Alors que Omar El-Béchir perdait le pouvoir au nord, le président de Sud-Soudan Salva Kiir et son rival Riek Machar effectuaient une retraite spirituelle au Vatican à l’invitation du pape François. Pour marquer au fer rouge cette médiation, le souverain Pontife a rompu avec le protocole pontifical devant les caméras, en s’agenouillant pour embrasser les pieds des deux dirigeants en leur demandant de faire la paix. Le média officiel du Saint-Siège, Vatican News, a qualifié le geste du pape de « surprenant et émouvant », un geste qui « ne peut être compris que dans le climat de pardon réciproque qui a caractérisé les deux jours de retraite ».
Cette semaine, et sur proposition de l’archevêque de Canterbury, Justin Welby, chef de l’église anglicane, le Vatican a pris la décision sans précédent d'accueillir le président sud-soudanais Salva Kiir et son ancien vice-président Riek Machar à la résidence du Pape au Vatican, dans le cadre d'une retraite spirituelle visant à mettre fin à leurs divergences. Il est à rappeler qu’une vieille rivalité entre les deux politiciens est à l’origine de la guerre civile au Sud-Soudan, un conflit qui dure depuis des années.
Au terme de cette retraite de deux jour, le souverain pontife recevra, devant les caméras, le président Salva Kiir Mayardit et deux vice-présidents désignés Riek Machar et Rebecca Nyandeng de Mabior. Une rencontre qui donnera lieu à une scène frappante: l’un des chefs religieux les plus puissants du monde va se pencher sur les pieds de deux hommes responsables d’un conflit qui aurait peut-être fait 383 000 morts, pour embrasser leurs pieds tout en leur demandant de «rester en paix».
Kiir et Machar étaient jadis rivaux, Kiir accusant Machar - son ancien vice-président - d’avoir organisé un coup d’État de 2013. Des années de guerre civile ont suivi. En 2018, ils ont signé un accord de paix en Éthiopie et tentent maintenant de former ensemble un gouvernement stable.
« A vous trois, qui avez signé un accord de paix », a déclaré le pape, « je vous le demande en tant que frère, restez en paix ».
« Il y aura beaucoup de problèmes, mais ils ne nous vaincront pas. Réglez vos différends.» a poursuivi le pape François en s’adressant à ses hôtes. « Gardez vos désaccords entre vous, dans vos bureaux. Mais devant le peuple, tenez-vous la main. Ainsi, en tant que simples citoyens, vous deviendrez les pères de la nation. ».
La crise soudanaise menace le fragile accord de paix au Soudan du sud
La guerre au Soudan du Sud a éclaté en décembre 2013 après que les tensions entre Kiir et Machar se soient aggravées. Une rivalité qui s’est vite transformée en un conflit armé qui s'est étendu à l'ensemble du pays qui, venait à peine deux ans auparavant, d’obtenir l'indépendance de son voisin du nord.
Depuis la fin de 2013, des millions de personnes ont été déplacées de leurs foyers dont plus d'un million ont fui vers l’Ouganda, provoquant l'une des plus grandes crises de réfugiés au monde avec son lot de drames humains, viols, maladies et famines. Une situation à laquelle le Maroc a réagit en déployant hôpital de campagne à Juba, ainsi qu’en mettant en oeuvre une batteries de mesures prises suite à la signature de neuf conventions de coopération à l’occasion de la visite officielle effectuée par le roi Mohammed VI à Juba en février 2017.
Après un accord signé en 2015, qui n'avait pas été respecté, les belligérants sud-soudanais, le président Salva Kiir et son rival Riek Machar, ont réussi, en septembre 2018, à signer un fragile compromis à Addis-Abeba. Un aboutissement de 15 mois de négociations avec les médiations de l’Ethiopie, du Soudan, de l’Ouganda ou encore du Kenya et surtout une forte implication du président soudanais Omar el-Béchir, qui a été le principal médiateur durant ces négociations.
Alors que les observateurs doutaient qu’un sommet de deux jours au Vatican puisse aider les deux rivaux à mettre en œuvre la dernière version d’un accord de paix qu’ils négocient depuis des années, le limogeage de Omar el-Béchir, cette semaine a accentué les craintes des observateurs de l'échec de la médiation pontificale.
Alan Boswell, analyste chez International Crisis Group, s’est d’ailleurs exprimé sur Twitter sur le sujet juste après l’annonce du départ de Omar El-Béchir : « Le départ d’el-Béchir signifie qu’à court terme qu’il n’existe plus aucun médiateur. Il appartient maintenant à Kiir et Machar de faire avancer l'accord de paix ».
Fortuitously (!), tho, Kiir and Machar are meeting face to face TODAY in the Vatican. In the absence of any remaining mediators, this may be D Day for the #SouthSudan peace deal. Events in Sudan may force their hands. This only moves forward if both want it to.
— Alan Boswell (@alanboswell) April 11, 2019
De son côté un ancien membre du groupe d’experts des Nations Unies sur le Soudan du Sud, Payton Knopf, a déclaré pour sa part au Washington post que « pour que Riek et Salva fassent partie de la solution, il faudrait un miracle de Dieu ».
« Pendant la guerre civile au Sud-Soudan, la communauté internationale était suffisamment distraite avant ce matin », a-t-il poursuivi Knopf, se référant au coup d’Etat militaire au Soudan jeudi. «Elle va être encore davantage distraite maintenant. Et la distraction internationale c'est ce qui a permis à Salva et Riek de se permettre une extrême violence, plusieurs années durant. »
C’est cette vive inquiétude de l’ensemble des parties prenantes dans le dossier soudanais, qui a poussé le Pape François à briser le protocole pontificale en s’agenouillant devant les belligérants. Le souverain pontife vient ainsi apporter une charge symbolique extrêmement forte par ce geste surprenant au service de la paix dans une terre africaine majoritairement chrétienne.