Contrairement à la froideur qui a accompagné, en août dernier, la visite au Maroc du Chef de la diplomatie israélienne Yaïr Lapid, le déplacement de son collègue à la Défense Benny Gantz, 3 mois plus tard, a bénéficié d'une importante couverture médiatique nationale et internationale. Le plus marquant des traitements journalistiques de cet évènement a été celui réalisé par les supports du groupe Global Média Holding, notamment L'Observateur du Maroc et d'Afrique et Al Ahdath Al Maghribya. Si ce dernier s'est adressé à une large audience arabophone hétéroclite et souvent anti-normalisation, en arborant sur toute la longueur de sa «Une» la photo du ministre israélien devant le tombeau de feu le Roi Mohammed V, L'Obs M&A a réussi à décrocher la publication d'une tribune de Benny Gantz «himself» dont la photo a occupé toute la «Couv» du magazine, une première dans l'ensemble du monde arabo-musulman. Ces «Unes» disruptives du très influent groupe média marocain sont le reflet de la «rupture stratégique» dont laquelle s'est engagé le Royaume chérifien pour assurer sa paix et sa stabilité. Une réponse aux tendances géopolitiques lourdes qui se manifestent, surtout après la «surprise stratégique» de la sortie de la France du Sahel motivée entre autres par son adversité à la néo-alliance anglo-saxonne.
Finalement, l'annonce de l'ouverture de nouvelles routes aériennes entre le Maroc et Israël le 9 novembre dernier était bel bien un signe du réchauffement des relations entre Rabat et Tel-Aviv après une période de brouille silencieuse qui dure depuis l'été. Un froid qui s'est manifesté par l'«optimisation» de la visite du officielle du ministre des Affaires étrangères Yaïr Lapid en août dernier, le «ralentissement» de l'opérationnalisation du bureau de liaison israélien, la suspension des vols directs vers le Maroc de la compagnie El Al et les sorties médiatiques «hasardeuses» et «impatientes» de l'ambassadeur David Gorvin.
Dix mois après sa signature, la normalisation entre le Royaume du Maroc et l'État hébreu n'a pas été un fleuve tranquille. Rabat semble avoir imposé son propre tempo aux relations diplomatiques avec un gouvernement Bennett aussi pressé que celui de Netanyahu et aussi peu audacieux et peu regardant sur les équilibres géostratégiques régionaux et les intérêts immédiats et à long terme du Maroc.
Israël est à placer aux côtés de la France dans la case des «partenaires» interpellés par le Roi Mohammed VI le 6 novembre dernier dans un discours des plus déterminants du dossier du Sahara. Le souverain a en effet appelé les partenaires du Maroc à formuler «des positions autrement plus audacieuses et plus nettes au sujet de l’intégrité territoriale du Royaume» à l'image de la position claire et assumée de l'administration américaine.
Bennett et Lapid subissent la complexité et l'inconfort de leur deal politique, à savoir une rotation sur le poste du premier ministre tous les deux ans. Cette forte pression temporelle, ne leur a pas permis de s'accorder avec l'intemporalité de la monarchie. Toutefois, Benny Gantz, émissaire de l'institution la plus stable d'Israël, semble détenir les codes historiques nécessaires à l'instauration d'une forme de confiance dans le processus de formalisation et de médiatisation des relations entre Rabat et Tel-Aviv.
Et ces codes minutieusement présentés par Benny Gantz ont été fidèlement rapportés par les supports de presse du groupe Global Média Holding couvrant la visite historique du ministre du Défense israélien.
Al Ahdath Al Maghribia : « La Nation juive rendra éternellement hommage aux Rois du Maroc»
Photo géante devant le tombeau de feu Mohammed V de la délégation Benny Gantz, un grand titre évoquant l'éternelle hommage de la «Oumma» Juive aux rois du Maroc, et un sous titre soulignant le courage du Roi Mohammed VI dans la préservation de l'Histoire des Juifs marocains, c'est ainsi comment Al Ahdath Al Maghribia a méthodiquement «marketé» la visite du ministre de la défense israélien au Maroc. Une mise en bouche qui sera suivie par un édito du rédacteur en Chef qui sur un ton offensif s'est adressé aux anti-normalisation les appelant à plus de pragmatisme.
