Plus de huit mois après le déclenchement du vaste mouvement social à Al Hoceima, et deux mois après le sérieux tour de vis sécuritaire que connaissent la ville et sa région, je me suis retrouvé dans la capitale du Rif dans le cadre d’une mission à caractère professionnel. Désertée par les touristes ainsi que par la diaspora rifaine, Al Hoceima n’est plus que l’ombre d’elle-même. Commerces à l’arrêt et d’autres fonctionnant au ralenti, unités hôtelières aux trois-quarts inoccupés, plages presque vides, Villa Sanjurjo* vit au rythme du Hirak et de la crise socio-économique qui frappe de plein fouet l’activité d’une région qui se retrouve au bord de l’asphyxie.
D’habitude, durant le mois de juillet et les périodes post-ramadan, Al Hoceima est bondée. Les boulevards Mohammed V, Hassan II, Abdelkrim El Khattabi et les commerces y attenant étaient pris d’assaut par les visiteurs. La place Florido, centre névralgique et historique de l’ancienne ville, constituait le passage obligé non seulement des touristes mais également et surtout des habitants qui y font leurs emplettes vu la proximité du marché hebdomadaire souk tlata, habituellement très achalandé en produits locaux et de contrebande en provenance d’Espagne. Sur les versants en aval du Rocher, nom donné à Al Hoceima par quelques nostalgiques de la “belle époque” qu’ont été les années 60’, 70’ et 80’ du siècle dernier, les plages Quemado et Cala Bonita constituaient la destination privilégiée des touristes allemands, français, italiens et espagnols obnubilés par la beauté des paysages qui s’offraient à eux. La clarté de l’eau, paradisiaque, était reprise sur les cartes postales exposées avec fierté sur les étales des bazars de la ville.
Dans la périphérie de la ville, à Izemmouren, Ajdir, Aït Qamra, Imzouren, ou à Aït Bouayach, les marchés hebdomadaires, très populaires, accueillaient des milliers de personnes et l’activité économique battait son plein.
L’aéroport connaissait une rotation de vols domestiques et internationaux dix-huit heures par jour et sept jours sur sept durant toute la saison estivale ; les ports, commercial et de pêche, participaient à l’animation de la ville ainsi que des restaurants de poissons qui pullulent aux alentours, et les marchands de bocadillos achalandaient les principales artères de la ville engorgées par les voitures immatriculées en Hollande ou en Belgique. Les mois de juillet et d’août sont aussi les mois durant lesquels les rifains convolent le plus en justes noces. Mais que reste-t-il de tout ça ? Durant mon périple, presque pas de mariages; j’ai croisé des personnes aux visages fermés, tristes, souvent en colère. La ville est tétanisée. Beaucoup d’espoirs partis en fumée. Beaucoup de promesses non tenues. Huit mois de Hirak laissent des traces. Al Hoceima est désertée par les touristes. La diaspora rifaine n’est pas rentrée. La ville vit au rythme de la crise socio-économique qui frappe de plein fouet l’activité d’une région qui se retrouve au bord de l’asphyxie. Les commerces sont soit à l’arrêt et soit fonctionnent au ralenti, et les principales unités hôtelières sont à 75% inoccupés, sauf pour l’hôtel Perla qui affichait complet et pour cause : il regroupait les journalistes marocains et étrangers venus couvrir la Marche du 20-Juillet organisée à l’occasion en vue de réclamer la libération des détenus du Hirak.
Les moins jeunes, eux, se rappellent d’une époque où Al Hoceima abritait six unités industrielles employant plus de 3000 personnes ; et plus proche de nous, de l’époque où le Club Méditerranée, aujourd’hui fermé, employait 600 saisonniers, majoritairement originaires de Ajdir.
Le Hirak est sorti il y a huit mois pour réclamer une reconsidération sociale et économique d’une région, pour le moins que l’on puisse dire, sinistrée. Sauf que le tour de vis sécuritaire imposé par le gouvernement depuis deux mois ne laisse pas de marge de manœuvre suffisante pour une sortie de crise imminente. La population est dans l’expectative du discours du Trône, dans l’attente d’une détente politique et d’une clé de sortie de cette impasse dont la longévité menace les équilibres politiques et historiques d’une région sensible. Les rifains fondent beaucoup d’espoir sur le discours du Roi et demeurent, malgré le climat tendu ambiant, très optimistes quant aux éventuelles décisions que prendra le souverain en faveur de la population locale.
Abdellah El Hattach.Follow @aelhattach
*Le nom d’Al Hoceima avant l’indépendance du Maroc