Le Maroc a choisi de s’abstenir, aux côtés de l’Algérie, du Brésil, de l’Indonésie, du Qatar, du Mexique et de l’Afrique du Sud, lors du vote sur un projet de résolution occidental au Conseil des droits de l’homme de Genève visant à prolonger d’un an le mandat du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Russie. Moscou a qualifié ce texte d’outil de «pression politique» émanant du bloc occidental.
Cette abstention révèle une lecture diplomatique nuancée : Rabat privilégie la flexibilité à l’alignement rigide, au moment où la Russie, présidente en exercice du Conseil de sécurité, s’apprête à superviser les discussions sur le dossier du Sahara marocain.
Selon l’agence russe TASS, seules 20 nations sur 46 ont voté pour la résolution, essentiellement des membres de l’Union européenne et de l’OTAN. Huit pays s’y sont opposés, tandis que 18 – dont le Maroc – ont choisi la neutralité.
Ce positionnement n’est pas inédit dans la diplomatie marocaine. Il illustre une volonté constante : éviter de se laisser enfermer dans une logique de blocs, tout en gardant la porte ouverte au dialogue avec chaque puissance influente.
Cette posture de non-alignement raisonné renforce la capacité du Royaume à préserver son autonomie stratégique dans un contexte international marqué par la polarisation et la rivalité systémique.
Cette décision intervient à un moment clé : la Russie assure la présidence tournante du Conseil de sécurité de l’ONU, qui doit prochainement examiner un nouveau projet de résolution relatif au Sahara.
Le texte, porté par les États-Unis, abordera la prolongation du mandat de la MINURSO et pourrait rouvrir le débat sur son champ d’action. Dans ce contexte, le Maroc a visiblement préféré adopter une posture de retenue à Genève, évitant d’apparaître comme un opposant direct de Moscou au moment même où celle-ci détient le levier institutionnel des débats onusiens.
Des signaux de coordination entre Rabat et Moscou
À la veille du vote, le 9 octobre, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Vershinin, a reçu à Moscou l’ambassadeur du Maroc, Lotfi Bouchaâra. Selon le communiqué officiel du ministère russe, la rencontre a porté sur «le renforcement des relations bilatérales, la coordination politique et l’examen du programme du Conseil de sécurité durant la présidence russe».
Les deux responsables ont échangé sur la situation en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et dans la région du Sahel, réaffirmant «leur attachement à des solutions politiques et diplomatiques des conflits».
La mention explicite du dossier du Sahara marocain dans le communiqué russe souligne la densité du dialogue entre les deux capitales et laisse entrevoir un alignement de ton mesuré, sinon un véritable deal tacite de neutralité réciproque.
Quelques jours plus tôt, le 24 septembre à New York, en marge de la 80ᵉ session de l’Assemblée générale de l’ONU, Sergueï Lavrov s’était déjà entretenu avec Nasser Bourita. Les deux ministres avaient alors réaffirmé leur volonté de maintenir une coordination diplomatique étroite et de privilégier les solutions politiques et pacifiques aux crises du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et du Sahel, dans le respect des principes du droit international et du rôle central des Nations Unies.
La doctrine marocaine du «non-alignement actif»
Depuis plusieurs années, la diplomatie marocaine s’affirme comme un modèle d’indépendance équilibrée. Cette doctrine, initiée sous l’impulsion royale, repose sur trois principes majeurs :
- La diversification des partenariats : Rabat entretient des relations stratégiques avec Washington, Paris, Pékin et Moscou sans hiérarchiser les alliances.
- La primauté des intérêts nationaux : le Maroc agit selon ses priorités souveraines, en premier lieu la défense de son intégrité territoriale.
- La maîtrise du tempo diplomatique : refuser la précipitation et maintenir le cap du dialogue, même dans les moments de tension.
Cette approche permet au Royaume de naviguer avec agilité dans un environnement international fragmenté, en évitant les pièges d’un alignement idéologique.