Il est à rappeler que ce même quotidien arabophone s'était adressé avec des mots durs à Benjamin Netanyahu qui sous le feu de ses multiples échecs de formation de gouvernement avait maladroitement trop pressé le Royaume pour lui soutirer un soutien politique et diplomatique. Al Ahdath avait même menacé Bibi d'appeler les centaines de milliers de citoyens juifs marocains de voter pour son adversaire, un certain Benny Gantz.
L'Observateur du Maroc et d'Afrique : « Benny Gantz - La plus importante des batailles est celle pour la paix et la stabilité »
Si Al Ahdath Al Maghribia avait comme défi de répondre à l'incompréhension et la défiance d'une opinion publique qui s'acclimate tant bien que mal avec la normalisation des relations avec Israël matérialisée par l'accueil du Chef de la guerre de Gaza de 2014, L'Observateur du maroc et d'Afrique, le magazine hebdomadaire du même groupe s'est attelé à fournir les clés de lecture géopolitiques de cet évènement.
Grâce au dense réseau de son directeur de publication, Ahmed Charaï, le Magazine va taper fort en décrochant une tribune exclusive du ministre le défense israélien. Une première dans le monde arabo-musluman qui a suscité l'étonnement de la presse israélienne.
A ce titre, la chaîne d'information continue i24, s'adressant au directeur général de l'Observateur, Hakim Arif, s'est interrogée si la Couv' Gantz avait choqué les marocains.
Quand à sa tribune publiée dans le magazine marocain, Benny Gantz a tout dit et dans le respect des « codes » historiques, émotionnels et pragmatiques cités ci-dessus.
Le ministre a entamé sa plaidoirie en faisant honneur aux rois du Maroc protecteurs de leurs sujets de confession juive. «Si le défunt roi Mohammed V a sauvé ses sujets juifs des affres du nazisme», son descendant continue à les protéger à l'image de Rabbin israélien Elhadad, «ayant rendu son dernier soupir lors d’une visite touristique au Maroc, sur lequel a veillé personnellement le Roi Mohammed VI» a écrit Benny Gantz.
Le storytelling du haut responsable israélien est parfait : « Un jour, dans un avenir pas si lointain, je m'assoirai dans mon salon avec mes petits-enfants et je leur raconterai l'histoire de ma visite au Maroc (...) Je leur dirai que même si les liens maroco-israéliens sont souvent liés aux accords révolutionnaires d'Abraham, notre Histoire a commencé il y a longtemps et s’est ancrée dans l'héritage de la communauté juive marocaine».
Si le reste de la tribune colle aux éléments de langage de l'esprit des Accords d'Abraham tels qu'ils sont été présentés par Jared Kushner à savoir paix, prospérité et relations économiques, aériennes et touristiques, Benny Gantz a ajoutée deux nouveaux éléments : «Stabilité de la région et du monde» et «menaces frontalières et aériennes».
L'édito du Directeur de Publication Ahmed Charaï va cadrer implicitement les enjeux et la position du Royaume qui se superposaient aux lots de messages confus véhiculés par cette visite, notamment ceux en lien avec la formalisation de la coopération militaire avec Israël.
Pour M. Charaï, la visite de Gantz au Maroc ne constitue pas de surprise mais le résultat d'une doctrine clairement énoncée qui cadre l'action du Royaume au niveau International.
«Rabat tient à avoir des relations équilibrées avec toutes les puissances. Si les liens avec les USA et l’Europe sont très anciens, le Maroc a aussi développé sa coopération avec la Chine, la Russie, l’Inde, Israël ainsi que d’autres puissances moyennes» a-t-il écrit.
