Quelle signification géopolitique de l’escale de Xi Jinping au Maroc après les Îles Canaries ?

Canaries, Sahara Marocain et Sud global : Xi Jinping avance ses pions face à l'ombre de Trump
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L’annonce par les médias espagnols d’un changement d’itinéraire pour le président chinois Xi Jinping, qui atterrirait au Maroc à son retour du Pérou au lieu des Îles Canaries, soulève des interrogations sur les dimensions stratégiques sous-jacentes. Au-delà de la simple nécessité de repos et de ravitaillement, ce choix met en lumière des dynamiques géopolitiques et économiques d’une portée considérable, au cœur des rivalités globales et des repositionnements stratégiques de Pékin. Il souligne également le rôle central et déterminant du Royaume du Maroc, devenu un acteur clé dans le concert des nations, grâce à sa position stratégique et à son influence croissante sur la scène internationale.

1. Une escale dans des territoires stratégiques aux confluences de trois continents

Les Îles Canaries et le Royaume du Maroc se trouvent au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et de l’Amérique latine. Cette position géographique en font des plateformes logistiques idéales pour Pékin, qui y voit un levier pour :

  • Renforcer son influence en Afrique : Le Maroc, véritable hub économique, social, culturel et sécuritaire pour le continent, et l’archipel espagnol, point d’appui logistique vers l’Afrique de l’Ouest, constituent des atouts stratégiques dans une région où la Chine est déjà fortement impliquée. Pékin y investit notamment dans les infrastructures et les matières premières. Le Maroc accueille un nombre croissant d’entreprises chinoises, en particulier dans les gigafactories, symbole de la suprématie chinoise dans le secteur des voitures électriques. Par ailleurs, Las Palmas abrite la China National Fisheries Corporation (CNFC), un autre emblème de la présence économique chinoise dans la région.
  • Étendre son influence vers l’Amérique latine : En plaçant les Canaries au cœur de sa diplomatie, la Chine souligne leur rôle comme pont naturel entre l’Europe et l’Amérique latine, deux régions essentielles à sa stratégie commerciale. L’APEC au Pérou et les projets portuaires comme celui de Chancay illustrent cette ambition.
  • Un partenariat renforcé avec l’Espagne : Les discussions informelles entre délégations chinoises et espagnoles sur les Canaries évoquent des perspectives de coopération accrue dans les domaines de la sécurité et des investissements.
  • Un partenariat renforcé avec le Royaume du Maroc : L’atterrissage prévu du président chinois au Maroc illustre une marque de confiance majeure envers le Royaume. Ce choix met en avant sa stabilité, sa sécurité exemplaire et son rôle central en tant que carrefour stratégique reliant l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient. Il témoigne également de la reconnaissance internationale du Maroc en tant que pivot incontournable dans les dynamiques géopolitiques et économiques de la région.

2. Les Canaries, un laboratoire pour la stratégie chinoise dans le Sud Global

L’arrêt aux Canaries, est le troisième du genre pour Xi Jinping en huit ans, après ses passages en 2016 à Grande Canarie et en 2019 à Tenerife. Alors, qu'il n’a visité Madrid qu’une seule fois, en 2018.

Xi Jinping s’inscrit dans une tradition stratégique de hauts dirigeants chinois ayant choisi l’archipel comme point d’escale. Avant lui, Jiang Zemin en 2001 et Hu Jintao en 2004 et 2012 avaient également marqué leur passage, témoignant de l'importance stratégqique des Canaries dans la diplomatie chinoise.

Ce choix reflète plusieurs priorités stratégiques :

  • Infrastructure et logistique : Les récents contrats pour des équipements portuaires chinois à Gran Canaria montrent que la Chine cherche à optimiser les infrastructures locales pour ses chaînes d’approvisionnement globales.
  • Diplomatie culturelle et symbolique : La visite répétée de la Casa de Colón par des leaders chinois souligne une fascination pour le lien historique des Canaries avec l’exploration maritime, un parallèle souvent établi avec l’expansion navale chinoise sous Zheng He.
  • La position géographique clé des Canaries : Carrefour entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique latine, l’archipel s’impose comme un hub logistique idéal pour la Chine dans sa stratégie globale.
  • Une base pour des ambitions africaines et latino-américaines : Pékin pourrait renforcer son ancrage en Afrique de l’Ouest et son accès au marché latino-américain, notamment via des projets comme le port de Chancay au Pérou.

