Indubitablement, l’espace méditerranéen demeure une des zones les plus sensibles de la planète tant sur le plan géostratégique que militaire et économique. Si la Mare Nostrum est commandée par la VIe Flotte aéronavale américaine avec Naples comme PC avancé, le flanc est de cet espace est sous influence multiple : russe, israélienne, turque, égyptienne et iranienne par Hezbollah interposé. A l’opposé géographique de cette zone en ébullition où se perpétuent d’interminables conflits armés, le flanc ouest de la Méditerranée contrôlé par le Maroc sur sa rive sud et par l’Espagne au nord, connaît une certaine stabilité. Relative certes mais bien réelle. Ces deux pays, séparés par l’ultra-stratégique détroit de Gibraltar sont avant-postes de leur continent respectif : l’Afrique et l’Europe. Par cette position de choix, le Maroc n’est plus le gendarme de service du vieux continent mais son allié et partenaire stratégique ainsi que celui de l’OTAN. Et l’Espagne est bien consciente de ce statut particulier dont jouit le royaume chérifien. Raison pour laquelle toute la politique étrangère de Madrid prend pleinement en considération les attentes de son voisin méridional, et de même pour Rabat qui fait de l’Espagne une de ses priorités absolues, non seulement en termes de politique de bon voisinage, mais plus globalement dans toute la plénitude de ses relations internationales.
Rabat ne fait pas des questions pécuniaures un moyen de pression
Cette spécificité géopolitique a été confirmée par le roi Mohammed VI en personne qui, lors de la célébration de l’anniversaire de son accession sur le trône, a reçu en audience l’ancien chef du gouvernement espagnol José Luis Rodriguez Zapatero qui était accompagné de son ancien ministre des Affaires étrangères Miguel Angel Moratinos. Ce «fait unique sur le plan protocolaire» a été relevé par Ahmed Charai dans les colonnes du très influent journal espagnol La Razon en n’y voyant pas un hasard mais l’expression d’une relation intense entre les hommes concernés, mais surtout entre les deux pays.
L’axe Rabat-Madrid [demeure} l’axe structurant des rapports entre le Nord et le Sud de la Méditerranée
Cet îlot stable du versant ouest de la Méditerranée connaît un mouvement intense sur le plan des échanges commerciaux internationaux via le détroit de Gibraltar mais aussi un important mouvement migratoire dans le sens sud-nord. Si le canal de Suez côté Est de la Méditerranée est entouré de menaces terroristes vu la situation chaotique en Libye et la grande insécurité qui caractérise la presqu’île du Sinaï, la zone ouest contrôlée par le Maroc et l’Espagne est donnée en exemple comme l’illustration parfaite de la cogestion «des questions comme l’émigration clandestine, le terrorisme transnational et la liberté de navigation» lit-on dans l’analyse de Ahmed Charai. Généralement, les gouvernements des pays frontaliers d’un même espace économique ayant à gérer des problématiques sécuritaires aussi sensibles sont amenés, tout naturellement, à se confronter sur les choix politiques des uns et des autres, notamment vis-à-vis de leurs bases électorales et populaires. Etats-Unis et Mexique en sont le meilleur exemple. Or, «la cohérence des accords entre le Maroc et l’Espagne», relevant de deux espaces politiques et économiques distincts, à savoir l’Afrique et l’Europe, «a permis de diminuer le flux de l’immigration clandestine des candidats africains vers l’Europe» note Ahmed Charai qui explique dans ce sens que «le flux s’est dirigé ailleurs» notamment vers la Libye.
Le Maroc se trouve devant un dilemme : 1) Il est tenu, par conviction politique, de bloquer ses frontières Nord à tout déferlement migratoire non contrôlé ; 2) De par son appartenance au continent africain, le Maroc a géré intelligemment la situation des immigrés clandestins qui restent bloqués au Maroc en régularisant 40000 d’entre eux tout en les faisant bénéficier des soins médicaux et de la scolarisation de leurs enfants. Et comme le Maroc n’a pas vocation à faire le gendarme du vieux continent, et appuyé sur son statut de partenaire et allié stratégique de l’Europe et de l’OTAN, «la profondeur historique et la communauté d’intérêts imposent une proximité encore plus forte» entre les deux pays tient à préciser Ahmed Charai.
En tant que premier partenaire commercial du Maroc, l’Espagne est amenée à jouer un rôle moteur dans le développement des échanges entre les deux pays
Digne, et par respect à son ancrage historique, Rabat ne fait pas des questions pécuniaures un moyen de pression car la coopération remarquable entre Madrid et Rabat sur le plan de la lutte anti-terroriste et contre le trafic de drogue n’a point d’équivalent par la qualité des informations échangées et la confiance parfaite entre les deux pays et leurs services de sécurité respectifs. Cela s’est traduit sur le plan diplomatique par l’échange d’ambassadeurs de premier plan de part et d’autre, et la communauté marocaine installée en Espagne est des plus intégrées en Europe. Et «au-delà des tensions occasionnelles, l’axe Rabat-Madrid [demeure} l’axe structurant des rapports entre le Nord et le Sud de la Méditerranée» confia Ahmed Charai.
Souvenons-nous de l’initiative audacieuse de feu Hassan II de vouloir rallier les deux pays par une liaison fixe. L’idée est née de l’ambition du défunt souverain de réconcilier l’Histoire à la Géographie en reliant deux peuples, deux civilisations, dont les facteurs endogènes et exogènes qui les rapprochent dépassent de loin ceux qui les séparent. Nous ne parlons pas seulement de l’époque d’avant et après 1492 et la chute de Cordoue mais aussi de l’histoire contemporaine et les événements du siècle dernier, la guerre du Rif et les aléas de la colonisation. Ahmed Charai pourrait être d’accord avec nous sur ce constat car il estime, tout comme nous, que «ces éléments d’histoire sont très importants» tout en tempérant qu’ils «ne sont pas décisifs pour comprendre la situation actuelle. » Pour lui, «celle-ci relève de la géopolitique (…) qui condamne les deux partenaires à l’excellence.»
Nous ajouterons à cette dimension géopolitique l’aspect géoéconomique. En tant que premier partenaire commercial du Maroc, l’Espagne est amenée à jouer un rôle moteur dans le développement des échanges entre les deux pays. Notamment dans le Nord mais pas exclusivement. Si l’expérience chinoise n’a pas été concluante pour des raisons objectives, l’ancienne puissance coloniale, de par sa proximité géographique, ses intérêts économiques et les affinités sociales et culturelles avec certaines régions du Maroc, ne peut que multiplier ses investissements dans le cadre d’un concours bilatéral gagnant-gagnant. Et mêmes les grands dossiers en suspens, comme celui des présides et des îles, peuvent être réglés dans le cadre d’un processus politique global audacieux à l’instar de Hong-Kong et de Macao.