Paris a accueilli le mardi 29 mai une réunion des différents protagonistes de la crise libyenne et les représentants de plusieurs pays concernés ou intéressées par ce conflit. Le but de Macron est d’accélérer la mise en place d’une feuille de route et un mode opératoire pour l’organisation d’élections présidentielles qu’il souhaite voir se dérouler d’ici la fin de l’année. Mais ni le leadership contesté que veut imposer unilatéralement le président français au nez et à la barbe de l’Italie et du Maroc sur ce dossier, ni la réalité militaire du terrain en Libye ne permettent un tel optimisme.
Toujours à la recherche d’une stature internationale suite au fiasco de sa visite aux Etats-Unis et les résultats mi-figue mi-raisin de sa rencontre avec le président russe Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg, Emmanuel Macron a jeté son dévolu sur le dossier libyen. Si la France est en grande partie responsable de ce que vit la Libye aujourd’hui en raison de l’intervention illicite de Nicolas Sarkozy pour y changer de régime, l’ingérence de la France dans ce dossier n’est pas du goût de tous les acteurs de ce conflit ni de celui des principales parties concernées ou intéressées.
L’«Accord de Paris» qui est venu couronner une journée de travaux diplomatiques intenses coordonnés par le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et le patron de la DGSE, Bernard Emié, est désormais hypothéqué par la reprise d’intenses combats entre milices rivales dans la région de Derna pas loin de la frontière égyptienne. Cette recrudescence des batailles acharnées entre les différents belligérants, le lendemain de la «signature » du modus operandi en vue de la préparation d’élections présidentielles, compromet sérieusement ces échéances imposées d’en haut sans passer par des pourparlers approfondis.
Les Libyens, qui accordent beaucoup d'espoir à un processus politique qui viendrait sortir le pays de sa crise, projetaient des attentes sérieuses des rounds politiques de Skhirat. Mais la manière dont Paris est intervenue dans le processus libyen, juste deux mois après l’élection de Emmanuel Macron à la tête de l’Etat, a indisposé le Maroc qui pilotait déjà le processus de Skhirat mais, et surtout, a mis en colère l’Italie, ces deux pays-clés dans le processus de paix en Libye, que le président français a cherché de rétrograder à un rôle de seconde zone. En effet, à cette réunion inter-libyenne, à laquelle Rabat et Rome n’étaient pas conviés et qui s’était tenue au Château de La Celle Saint-Cloud, un accord a été trouvé entre Fayez el-Sarraj, premier ministre libyen et le maréchal Haftar qui s‘étaient engagés à un cessez-le-feu en Libye. Mais vite fait les combats ont repris et mis en équation tout espoir d’une solution ou d’une relance politique.
Moins d’un an après, le président français tente une seconde opération de forcing dans ce dossier au moment même où l’Italie passe par une grave crise politique et gouvernementale.
L’ancienne puissance coloniale, qui paie le plus lourd tribut en terme d’immigration clandestine au départ de la Libye vers l’Europe, vit aussi un marasme économique qui impose à Rome de garder son influence sur le voisin libyen, pour juguler la déferlante migratoire. Sans oublier la rivalité farouche entre le champion italien de l’énergie ENI et le géant français Total dont l’appétit grandit en Libye et veut carrément éliminer son concurrent italien.
Il n’est pas dans l’intérêt du Maroc de perdre la main sur le dossier libyen, car ce sont ses intérêts géopolitiques et militaires qui sont en jeu et qui pourraient se trouver menacés, sachant qu’entre la frontière libyenne Ouest et la frontière Est du Maroc il n’y a qu’un canal désertique incontrôlable qui traverse l’Algérie et qui lie les deux pays. Rabat, qui ne peut accepter voir se déverser au Maroc les hordes de terroristes chassés de Mossoul et de Syrie vers la Libye, doit aussi savoir faire comprendre à Paris, via les canaux diplomatiques traditionnels, que tout redimensionnement de la politique étrangère française ne doit pas, et ne peut pas, se faire au détriment des intérêts supérieurs du Maroc.