Cartographier l’ombre : quand Abdellatif Hammouchi éclaire les angles morts de la sécurité internationale

Dans un monde fracturé par les conflits asymétriques et les fractures numériques, la sécurité n’est plus l’apanage des frontières, mais celle de l’interconnexion. Depuis Moscou, Abdelatif Hammouchi, chef de la sécurité marocaine, a livré un diagnostic sans détour : la menace est globale, mouvante, polymorphe – elle migre, se numérise, s’enracine là où l’État recule. À travers un discours rigoureux, chiffré et lucide, le Maroc pose les bases d’une doctrine sécuritaire fondée sur la coopération équitable, le renseignement partagé et la vigilance collective. Plus qu’un exposé sécuritaire, une feuille de route pour repenser la souveraineté à l’heure des menaces hybrides.

Depuis Moscou, Abdelatif Hammouchi, Directeur général du po^le DGSN-DGST, a livré un message clair : la sécurité mondiale ne peut être garantie que par une architecture collective, juste et équitable, fondée sur la coordination étroite entre services de renseignement, au-delà des logiques de domination ou de dépendance.

Des données concrètes qui alertent

M. Hammouchi a présenté des chiffres marquants :

  • 62 criminels étrangers interpellés par le Maroc en un an et demi, tous recherchés pour des faits graves (terrorisme, meurtres, cybercriminalité, pédocriminalité…).
  • Ces individus opéraient à l’échelle des quatre continents et utilisaient des faux papiers, témoignant de réseaux de soutien structurés.

Ces arrestations démontrent l’efficacité des dispositifs marocains, mais aussi l’ampleur de la menace internationale et la nécessité de partager les renseignements en temps réel.

Le Maroc en alerte face au terrorisme

Le Royaume a anticipé l’extension du terrorisme sur le continent africain, en particulier l’enracinement d’Al-Qaïda et de Daech.

  • La DGST a empêché en 2025 la création d’une “Wilaya al-Maghrib al-Aqsa”, projet de Daech visant à établir une base entre le Maghreb et l’Europe.
  • Plus de 40 cellules terroristes ont été démantelées récemment.
  • 132 extrémistes marocains ont été repérés quittant le pays pour rejoindre des zones de guerre, notamment la Somalie, le Sahel et le sud du Sahara.
Une Afrique devenue front avancé du jihadisme

Le diagnostic est alarmant :

  • 51 % des victimes du terrorisme mondial recensées entre 2022 et 2025 proviennent du Sahel.
  • Al-Shabaab en Somalie et Daech au Puntland élargissent leur emprise territoriale.
  • Ces groupes terroristes s’inspirent des stratégies de Daech en Syrie et en Irak : ancrage territorial, propagande et terreur.
Cyberespace : le nouveau champ de bataille

Le discours de M. Hammouchi a particulièrement insisté sur le terrorisme numérique :

  • Plus de 600 extrémistes cyber-opérationnels ont été neutralisés depuis 2016.
  • Les plateformes affiliées à Daech et Al-Qaïda diffusent désormais des formations idéologiques et techniques à distance (fabrication d’explosifs, recrutement, cryptomonnaie…).
  • Exemple : la branche “Sawt Khorasan” finance ses actions via des dons cryptés et cible les diasporas en Europe.
Le cas des camps syriens : une bombe à retardement

Le Maroc n’oublie pas les 50 000 anciens combattants de Daech encore détenus dans les camps contrôlés par les Forces Démocratiques Syriennes, dont plus de 600 Marocains (hommes, femmes et enfants).

Cette situation pose un risque sécuritaire majeur à long terme : radicalisation, évasion, recyclage idéologique.

Un appel à l’unité face à des menaces asymétriques

M. Hammouchi a conclu sur l’importance :

  • D’un échange fluide d’informations et d’expertises,
  • D’un cadre éthique de coopération, basé sur le respect de la souveraineté,
  • Et d’une responsabilité collective dans la cybersécurité, face à des menaces qui ne connaissent ni frontières, ni fuseaux horaires.

