Affaires Bakkoury et Benali, symptômes d’une naïveté systémique en temps de guerre énergétique

En s’invitant à la cour des grands grâce à des réalisations remarquables dans des secteurs stratégiques tels que l’énergie verte, la banque, la construction automobile et aéronautique, la production d’engrais, et le transport transcontinental d’hydrocarbures, le Maroc doit s’attendre à une guerre économique impitoyable où tous les coups sont permis.

L’OCP, géant mondial des phosphates et rompu depuis des décennies aux manœuvres internationales les plus coercitives, a développé une résilience et un savoir-faire significatifs face aux pressions internationales. Cependant, reste-t-il à voir si cette expérience est partagée par les autres secteurs stratégiques du pays, notamment dans les énergies renouvelables.

La faute de Bakkoury avec les Allemands dans le solaire, ainsi que l’imprudence de Leila Benali avec les Australiens dans l’hydrogène vert, mettent en lumière une naïveté systémique en temps de guerre énergétique.

Force est de constater que les décideurs économiques et politiques ainsi que les médias marocains n'ont mentalement pas encore intégrer le fait que nous évoluons désormais au sein d'une guerre économique systémique. Cela représente une menace sérieuse pour l'unité nationale, qui ne saurait être consolidée sans la construction d'une économie réelle, solide et durable.

L'acharnement des médias britanniques et australiens à l'encontre de Leila Benali, ministre marocaine de la transition énergétique et du développement durable, illustre cette ignorance collective des enjeux de cette guerre impitoyable où tout est permis y compris le jeu sale.

Historiquement, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les tabloïds occidentaux utilisent des photos floues suggérant une forme d'intimité, souvent impliquant des femmes, comme levier de pression sur le décideur politique et économique. Une pratique très rarement utilisée dans notre région du monde contre des décideurs féminins en raison des codes sociaux qui régissent nos sociétés.

En moins d'une semaine, une dizaine d'articles publiés par des médias anglo-saxons ont mené une campagne d'une rare violence ciblant la ministre marocaine. Les médias marocains ont accentué la pression sur Mme Benali, ont servant de caisse de résonance du prédateur contre sa victime. Puis les réseaux sociaux et les médias arabes ont pris le relais. Le voyeurisme à pris le dessus.

Peu ont pris le temps de considérer la position délicate de la ministre, seule face à une société misogyne sans pitié. Des médias tels que le Daily Mail, The Australian et le Telegraph se sont-ils seulement demandés si, en réglant leurs comptes avec une entreprise australienne, ils mettaient en péril l'image, l'honneur et même la sécurité d'une femme?

Heureusement, Leila Benali, jeune femme brillante, ingénieure experte internationale reconnue dans le domaine de l'énergie, évolue sous l'égide d'une monarchie sereine, protectrice et ouverte. Une attaque similaire dans un pays comme l'Algérie aurait pu avoir des conséquences tragiques.

Lâcheté politique

L'objectif des commanditaires de la campagne était de salir et disqualifier une femme libre et de saboter un deal entre le géant des phosphates marocain OCP Group et l'australien Fortescue Energy.

Tristement, Leila Benali n'a reçu aucun soutien politique de la part de son parti ou de son gouvernement. Il est à noter que l'affaire est survenue à un moment particulièrement opportun pour les adversaires politique de Mme Benali, coïncidant avec un remaniement ministériel imminent.

Curieusement, des journalistes réputés proches du chef du gouvernement ont été parmi les premiers à ternir l'image de la ministre, jouant ainsi le jeu des médias anglo-saxons.

Il est à rappeler qu'Aziz Akhannouch, oligarque assumé, maintient une influence directe sur le secteur de l'énergie fossile, à travers son groupe Akwa, leader du marché marocain, mais également à travers l'ONHYM, dirigée par une femme du parti politique qu'il dirige et des participations directes dans une société de droit britannique en charge de l'exploitation du gisement de gaz dans le Royaume.

