Mehdi Tazi : Les relations Maroc-France s’ouvrent sur une ère de co-construction et de coopération stratégique

À l’aube de la visite d’État d’Emmanuel Macron au Maroc, Medi1 TV a offert une édition spéciale de Questions d’actu, plongeant au cœur des enjeux économiques et politiques qui redessinent le partenariat entre Rabat et Paris. Sous la houlette de Khadija Ihsane, Mehdi Tazi, Vice-président général de la CGEM, a livré un éclairage précis et stratégique sur l’évolution des relations entre les deux nations. En revisitant les liens historiques profonds qui unissent le Maroc et la France, il a montré comment, portées par de récentes avancées politiques majeures, ces relations s’ouvrent désormais sur une ère de co-construction audacieuse et de coopération stratégique.

Dès le début de son intervention, Mehdi Tazi a rappelé l’importance des liens économiques qui unissent le Maroc et la France. « Les relations sont évidemment séculaires », a-t-il affirmé, en soulignant que plus de 1 200 entreprises françaises opèrent au Maroc, tandis que les investissements marocains en France continuent de croître, atteignant 1,5 milliard d’euros ces dix dernières années.

Toutefois, il a admis que les échanges économiques avaient subi un ralentissement ces dernières années, notamment en raison des tensions diplomatiques. Cependant, il a noté que les bases solides de cette relation ont permis un redémarrage rapide. « Très clairement, on sent une vraie accélération de l’envie depuis la rentrée », a-t-il déclaré, pointant un regain d’intérêt mutuel entre les deux pays.

Les opportunités offertes par les provinces du Sud

Khadija Ihsane a ensuite interrogé Mehdi Tazi sur l’impact de la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur les provinces du Sud. Selon Tazi, cette reconnaissance ouvre des perspectives économiques importantes pour les entreprises françaises dans la région. Il a évoqué les opportunités offertes par ces provinces, riches en ressources naturelles, et a encouragé les entreprises françaises à s’y installer, notamment dans le secteur agricole.

« Nos provinces du Sud regorgent de richesses et offrent aux opérateurs économiques des avantages comparatifs significatifs », a-t-il souligné, rappelant l’importance de la première déclaration dans ce sens par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie français, qui avait exprimé l’engagement de la France à investir dans cette région.

Une relation plus équilibrée et compétitive

Mehdi Tazi a insisté sur l’évolution des relations entre le Maroc et la France, soulignant que celles-ci ne doivent plus être perçues comme un simple rapport de client à fournisseur. Il a évoqué une dynamique de co-construction, en particulier en Afrique subsaharienne, où les deux pays peuvent travailler ensemble sur des projets stratégiques.

Il a également rappelé que les entreprises marocaines investissent de plus en plus en France, que ce soit dans la distribution, l’agroalimentaire ou la pharmaceutique. « Cette relation, on la perçoit de façon différente », a-t-il expliqué, mettant en lumière la montée en puissance des investissements marocains en Europe et la nouvelle perception de cette relation bilatérale.

Concurrence internationale et intégration industrielle

Un des points marquants de l'intervention de M. Tazi a été l’illustration de la concurrence internationale, en particulier celle des pays asiatiques, dans des secteurs technologiques de pointe. En évoquant l’exemple du train à grande vitesse, Mehdi Tazi a souligné :

“Vous prenez un objet technologique complexe, un train à grande vitesse, vous faites une simple recherche sur Internet, vous vous rendez compte que le train à grande vitesse chinois coûte moins cher. Là où ils peuvent faire la différence, c’est sur le taux d’intégration, parce qu’en réalité, la véritable clé de répartition dans cette discussion bilatérale entre nos deux marchés, elle est basée sur la confiance des arrière-pensées qu’on n’a jamais avec nos partenaires.”

M. Tazi met en lumière l’importance d’une intégration plus poussée des industries dans les relations bilatérales, où chaque pays doit jouer sur ses atouts tout en misant sur une coopération de confiance.

L’importance de la montée en gamme et de la diversification des secteurs

Pour Mehdi Tazi, l’un des principaux défis pour le Maroc est d’accélérer la montée en gamme dans plusieurs secteurs, notamment l’aéronautique, l’automobile et les services. « Le service va prendre de l’espace », a-t-il affirmé, précisant que ce secteur deviendra l’un des principaux moteurs de l’économie marocaine dans les années à venir.