Fiche stratégique | Menaces sécuritaires rapportées par M. Abdelatif Hammouchi

I. Menaces transnationales détectées par le Maroc
TypologieDescriptionImpacts/Enjeux
Criminalité organisée internationaleArrestation de 62 ressortissants étrangers (25 nationalités, 4 continents), recherchés pour crimes graves (meurtres, cybercriminalité, pédocriminalité, trafic, blanchiment)Mobilité illicite facilitée par les faux papiers ; risque de dissémination mondiale des méthodes criminelles
Piraterie & menaces aériennesEx : attaque en mer (oct. 2023) entre Tan-Tan et Lanzarote ; tentatives de détournement sur vols civilsCriminalité maritime & vulnérabilité de l’aviation ; hybridation avec migration irrégulière

II. Radicalisation & terrorisme : foyers et mutations
Zone / GroupeDétailsRisques spécifiques
Afrique (Maghreb-Sahel)Tentative de Daech de créer une “Wilaya al-Maghrib al-Aqsa” ; plus de 40 cellules démantelées au Maroc ; 132 extrémistes marocains partis en AfriqueRisque d’enracinement régional ; projection vers l’Europe
Sahel51 % des victimes mondiales du terrorisme (2022–2025) y sont recenséesEffondrement des États, zones hors-contrôle, effet domino
Corne de l’AfriqueAl-Shabaab et Daech (Puntland) gagnent du terrain, selon un modèle de territorialisation à la syrienne/irakienneMenace durable de sanctuarisation jihadiste
Diasporas & EuropeDaech-Khorasan recrute dans les communautés caucasiennes et centrasiatiques ; recours aux cryptos via la propagande “Sawt Khorasan”Risques d’attaques low-cost en Europe ; difficile traçabilité financière
Camps en Syrie (FDS)45 000 à 50 000 anciens membres de Daech détenus, dont 600 Marocains (200 hommes, 130 femmes, 300 mineurs)Bombe à retardement démographique et idéologique

III. Cybermenaces et virtualisation du djihad
MenaceDescriptionEnjeux
Cyberterrorisme+600 extrémistes cyber neutralisés depuis 2016 ; diffusion massive de contenus de formation (idéologie, explosifs…)Endoctrinement à distance ; démocratisation de la compétence technique
Cyberattaques stratégiquesCiblent les infrastructures vitales des ÉtatsDésarmer les États par paralysie technologique
Cryptomonnaie & financementUtilisation de dons anonymes pour financer des opérations terroristesTraçabilité complexe ; contournement des dispositifs classiques de lutte contre le financement du terrorisme

Conclusion stratégique

La lecture de M. Hammouchi révèle un paradigme : les menaces ne sont plus géolocalisées mais interconnectées, physiques et numériques, asymétriques et hybrides.

Le Maroc propose une doctrine claire :

  1. Sécurité collective indivisible
  2. Coopération gagnant-gagnant
  3. Échange de renseignement temps réel
  4. Approche préventive et globale


Traduction de l’intervention intégrale de M. Abdellatif Hammouchi

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Au nom de la délégation du Royaume chérifien Maroc participant à cette réunion, j’ai l’honneur d’adresser à la Fédération de Russie, à son gouvernement et à son peuple, l’expression de mes plu sincères remerciements et de ma profonde gratitude pour l’hospitalité chaleureuse et al générosité de l’accueil dont a été gratifiés. Je tiens également à saluer hautement les efforts louables déployés par ceux qui ont veillé à l’organisation de cette réunion de sécurité générale, qui s’inscrit dans un contexte international et régional marqué par de nombreux défis stratégiques et empreint de nombreuses menaces non conventionnelles qui pèsent sur la sécurité et la stabilité mondiales.

