1XBET, machine à blanchir ? Le scandale sénégalais qui révèle l’opacité des paris en ligne

1XBET Sénégal : plongée dans le scandale financier qui secoue l’univers des jeux en ligne

Depuis une dizaine d’années, l’Afrique de l’Ouest assiste à une véritable explosion des jeux d’argent en ligne. Des plateformes internationales, comme 1XBET, y ont trouvé un marché jeune, connecté, avide de paris sportifs et de loteries virtuelles. Au Sénégal, ce secteur est théoriquement encadré par la LONASE (Loterie nationale sénégalaise), bras armé de l’État chargé de superviser et canaliser les flux financiers générés par ce business florissant.
Mais la croissance rapide de ces opérateurs, associée à des régulations encore fragiles, a ouvert la voie à des dérives. C’est dans ce contexte que surgit l’affaire Mouhamadou Dieng, directeur général de 1XBET Sénégal, aujourd’hui au cœur d’un scandale de blanchiment de capitaux présumé évalué à près de 4 milliards de francs CFA – soit plus de 6 millions d’euros.

Rapport acablant des autorités sénégalaises

La CENTIF (Cellule nationale de traitement des informations financières), l’équivalent sénégalais de la cellule de renseignement financier l’ANRF au Maroc, a publié en juillet 2025 un rapport complémentaire qui accable directement le dirigeant de 1XBET.

Selon ce document transmis au Parquet financier, en seulement onze mois, Mouhamadou Dieng aurait fait transiter 3,8 milliards de FCFA ( 5,8 millions d’euros ) par des circuits parallèles, masqués derrière une constellation de sociétés-écrans et des acquisitions patrimoniales hors de proportion avec ses revenus officiels (1,5 million FCFA par mois, soit environ 2 300 euros).

Un patrimoine qui défie la logique

Les enquêteurs ont dressé un inventaire stupéfiant :

  • Immeubles et appartements de standing à Dakar (quartiers Mamelles, Sacré-Cœur, Cité Mbackiyou Faye).
  • Un immeuble R+6 érigé à Sacré-Cœur par la société Zeyna.
  • Un complexe immobilier à Saly Portudal, station balnéaire prisée, comprenant trois villas dont une sur un hectare.
  • Des terrains agricoles et urbains à Touba Toul, Nguénienne et Wakhinane.
  • Un parc automobile de 45 véhicules, dont certains auraient été offerts à des responsables de la LONASE.
  • Du matériel de sonorisation acheté en liquide pour 250 millions FCFA.

Tout cela construit en quelques années par un homme dont les revenus déclarés étaient modestes au regard de ce patrimoine colossal.

Le schéma présumé de blanchiment : jeux, immobilier et fondation caritative

Les enquêteurs décrivent un mécanisme à plusieurs étages :

  1. Les revenus des paris en ligne, en partie dissimulés hors des circuits de contrôle de la LONASE.
  2. Des flux financiers redirigés vers des sociétés-écrans (immobilier, location de véhicules, communication).
  3. Une centralisation des montants via un compte notarial ayant encaissé près de 3,8 milliards FCFA en 11 mois.
  4. Une redistribution philanthropique via la Fondation Mouhamad Rassoul Dieng : remise publique d’enveloppes de 100 000 FCFA à d’anciens détenus, filmées et diffusées sur YouTube. Pour la CENTIF, il s’agit d’une stratégie de “blanchiment par intégration sociale” donnant une respectabilité à des fonds suspects.
Des relations troubles avec la Loterie nationale

L’affaire prend une dimension institutionnelle lorsque les enquêteurs mettent en lumière des relations privilégiées avec la LONASE :

  • En 2023, la société MIR Holding de Dieng a conclu un contrat de location-vente de six immeubles destinés à la LONASE, en dehors des procédures normales de marchés publics.
  • En 2024, une autre société, MD Global Business Service, a facturé plus de 17 millions FCFA à la LONASE pour la location de véhicules.
  • Surtout, une partie des flux issus des jeux 1XBET aurait échappé au système de centralisation obligatoire, compromettant la traçabilité des mises et des gains.

Ces éléments laissent entrevoir un système de collusion où l’opérateur de jeux en ligne bénéficiait de complicités pour contourner les règles.

Des implications judiciaires majeures

Le cadre légal sénégalais est clair : la loi n°2024-08 du 14 février 2024 prévoit jusqu’à 10 ans de prison et des amendes doublant les montants blanchis. En outre, la disproportion flagrante entre revenus déclarés et patrimoine ouvre la voie à des poursuites pour fraude fiscale, passibles de 5 ans d’emprisonnement et de lourdes pénalités.

L’affaire ne concerne pas seulement 1XBET : d’autres plateformes opérant au Sénégal (Paymetrust, PayDunya, Universal Payment) sont désormais dans le collimateur pour des flux financiers jugés “atypiques”.

Au-delà du cas Dieng : un signal régional et systémique

Cette enquête illustre les zones grises des jeux d’argent en ligne en Afrique de l’Ouest : un secteur en pleine expansion, porté par la digitalisation et la jeunesse connectée, mais où la régulation peine à suivre. Pour le Sénégal, souvent cité comme modèle de stabilité institutionnelle, l’affaire Mouhamadou Dieng et 1XBET constitue un test grandeur nature de sa capacité à encadrer les flux financiers issus des paris sportifs, devenus tentaculaires.

Mais réduire ce scandale à une anomalie sénégalaise serait une erreur. Derrière l’image ludique des paris en ligne se cache un écosystème financier global et opaque, où les flux circulent sans frontières claires, échappant aux radars fiscaux et judiciaires. Déjà surveillée en Europe de l’Est et en Russie, la plateforme 1XBET a trouvé en Afrique un terrain fertile, exploitant les failles réglementaires pour déployer des schémas financiers d’ampleur internationale.

Et si le Sénégal a levé le voile sur ce mécanisme, il est peu probable que ce modèle s’arrête à ses frontières. Dans des pays comme le Maroc, où l’ANRF est désormais l’organe central de lutte contre le blanchiment et où les paris en ligne suscitent un intérêt croissant, les mêmes risques existent. L’opacité qui caractérise 1XBET n’est pas un cas isolé : elle est structurelle et systémique, posant une question urgente aux États africains comme européens : jusqu’où toléreront-ils que ces plateformes exploitent les failles de régulation pour prospérer dans les zones grises de la finance mondiale ?

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