Si les troubles qui secouent l’Iran depuis quelques jours sont du pain béni pour Washington, Israël et quelques pays du Conseil de la coopération du golfe, qui y voient une sorte de «printemps perse» et occasion rêvée pour faire tomber le régime des Mollahs, la position de Paris demeure vigilante à ce sujet. La France, principale bénéficiaire de l’ouverture économique de l’Iran après la levée partielle de l’embargo sur ce pays suite à l’accord sur le nucléaire, attend de voir plus clair dans cet imbroglio géopolitique pour pouvoir se prononcer sur un sujet aux ramifications régionales profondes et complexes.
En janvier 2017, il y a tout juste un an, le président iranien, Hassan Rouhani, se rendait en visite de travail à Paris. Plusieurs protocoles d’accords ont été signés entre les deux pays dans les domaines de l’aéronautique, agroalimentaire, pharmaceutique, textile et de l’industrie automobile. Une commande ferme de 127 Airbus au profit de Iran Air avait été annoncée et des projections sont à l’étude quant à l’extension de l’exploitation de certains champs d’hydrocarbures.
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, devait se rendre en ce début d’année à Téhéran pour y préparer la visite du président Emmanuel Macron et la concrétisation des protocoles d’accords paraphés sous son prédécesseur François Hollande. Mais la zone de turbulences par laquelle passe l’Iran a obligé les deux pays, d’un commun accord, à reporter la visite de travail du chef de la diplomatie française en attendant une meilleure visibilité dans les semaines à venir.
Les intérêts de la France dans cette région du monde sont multiples, les uns aussi importants que les autres : militaires, énergétiques, géostratégiques (détroit d’Ormuz et delta de Chatt-el-Arab) et culturels. Et les rapports entre la France et l’Iran des Mollahs ne sont pas nés sur le tard. Ce sont en effet les services du SDECE (ancêtre de la DGSE), sous la houlette du puissant et influent Comte Alexandre de Marenches, qui ont abrité, surveillé, contrôlé et organisé le quartier général de Khomeini à Neauphle-le-Château durant toute la durée de son «exil» dans la région parisienne.
D’ailleurs, le Shah d’Iran, qui recevait régulièrement à cette époque-là un émissaire du Président français Valéry Giscard d'Estaing, en la personne de son ambassadeur et représentant personnel, Michel Poniatowski, en vue de régler le «dossier Khomeini», n’a jamais eu gain de cause auprès des autorités françaises.
Plus, les services de renseignement français appuieront les Mollahs par tous les moyens à préparer la révolution depuis le fief de Khomeini à Neauphle-le-Château jusqu’à presque l’«installer» officiellement au pouvoir en Iran : arrivé à Téhéran le 1 février 1979 dans un vol spécial affrété par le Quai d’Orsay, Khomeini était suivi par toute sa «cour» qui l’accompagnait à bord du Boeing 747 d’Air France retenu pour l’occasion par les autorités françaises.
Le geste du Commandant de bord français, Jean Mouy, tenant le bras de l’Ayatollah Khomeini pour l’aider à descendre les marches de la passerelle de l’avion, est d’une symbolique telle qu’elle reflète l’appui de la France à ce nouveau pouvoir qui venait de chasser la monarchie laïque et moderniste des Pahlavi.
Depuis quarante ans que Paris entretient bon an, mal an, des intérêts aussi stratégiques avec un pays aussi important que l’Iran, ce ne sont pas des «échauffourées» populaires qui vont aujourd’hui inquiéter la France sachant que cette dernière, pragmatique, place ses intérêts supérieurs avant toute considération. Et dans ce cas d’espèce, un Iran fort, qui vient de gagner de surcroît la guerre contre Daech aux côtés de la Russie, de la Syrie, de l’Irak et du Hezbollah, est un pays à soutenir et à appuyer, au risque de laisser place à l’inconnu. Macron l’a compris.