3. Un pont avec entre les îles Canaries et le Maroc : une reconnaissance implicite de la souverainté du Royaume sur son Sahara ?

L’intention évoquée par Xi Jinping de bâtir un pont entre les Canaries et le sud du Maroc soulève des questions diplomatiques majeures. Sachant que l'archipel espagnol se situe face au Sahara marocain, cette déclaration pourrait-elle constituer une reconnaissance implicite par la superpuissance chinoise de la souveraineté marocaine sur cette région, tout en ménageant les relations avec l’Algérie, alliée historique de Pékin ?

  • Oppurtunisme commercial ou real politik ? Devant, ces succès diplomatiques historiques du Royaume, sous la conduite du Roi Mohammed VI, ralliant à sa cause les puissances mondiales, la Chine, chercherait-elle à renforcer ses liens avec le Maroc, en utilisant ce pas timide mais important de Xi Jinping comme un levier diplomatique tout en évitant un affrontement direct avec Alger ?
  • Opportunisme commercial ou realpolitik ? Face aux succès diplomatiques historiques du Royaume sous la conduite visionnaire du Roi Mohammed VI, qui a su rallier à la cause nationale les grandes puissances mondiales, la Chine chercherait-elle à utiliser ce pas timide mais significatif de Xi Jinping comme un levier diplomatique visant à consolider une relation privilégiée avec Rabat, tout en évitant soigneusement un affrontement direct avec Alger ?
  • Stratégie d’équilibre : Pékin est-elle tenter de naviguer prudemment entre le Maroc et l’Algérie, en s'alliant davantage avec un Royaume qui a le vent en poupe et en ménageant dans la mesure du possible un allié devenu trop encombrant, un allié à problèmes, négatifs, source de destabilisation du continent et de la route commerciale si chère à Pékin ?
  • Stratégie d’équilibre entre un pays winner et un voisin looser : Pékin s’efforce-t-elle de naviguer prudemment entre le Maroc et l’Algérie, en renforçant ses liens avec un Royaume en plein essor tout en ménageant, dans la mesure du possible, un allié devenu problématique ? L’Algérie, perçue comme une source de déstabilisation pour le continent et pour la précieuse route commerciale si stratégique pour la Chine, semble désormais représenter un fardeau complexe à gérer. Face à cette situation, Pékin pourrait être tentée de privilégier une relation plus étroite avec le Maroc, acteur stable et prometteur dans la région.

4. Les escales de Xi Jinping mettent en lumière la puissance stratégique de l'axe Rabat-Madrid

Si le soutien au Maroc des deux membres du Conseil de Sécurité, Washington et Paris, est indéniablement décisif, l’axe Rabat-Madrid s’impose aujourd’hui comme un exemple rare de coopération bilatérale stratégiquement alignée. La complémentarité des forces géographiques et culturelles y crée un levier unique, capable d’influencer de manière significative les grands dossiers régionaux et internationaux.

La vision éclairée du Roi Mohammed VI, associée au pragmatisme stratégique du gouvernement espagnol, démontre comment deux nations, avec des ancrages historiques et culturels différents mais convergents, peuvent unir leurs atouts pour catalyser le développement et la stabilité. Le Maroc, en s'appuyant sur sa profondeur africaine et arabe, devient une passerelle naturelle vers le Sud global, tandis que l'Espagne, ancrée dans l’Europe et l’Amérique latine, offre une ouverture sur les marchés occidentaux et transatlantiques.

Cet axe transcende les ambitions bilatérales pour devenir un modèle de partenariat constructif dans un monde marqué par des rivalités géopolitiques croissantes. En soutenant le Maroc, notamment sur des dossiers cruciaux comme la souveraineté sur le Sahara et en favorisant une dynamique tripartite avec des puissances comme la Chine ou les États-Unis, cet axe incarne un nouvel équilibre qui redessine la carte des alliances au XXIe siècle.

Le Maroc et l’Espagne ne se contentent pas d’être des partenaires de circonstance : ils bâtissent une vision commune pour l’avenir, basée sur le développement durable, la sécurité, et la projection économique. C’est là un modèle qui pourrait inspirer d’autres régions du monde.