Au sujet de la finance, je pense que le renforcement des régulations en Europe pousse certaines entreprises à voir ailleurs, et donc on l’a vu. On a vu qu’il y avait un certain nombre de sorties dans ce secteur qui ont profité à des opérateurs locaux. Et tant mieux pour nous [..]
Mehdi Tazi, VP Général CGEM - Medi1 TV

M. Tazi a également insisté sur l’importance de développer l’écosystème technologique marocain, en prenant comme exemple Station F à Paris, un centre d’innovation qu’il a visité récemment. Il a souligné la nécessité pour le Maroc de stimuler son propre écosystème de start-ups pour créer des entreprises technologiques fortes.

Les défis liés aux coûts de production et la fuite des talents

Medi Tazi a ensuite abordé la question des coûts de production en France, expliquant que ceux-ci restent un obstacle majeur à la compétitivité des entreprises françaises sur certains segments. « Les produits français sont très souvent beaucoup plus chers », a-t-il déclaré, en faisant référence à des exemples comme les trains à grande vitesse, où la concurrence asiatique offre des coûts bien inférieurs.

Quant à la question de la fuite des talents marocains vers l’étranger, le Vice-président général du patronat marocain a reconnu que ce phénomène reste préoccupant, mais il a également noté un retour progressif de certains talents au Maroc, attirés par des opportunités locales de plus en plus intéressantes. Il a souligné que cette dynamique doit évoluer dans les deux sens, et que la rétention des talents est essentielle pour renforcer la souveraineté économique du Maroc.

Une souveraineté par la diversification des partenaires

Pour conclure, Mehdi Tazi a évoqué le concept de souveraineté, affirmant que « la diversification des partenaires est une forme de souveraineté ». Il a cité l’exemple de la pandémie de Covid-19, durant laquelle l’Europe a pris conscience de sa dépendance excessive à l’égard de l’Asie pour certains produits essentiels, notamment dans le domaine des médicaments.

Il a souligné que cette prise de conscience a offert une opportunité au Maroc, qui doit lui aussi diversifier ses partenariats pour renforcer sa souveraineté économique.

Retranscription des déclarations de Mehdi Tazi

Khadija Ihsane : Donc, le 10 octobre, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a déclaré devant les élus de la nation, je cite : «Le souverain, à tous ses amis et partenaires, il nous plaît d’exprimer notre considération pour leur position favorable à la première cause du Maroc. Nous remercions aussi tous les pays qui traitent économiquement et sous forme d’investissement avec les provinces du sud du royaume comme partie intégrante du territoire national.» Fin de la citation royale.

M. Tazi, pour le domaine des affaires, peut-on affirmer qu’il y a un avant et un après 30 juillet dans les relations économiques entre le Maroc et la France?

Mehdi Tazi : « Merci, merci pour cette question. Les relations sont évidemment séculaires, aussi d’un point de vue économique. Nous avons un peu plus de 1 200 entreprises françaises qui opèrent au Maroc, et nous avons de plus en plus d’entreprises marocaines qui opèrent en France. Le nombre et la taille des investissements marocains en France sont passés d’environ 300 millions d’euros, donc 3 milliards de dirhams, à 1,5 milliard d’euros en l’espace de 10 ans. Donc, on a des relations qui sont là, qui perdurent, qui durent depuis un moment et qui continuent avec toutes les grandes enseignes françaises que vous connaissez au Maroc, mais aussi maintenant marocaines en France, par exemple dans l’agriculture ou encore dans la grande distribution. »

Khadija Ihsane : Donc, les relations ont été, disons, freinées pendant un certain temps, économiques aussi, business aussi. Vous l’avez senti, vous, secteur privé marocain ?

Mehdi Tazi : « Bien sûr. Mais les bases sont là, et donc le redémarrage est plus rapide que s’il fallait démarrer de pas grand-chose. Très clairement, on sent une vraie accélération de l’envie depuis la rentrée.»

Khadija Ihsane : Qu’en est-il justement des investissements français dans les provinces du Sud, M. Tazi ? Comment ces investissements pourraient-ils, en termes peut-être pas de KPIs, mais en tout cas de leur évolution dans le temps, prospérer après cette reconnaissance française de la marocanité des provinces sahariennes ?