En avril dernier, le groupe pétrolier du Chef du gouvernement a annoncé un virage énergétique en nommant Mohammed Rachid Idrissi Kaitouni, ami personnel d'Akhannouch, à la tête du nouveau « Pôle Transition énergétique, environnement et développement durable » (TEDD). Une nomination qui survient la même semaine de l'annonce d'une JV entre l'OCP et Fortescue pour le développement de l’énergie verte, l’hydrogène vert et l’ammoniac vert au Maroc.

https://twitter.com/JournalLavieeco/status/1774809907801329708
https://twitter.com/TelQuelOfficiel/status/1777677849756852567

Isolée, la ministre n'a pas réussi à contenir cette campagne de diffamation. Sa stratégie de défense s'est révélée insuffisante. Sauf qu'elle s'est montrée forte en maintenant son agenda et ses sorties publiques.

Son soutien sont venus de médias proches de l'appareil d'État qui ont su atténuer la crise.

CP-MTEDD-28-05-2024

L'affaire Bakkoury-Parema vs Benali-Fortescue

L'affaire Benali-Forrest rappelle l'épisode malheureux de Mustapha Bakkoury, ancien homme fort de la CDG et figure de l'énergie renouvelable du Royaume, évincé suite à une deuxième disgrâce royale et de graves accusations. En mars 2021, il fut accusé de de mauvaise gestion et de malversations et de « collaboration avec un État étranger », en l'occurrence l'Allemagne.

Dans l'affaire Benali-Forrest, l'accusation émane d'un pays étranger. La jeune ministre est présentée, photo à l'appui, de dos et dans une position intime, en compagnie de la deuxième fortune d'Australie, une relation supposée qui aurait facilité un partenariat avec le Maroc pour le développement de l'hydrogène vert, notamment avec l'OCP signé le 8 avril dernier.

Contrairement à M. Bakkoury, Mme. Benali ne jouit ni de pouvoirs décisionnels directs, ni de budget opérationnel. -Bakkoury serait responsable d'un déficit chronique annuel de 80 millions € qui dure depuis des années-. Toutefois, la ministre a la capacité d'influencer les décisions d'investissement publics. Puis, elle dispose de l'information stratégique sur la politique du pays en matière d'énergie. Benali, brillante experte, a certainement réussi à consolider une vision complète sur le secteur et les parties prenante ainsi que sur le processus décisionnel.

Il serait naïf de croire que Benali puisse imposer une quelconque décision stratégique sans passer par les filtres de Mostafa Terrab ainsi que d'autres figures clés du gouvernement et des institutions de contrôle tels que Mohcine Jazouli, Abdellatif Zaghnoun, le cabinet royal et le Conseil ministériel présidé par le Souverain. Sans oublier Aziz Akhannouch, qui manifeste un intérêt personnel croissant pour les énergies renouvelables et l'hydrogène vert.

Un gouvernement en manque de cohérence et de solidarité

Le Maroc est doté d'un mécanisme puissant de défense et des filtres humains et institutionnels pour éviter des interférences étrangères sur des sujets stratégiques.

Sauf qu'un gouvernement comme celui de Aziz Akhannouch, caractérisé par sa faiblesse, son manque d’homogénéité et de solidarité, ne dispose pas de l'ADN idoine ni des outils de défense nécessaires pour contrer efficacement les attaques étrangères.

Rappelons aux lecteurs, comment un deal stratégique de construction d'une gigafactory a été mis en péril pour une histoire d'égos entre ministres.

Plaidoyer pour une stratégie géoéconomique nationale

Nous plaidons ici pour un esprit offensif et une prise de conscience collective afin de faire face à des guerres économiques indirectes menées par des acteurs non étatiques, en lien avec des stratégies de puissance.

Le Roi Mohammed VI s'est employé dès le premier jour de son règne à libérer notre économie nationale du plafond de verre imposé par l'Occident colonial. Des efforts qui ont porté leurs fruits surtout en conocmitance avec les changements majeurs et brutaux qui sont actuellement en train de survenir un peu partout sur la planète. Nous devons nous y préparer sérieusement, en nous débarrassant définitivement de notre naïveté structurelle.

Nous plaidons pour une stratégie digne de ce nom, notamment une stratégie géoéconomique, qui soit intégrée à la sécurité nationale et à la souveraineté. Une telle stratégie est indispensable pour renforcer la puissance économique du Maroc et l'immuniser contre les nuisances étrangères.

Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist
20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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