Les États-Unis amorcent un tournant discret mais déterminant dans leur présence militaire en Afrique. Moins de discours sur la gouvernance, plus de pression sur les partenaires pour qu’ils assument leur propre sécurité : c’est le message porté par le général Michael Langley, commandant d’AFRICOM, lors de l’exercice African Lion au Maroc. En toile de fond, une réévaluation stratégique qui pourrait aller jusqu’au démantèlement d’AFRICOM, au profit d’un recentrage sous le commandement européen. Une évolution qui rebat les cartes de la coopération sécuritaire sur le continent africain, où les influences russe et chinoise s’intensifient.
L’administration Trump et le Pentagone revoient actuellement l’avenir de leur commandement militaire dédié à l’Afrique, a déclaré le plus haut responsable militaire américain pour le continent, appelant les gouvernements africains à faire entendre leur voix à Washington quant à un éventuel remaniement.
Le général Michael Langley, commandant de l’U.S. Africa Command (AFRICOM), a réaffirmé ces propos en amont d’une conférence des chefs d’état-major africains de la défense, organisée au Kenya.
Vers une autonomie opérationnelle des partenaires africains
Lors d’un entretien accordé à Reuters, le général Langley a déclaré que les États-Unis souhaitaient amener leurs partenaires africains à un niveau d’opérations militaires autonomes.
« Nous devons atteindre le point où nos partenaires sont capables de mener des opérations de manière indépendante. », a-t-il lancé.
La 21ᵉ édition d’African Lion, à laquelle ont participé plus de 40 pays, a été le théâtre de cette nouvelle approche. L’exercice a mis l’accent sur les manœuvres interarmées (terre, air, mer), les tirs de précision et l’utilisation de drones, mais les messages de fond ont évolué : moins de référence à la bonne gouvernance, plus de discours sur le partage du fardeau sécuritaire.
Une réorganisation en cours : l’existence d’AFRICOM en question
En marge de ces exercices, Reuters révèle que l’administration Trump étudie une possible dissolution d’AFRICOM, créé en 2008, pour transférer ses responsabilités au Commandement européen des États-Unis (EUCOM).
Cette éventuelle réorganisation s’inscrit dans une volonté plus large du président Trump de réduire la taille du Pentagone, d’alléger la bureaucratie militaire et de restreindre l’empreinte des forces américaines en Afrique.
Le général Langley a confirmé avoir discuté du sujet avec plusieurs responsables africains et a souligné l’importance de leur participation dans le débat en cours à Washington.
« J’ai parlé à plusieurs ministres de la Défense et à quelques présidents pour leur dire que nous étions en phase d’évaluation », a-t-il indiqué.
Il a ajouté que les gouvernements africains devraient exprimer leurs positions sur l’avenir d’AFRICOM via leurs ambassadeurs à Washington :
« C’est ce que je leur dis : si nous sommes aussi importants pour vous, faites-le savoir, et nous verrons. »
Un nouvel arbitrage stratégique face à l’activisme croissant de la Chine et de la Russie
Avant 2008, les opérations militaires américaines en Afrique étaient gérées à partir de commandements régionaux situés ailleurs. La création d’AFRICOM a marqué un tournant stratégique, reconnaissant l’importance croissante du continent pour la sécurité nationale américaine, notamment face à la montée des insurrections islamistes et à la concurrence géopolitique croissante de la Chine et de la Russie.
Les États-Unis comptent encore environ 6 500 personnels militaires en Afrique, mais leur présence s’effrite. En Afrique de l’Ouest, marquée par l’emprise croissante des groupes armés affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique, et par une série de coups d’État militaires (Mali, Burkina Faso, Niger), les nouveaux régimes se sont rapprochés de la Russie. En 2024, le Niger a exigé le départ des forces américaines et la fermeture d’une base de drones de 100 millions de dollars à Agadez. Washington a confirmé son retrait complet en septembre.
Dans la foulée, la Russie a envoyé des instructeurs militaires et du personnel du ministère de la Défense au Niger, pour former les forces locales et mettre en place un système de défense aérienne. La Chine, de son côté, renforce discrètement ses propres programmes de coopération militaire sur le continent.
Des armées locales sous-équipées face à la menace djihadiste
Si les frappes américaines, notamment en Somalie, se poursuivent, l’autonomie des forces locales reste très limitée. Langley reconnaît les progrès de l’armée somalienne, mais admet que des lacunes opérationnelles persistent.
« Ils essaient de trouver leur voie… mais il leur manque encore certaines choses essentielles sur le terrain.»
Malgré ce contexte difficile, le général Langley a souligné que les États-Unis poursuivaient un partage limité de renseignements avec certains régimes militaires de la région, et qu’ils exploraient d’autres moyens de rester engagés et de soutenir les efforts de stabilité sur le continent.
Selon le Global Terrorism Index, plus de la moitié des victimes du terrorisme dans le monde en 2024 ont été recensées dans le Sahel, où l’infrastructure militaire reste très faible et les armées nationales mal équipées.
Une approche globale affaiblie, un avenir incertain
Autrefois cœur de la doctrine américaine en Afrique, l’approche inter-agences (« whole of government ») qui combinait défense, diplomatie et développement, cède désormais la place à une logique plus transactionnelle. Langley, qui quittera ses fonctions d’ici la fin de l’année, concède avoir vu à la fois des avancées et des reculs.
« J’ai toujours dit qu’AFRICOM n’est pas seulement une structure militaire. Mais aujourd’hui, les priorités ont changé. »