration est la réaffirmation du soutien français au plan d’autonomie marocain pour le Sahara. Macron reprend à son compte l'idée que le cadre d’autonomie sous souveraineté marocaine constitue la seule base pour une solution politique. Ce soutien représente un atout diplomatique considérable pour le Maroc, consolidant sa position dans les instances internationales et influençant les politiques européennes envers cette question sensible.
5. Dimension régionale et internationale : Le rôle pivot du Maroc en Afrique et en Méditerranée
Le texte accorde une importance particulière à la dimension régionale, notamment en Afrique et dans la région euro-méditerranéenne :
- L'Afrique : Le Maroc est reconnu comme un acteur clé en Afrique, tant en matière de sécurité que de développement. La France cherche ici à renforcer son partenariat avec Rabat pour répondre aux défis africains, notamment en matière de stabilité et de développement.
- L’Atlantique et l’Europe : Le Maroc, de par sa position géostratégique, est vu comme un partenaire crucial pour la France dans les dossiers touchant à la sécurité atlantique et aux relations euro-méditerranéennes.
L'exception d'une relation multidimensionnelle apaisée
La Déclaration relative au "Partenariat d'exception renforcé" entre le Maroc et la France traduit une volonté de structurer une coopération multi-dimensionnelle, à la fois bilatérale et régionale. Ce partenariat repose sur une architecture complexe intégrant non seulement les gouvernements, mais aussi les acteurs privés, les collectivités et la société civile. C'est ce qui fait la particularité et l'exception de la relation d'État à État entre le Maroc et la France, à même de renforcer leur position dans un environnement global instable et de s’adapter aux transformations géoéconomiques en cours.