Dans son analyse M. Charaï met en avant les atouts du Maroc en dehors des jeux d'influence avec les hyperpuissances mondiales à savoir son action sur son environnement continental notamment sa stratégie proactive et historique dans le co-développement avec l'Afrique subsaharienne et son rôle moteur dans plusieurs domaines tels que l’environnement ou la sécurité.
L'éditorialiste alerte ainsi les lecteurs et les observateurs sur le pragmatisme du Royaume quand aux risques des manoeuvres géopolitiques des superpuissances. «La sérénité de la vision Royale portée par la diplomatie marocaine est une exception dans le désordre actuel des relations internationales» a-t-il souligné.
Si le chaos est profitable aux pays nucléaires, «le Maroc pragmatique s'inscrit dans la sérénité et la durée», a-t-il insisté. Un pragmatisme assumé qui donne une clarté au positionnement géopolitique du Maroc : «le pays se veut être fiable dans ses partenariats sur les questions sécuritaires et migratoires. Il développe ses partenariats économiques et s'intégrant définitivement à l'économie mondiale globalisée».
«Rabat est considérée comme un facteur de stabilité et de paix dans le monde» a-t-il conclut. C'est justement ces mêmes éléments de langage qu'on retrouve dans la tribune de Benny Gantz.
Rupture stratégique
Il faut céder à la facilité pour juger la coopération militaire maroc-israélienne du prisme des dernières tensions qui ont éclaté avec le voisin algérien. En vérité, la menace algérienne est incomparable à la menace française ou espagnole et au tendance lourdes qui se dessinent au Mali et au détroit de Gibraltar.
L'alliance anglo-saxonne est passée à l'offensive pour reprendre le contrôle de l'ordre mondial. Si les Etats-unis s'occupent de la Chine, la Grande Bretagne pour sa part se charge de contenir l'influence russe grandissante en Europe, en Afrique et en Méditerranée et par la même occasion du parapluie nucléaire de l'Europe que représente la France.
Menacée, l'establishment français n'a plus le choix que de «jouer offensif» pour ne pas perdre définitivement son influence sur ses anciennes colonies, qui pourraient se transformer en cauchemar économique, social et migratoire si leur obédience mue vers une autre puissance.
Paris a vu l'alliance italo-américaine lui «voler» tout son investissement en Libye, a partagé avec amertume la Tunisie avec le Pentagone qui contrôle désormais son armée, a comptabilisé de lourdes pertes au Sahel et avale la couleuvre de la présence renforcée des britanniques et des israéliens dans l'ouest de la Méditerranée et au détroit de Gibraltar.
En réaction, la France joue les trouble-fête en gelant les processus démocratiques en Tunisie et en Libye, en se retirant du Sahel tout en remettant le flambeau aux suédois, ouvrant grande ouverte la porte aux russes et en laissant monter la tension entre le Maroc et l'Algérie.
Dans le corpus doctrinal officiel français en matière de sécurité et de défense, le comportement de Paris est une «Surprise Stratégique» ( événement majeur qui n’avait pas été prévu) et l'action de Rabat est une «Rupture Stratégique» ( qui se définit dans l’acception qui nous intéresse par ses effets majeurs, de nature à transformer profondément la sphère de sécurité et de défense).
C'est avec ce prisme de profonds et lourds changements dans la physionomie des pouvoirs et influences dans notre région du monde qu'on devrait observer et essayer de lire les décisions stratégiques du Royaume et de ses voisins.
Le Maroc ne veut pas de guerre mais doit imposer la paix de par une bonne lecture des menaces et le choix de ses alliances. Sa stabilité qui fait sa distinction dans la région n'est pas uniquement profitable qu'à ses citoyens mais à l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest et de l'Europe de l'Ouest. D'ailleurs, la seule route commerciale stable et sécurisée du continent est celle qui relie Tanger à Abuja. Un fait qui n'aurait eu lieu sans la souveraineté du Royaume sur son Sahara.