5. Une guerre commerciale à l’horizon : Xi Jinping anticipe-t-il la tempête Trump ?

L’escale intervient à un moment critique, marqué par la victoire écrasante de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine. La visite de Xi Jinping au Pérou pour l’APEC, où il a inauguré un méga-port est une réponse directe à la rhétorique protectionniste du président réélu. Les questions clés qui en découlent sont les suivantes :

  • Diversification des partenariats commerciaux : En renforçant ses relations avec l’Amérique latine et en consolidant son accès à l’Afrique via le Maroc et les Canaries, la Chine maintient sa stratégie de réduction de sa dépendance aux marchés occidentaux.
  • Un signal subtil aux États-Unis : Pékin pourrait démontrer sa résilience face à une éventuelle reprise des tensions sous le second mandat de Trump, en se positionnant comme un acteur incontournable dans le Sud global.
  • Axe Atlantique : L’escale de Xi Jinping aux Canaries peut être perçue comme une reconnaissance implicite de l’importance stratégique de l’axe atlantique. Situées à proximité immédiate d’Agadir, l'archipel servirait de base idéale pour observer les dynamiques régionales, notamment la coopération militaire maroco-américaine. Cette proximité géographique renforce l’idée que la Chine surveille de près les alliances stratégiques du Maroc et leur implication dans les rapports de force mondiaux.
  • Africa Lion 2025 : L’escale de Xi Jinping prévue au Maroc, intervient à un moment où le pays accueille à Agadir la réunion de planification principale de l'exercice militaire multinational annuel organisé principalement par les Forces armées royales marocaines et l'armée américaine.

6. Une possible coïncidence, mais un message calculé

Toutefois, même si la simultanéité peut être fortuite, la Chine est connue pour sa maîtrise des symboles. Xi Jinping pourrait chercher à démontrer que Pékin reste un acteur incontournable en Afrique, capable de rivaliser avec les États-Unis même dans une région où Washington est historiquement dominant. Son escale aux Canaries, couplée à des signaux d’ouverture envers le Maroc, pourrait également semer le doute sur la capacité de l’Occident à conserver son monopole d’influence dans la région.

Cette juxtaposition révèle deux approches concurrentes dans la compétition pour l’influence en Afrique:

  1. États-unis : militarisation et coopération sécuritaire, visant à stabiliser la région et à contenir les menaces transnationales.
  2. Chine : développement économique et diplomatie commerciale, cherchant à s’ancrer durablement dans le tissu économique africain.

7. Les Canaries comme microcosme de la rivalité sino-occidentale

L’escale de Xi Jinping aux Canaries met en lumière une rivalité plus large entre la Chine et l’Occident. Alors que les États-Unis et l’Europe investissent de manière sélective en Afrique et en Amérique latine, la Chine adopte une approche multifacette, alliant investissements économiques, diplomatie culturelle et projets stratégiques.

D’ailleurs, une fois arrivé au Pérou, Xi Jinping a inauguré le méga-port de Chancay, un projet emblématique de 3,6 milliards de dollars. Bien que l'engagement est conséquent sur un continent sous influence historique américaine, cet investissement ne s’aligne pas pleinement avec la nouvelle stratégie chinoise, qui tend à réduire les mégaprojets au profit d’investissements plus ciblés dans les secteurs technologiques et verts.

L’échec de projets comme le barrage Coca Codo Sinclair en Équateur a conduit la Chine à réduire les prêts risqués, tout en augmentant ses investissements directs dans les secteurs stratégiques comme les véhicules électriques, les batteries et les télécommunications.

Il est à noter que le commerce entre la Chine et l'Amérique latine a connu une croissance spectaculaire, passant de 12 milliards de dollars en 2000 à 450 milliards de dollars en 2023, positionnant la Chine comme le principal partenaire commercial de nombreux pays de la région. 

Références:

Espiral 21 : Xi Jinping cambia de planes. Aterrizará en Marruecos

El Orden Mundial : ¿Por qué Xi Jinping visita tanto Canarias?

Maroc-Diplomatique : La Chine est-elle sur le point de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara ?

Foreign Policy: In Latin America, China is saying goodbye to big bets and bridges in favor of a new approach.

The Dialogue: What Is the State of Chinese Investment in Latin America?

Reuters: In South America, Trump already losing a trade battle with China

Miami Herald: While U.S. pays little attention to Latin America, China has moved in

CNBC: China is doubling down on Latin America ties to bolster influence and trade

The Diplomat: Chinese investments in Latin America are shifting to focus on decarbonization and renewable energies

Nawfal Laarabi

Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist
20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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