Vincent Hervouët revient sur les célébrations du Débarquement en Normandie, questionnant la véritable nature de ces commémorations : honorer les sacrifices passés ou anticiper les conflits futurs. En remontant l'histoire des cérémonies, il souligne le passage du silence respectueux sous De Gaulle à une grandiose mise en scène internationale depuis Mitterrand. Alors que les dirigeants occidentaux actuels, plongés dans leurs propres batailles politiques, se rassemblent pour rappeler les alliances historiques, l'ombre de la guerre en Ukraine et les tensions géopolitiques contemporaines projettent une inquiétante perspective sur ce jour de mémoire.
Dans sa chronique ce jeudi 6 juin sur Europe 1, l'éditorialiste de politique étrangère Vincent Hervouët est revenu sur les célébrations en Normandie, en posant une question troublante : s'agit-il de célébrer la Seconde Guerre mondiale ou de préparer la troisième ?
En Normandie, il a été observé que l’on se met au garde-à-vous devant 100 000 tombes alignées dans les cimetières militaires. Les soldats enterrés sont principalement des Allemands, des Américains, des Britanniques, des Canadiens, des Belges, des Néerlandais, des Tchèques et des Polonais. Parmi eux, de nombreux Français sont également présents, mais il s’agit de civils, victimes des bombardements, reposant souvent dans des caveaux de famille au cimetière du village.
Sous les présidences de De Gaulle, Pompidou et Giscard, le 6 juin se résumait à une cérémonie militaire discrète, où un ministre venait saluer les anciens combattants. Le silence imposé par le respect pour les morts régnait alors.
Cependant, depuis que François Mitterrand a instauré les commémorations internationales du débarquement, avec un défilé de dignitaires et une médiatisation intense, le 6 juin est devenu une journée chargée de protocoles et de discours. On a successivement célébré le courage, l’Amérique, la paix, l’Europe réconciliée, la liberté, la démocratie, et finalement, les participants eux-mêmes.
Cette année, les dirigeants occidentaux sont en pleine campagne électorale. Joe Biden joue sa survie politique en novembre, Rishi Sunak au Royaume-Uni dans un mois, et Emmanuel Macron risque un désaveu dans quelques jours. Volodymyr Zelensky, bien que son mandat soit terminé, continue à régner comme un roi sans royaume.
Le 6 juin est désormais perçu comme une réunion de famille des Occidentaux, où les Européens se retrouvent avec leurs cousins américains. L'Asie, l'Afrique et l'Amérique latine semblent être oubliées. La Russie, pour cause de guerre, n’est pas invitée cette année. Pourtant, il y a dix ans, malgré l'annexion de la Crimée et du Donbass, Vladimir Poutine avait été convié, permettant des discussions importantes avec François Hollande, Angela Merkel et le président ukrainien de l’époque, Petro Porochenko.
La guerre qui change tout n’est pas seulement le conflit territorial aux confins de l’Europe, mais une nouvelle guerre froide opposant l'Occident à une alliance russo-chinoise, soutenue par l'Iran et la Corée du Nord. Cette fracture mondiale, accélérée par l'invasion russe, ruine l'Europe et hante les discussions entre Joe Biden et Emmanuel Macron. Une victoire du Kremlin mettrait l’Europe en danger et briserait la crédibilité américaine, ouvrant la porte à davantage de menaces globales.
L'Élysée a exprimé l'ambition de mener une coalition prête à envoyer des instructeurs en Ukraine, même si cela ne changera pas le rapport de force sur le terrain. La France semble vouloir revivre la Seconde Guerre mondiale, tandis que Joe Biden craint la troisième et refuse d'envoyer des troupes sur le terrain. Il est crucial que l'armée ukrainienne tienne le choc, car ni la Russie ni l'Ukraine ne souhaitent négocier avant les prochaines élections américaines.
Les cimetières ukrainiens, bientôt aussi vastes que ceux de Normandie, ne verront probablement pas de commémorations fastueuses. La gravité de la situation est telle que l’on préfère éviter les discours vides et se concentrer sur les enjeux réels qui se profilent à l’horizon.