Mehdi Tazi : « Je crois que le premier signal qui avait été donné dans ce sens, bien avant le 30 juillet, c’était, je crois, par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui avait, lors de sa visite, annoncé l’investissement ou l’accompagnement financier d’entreprises françaises dans le Sahara marocain. Donc, c’est un premier signal, mais c’est un signal économique également. Nos provinces du sud regorgent de richesses et offrent aux opérateurs économiques, dans certains secteurs, des avantages comparatifs significatifs. Très clairement, les entreprises françaises, dans des secteurs comme l’agriculture, ont tout intérêt à investir là-bas et à s’y installer.»

Khadija Ihsane : Alors, après le 30 juillet 2024, M. Tazi, y a-t-il un soulagement des entreprises françaises ou plutôt du côté marocain ?

Mehdi Tazi : « Écoutez, il y a quelques jours, j’étais au MEDEF et très clairement, j’ai senti un engouement et une forme de soulagement de nos partenaires qui sentaient ce redémarrage et ce regain d’attention, de notre côté, mais disons des deux côtés pour le business entre nous deux. Donc, on le sent comme un retour d’une amitié forte. »

Khadija Ihsane : Vous avez évoqué un point très important, et je vais en profiter pour adresser cette appréhension que beaucoup ont. M. Tazi, vous représentez le secteur privé marocain et on parle du Maroc comme client de la France. Quels sont aujourd’hui les secteurs qui pourraient, bon, effectivement, les relations se remettent sur les rails, mais qui pourraient profiter, être d’un grand intérêt pour les deux pays et pas que le Maroc qui, finalement, achète la technologie française ou du savoir-faire français ? On connaît bien sûr l’automobile, Renault étant aujourd’hui la locomotive de ce secteur à très grande valeur ajoutée pour notre pays, mais qu’en est-il de la suite après notamment ce rapprochement ?

Mehdi Tazi : « Non, je crois que le terme que vous utilisez est important, c’est que la manière dont on voit ce renouveau de la relation, c’est une relation qui est beaucoup plus équilibrée que la façon dont elle était perçue par le passé. Je pense que si on fait un retour 20 ou 25 ans en arrière, c’était une relation, en effet, de client à fournisseur, où nous étions le client. Et la manière dont on perçoit cette relation maintenant, c’est qu’il faut qu’il y ait de la co-construction, soit sur l’Afrique subsaharienne pour notre marché ou pour le marché français lui-même. Donc, cette relation, on la perçoit de façon différente, et les investissements marocains en France viennent justifier cette nouvelle perception de la relation. »

Khadija Ihsane : Quels sont les secteurs ? Par exemple, quels sont les secteurs où les Marocains investissent en France, parce qu’on les connaît peu, finalement ?

Mehdi Tazi : « Si on prend les derniers investissements, on a eu un investissement récent dans la distribution en France, il y a des entreprises marocaines installées dans l’agriculture ou l’agroalimentaire en France, il y a des entreprises dans le secteur qu’on appelle communément l’offshoring, mais là encore en France. Il y a eu un investissement annoncé dans la pharma, encore en France. Donc, il y a des secteurs sur lesquels les entreprises marocaines ont cassé ce plafond de verre et vont investir en France, en Europe de façon générale, mais plus spécifiquement en France pour des raisons de proximité évidente. »

— « Ensuite, quels sont les secteurs sur lesquels on a de la co-construction dans l’industrie avec un paradigme fort, qui est celui de la montée en gamme que nous exigeons, que nous voulons de notre côté pour créer de la valeur ajoutée locale ? Donc, l’industrie, c’est l’aéronautique avec des entreprises comme Safran, et l’automobile avec Renault, Peugeot, c’est le textile, c’est d’autres types d’industries. Nous pensons que dans le service, on a beaucoup mis en avant l’industrie, mais dans le service, on a beaucoup de choses à faire en commun, et pas qu’avec la France, mais très globalement. »

— « Pourquoi ? Parce que le poids du service dans notre économie a vocation à grandir. Lorsqu’on compare, lorsqu’on fait nos benchmarks sur où nous devons être dans une vingtaine d’années, on se rend compte que le service est le secteur, sur les quatre secteurs principaux, disons, l’agriculture, services, BTP, industrie, qui est censé prendre le plus de place. Et c’est un peu le talon d’Achille aussi de notre économie. Pas le talon d’Achille, mais un secteur qui a besoin peut-être d’une attention. Aujourd’hui, 48 % de notre PIB. En Turquie, qui est un pays industriel, c’est plus de 60 %. En France, qui est un pays qu’on connaît, c’est à peu près 80 %. Grosso modo, dans les économies matures, c’est entre 75 et 80 %. Donc, le service va prendre de l’espace, et bien évidemment, on pense que là, on a des opportunités aussi en commun. La tech, ce qu’on appelle communément la tech maintenant, et l’écosystème des start-ups et de la technologie, évidemment, doit prendre une place. Il y a quelques jours, nous étions à Paris, on a visité Station F, par exemple, et on a compris comment est-ce que l’écosystème des start-ups naissait, quel était le rôle de l’État, quel était le rôle des véhicules de l’État qui accompagnaient cet écosystème pour qu’il grandisse. Bien évidemment, on a besoin de le booster chez nous pour que nos entreprises du futur prennent pied aujourd’hui et naissent dans notre économie aujourd’hui. »

Khadija Ihsane : Quand vous dites services, est-ce que la finance est partie intégrante de ces services ? Vous êtes un professionnel justement de l’assurance. Est-ce qu’on pourrait envisager, surtout que, bon, pour ne pas parler du secteur bancaire, parce qu’on connaît la situation aujourd’hui, est-ce qu’on pourrait envisager aussi de monter en gamme dans l’offre marocaine?

— « Sur la finance, c’est un peu spécifique parce que, c’est une lecture qui m’est propre, je pense que le renforcement des régulations en Europe pousse certaines entreprises à voir ailleurs, et donc on l’a vu. On a vu qu’il y avait un certain nombre de sorties dans ce secteur qui ont profité à des opérateurs locaux. Et tant mieux pour nous, mais je ne le vois pas comme le secteur principal sur lequel on peut faire des choses. Mais pourquoi pas, mais pourquoi pas, et pas qu’avec la France. »

Khadija Ihsane : M. Tazi, bien sûr, cette question, qui peut quand même faire grincer des dents beaucoup de Marocains, c’est la question des talents, de la formation, et ces talents qui, finalement, choisissent la France et qui sont formés, ça a été rappelé à très juste titre par M. Abdelmalek Alaoui, ils sont formés par l’État marocain, par l’argent du contribuable marocain, et ils profitent aux entreprises françaises. C’est une question que nous avons traitée sur ce même plateau lors de précédentes émissions, et elle persiste, c’est une problématique qui est toujours là. C’est votre rôle, en tant que secteur privé, de garder aussi les cerveaux marocains au Maroc ?

Mehdi Tazi : « Écoutez, évidemment qu’on ne peut pas être content de voir des talents partir. Je crois que, la façon dont je le vois, c’est que l’évolution de ces départs est moins importante qu’elle ne l’était. On voit de plus en plus de jeunes revenir, on voit de plus en plus de jeunes ne pas partir mais profiter d’opportunités offertes par des entreprises dans le conseil en stratégie, dans l’ingénierie, de grands groupes industriels marocains ou non marocains, qui offrent des jobs de qualité ici. Et on voit des gens partir après leur carrière, quand ils ont été patrons de grands groupes ici, grands groupes étrangers opérant ici, par exemple, repartir occuper des positions mondiales au sein des mêmes groupes. Donc, je pense que la dynamique a changé partiellement et est en train de changer encore davantage. On ne pourra pas empêcher des gens de partir. Ce qu’il ne faut pas, c’est que ce soit systématique et que cela ne se fasse pas dans les deux sens. Si vous voulez, le nerf de la guerre, aujourd’hui, au 21e siècle, c’est ce concept de souveraineté. »

Khadija Ihsane : Un mot de la fin, M. Tazi, justement, sur ce modèle marocain dans le cadre d’un partenariat renouvelé entre les deux pays, entre Rabat et Paris.

Mehdi Tazi : « Pour rajouter à ce que disait mon ami M. Abdelmalek Alaoui, je crois que la souveraineté peut se définir sous plusieurs aspects. L’un des aspects que je voudrais rajouter, c’est que la diversification des partenaires est une forme de souveraineté. Ce qui s’est passé, par exemple, pendant le Covid en Europe, c’est qu’ils se sont rendus compte que sur certains médicaments, ils dépendaient exclusivement de l’Asie. Et là, c’est un problème. Et donc, ça nous a donné une opportunité, c’est que la diversification des partenaires permet d’assurer une forme de souveraineté par l’augmentation du choix. »

Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist
20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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