Le Royaume chérifien du Maroc est pleinement conscient que la voie principale pour neutraliser les risques et les menaces stratégiques croissantes réside dans la nécessité de bâtir une infrastructure sécuritaire commune et indivisible, à laquelle contribuent les services nationaux de sécurité et de renseignement, en coopération et coordination étroites avec leurs homologues à travers le monde.

Dans un monde ouvert, caractérisé par la mobilité permanente des personnes à travers les frontières nationales, par l’interconnexion des entités criminelles et par l’alimentation continue des structures criminelles virtuelles, il devient impératif de créer des fronts sécuritaires communs, capables de contenir et d’accompagner l’extension internationale des menaces sécuritaires, et de garantir un échange d’informations de renseignement à même de les neutraliser rapidement et en toute sécurité.

Le Royaume du Maroc estime également que la coopération juste et équitable entre les États, fondée sur le principe du gagnant-gagnant, demeure la condition essentielle de réussite de toute infrastructure sécuritaire commune visant à faire face aux menaces émergentes de notre monde contemporain.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de vous présenter quelques indicateurs chiffrés qui révèlent l’ampleur croissante de l’interconnexion internationale des menaces stratégiques, et qui nous imposent, en retour, de renforcer la coopération sécuritaire au sein d’une architecture collective, commune et équitable.

Au cours de l’année 2024 et des trois premiers mois de l’année 2025, les services de sécurité au Maroc sont parvenus à interpeller 62 ressortissants étrangers, originaires de 25 nationalités différentes, alors qu’ils tentaient de se faufiler à travers les points de passage frontaliers pour échapper à des mandats d’arrêt internationaux émis à leur encontre par les autorités compétentes de pays situés sur quatre continents : l’Europe, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique.

L’observation principale qui se dégage est que tous ces ressortissants étrangers interpellés étaient impliqués dans des menaces et des crimes graves, parmi lesquels figurent : l’appartenance à des groupes criminels armés, des homicides volontaires dans le cadre de règlements de comptes, des cybercrimes, des agressions sexuelles sur enfants, le blanchiment d’argent, ainsi que le trafic illicite de drogues au sein de réseaux de criminalité organisée.

Ces individus recherchés au niveau international ont, dans la plupart des cas, bénéficié d’un réseau de falsification de pièces d’identité et de documents de voyage, ce qui a facilité leur mobilité et leurs déplacements à travers les frontières nationales des États. Cette situation constitue un signal d’alerte quant au risque de transfert et de diffusion de leurs méthodes criminelles dangereuses vers de nombreuses régions du monde.

Les services de sécurité marocains avaient déjà alerté leurs partenaires régionaux et internationaux au sujet de ces menaces récurrentes, et tiré la sonnette d’alarme concernant les profondes mutations que connaissent certaines formes de criminalité organisée, notamment les opérations de migration irrégulière, qui se sont transformées, dans certains cas, en actes de piraterie maritime — comme ce fut le cas le 3 octobre 2023, dans les eaux territoriales situées entre la ville de Tan-Tan et l’île de Lanzarote dans l’océan Atlantique — ou encore les actes de menace visant des installations d’aviation civile et des avions commerciaux, comme cela s’est produit lors de plusieurs vols reliant le Maroc à la Turquie, via l’Espagne et Malte.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Partant de sa conviction profonde que la lutte contre le terrorisme est une responsabilité partagée, les services de sécurité marocains ont été à la fois pionniers et précurseurs à tirer la sonnette d’alarme, dès l’apparition des premiers signes d’une extension géographique de la menace terroriste, en alertant sur la transformation du continent africain en un terreau propice à l’organisation Al-Qaïda, dont ont émergé par la suite les différentes ramifications et pôles terroristes régionaux.

Les opérations sécuritaires menées par la Direction Générale de la Surveillance du Territoire (DGST) durant les premiers mois de l’année 2025 ont contribué à empêcher l’expansion et l’élargissement du périmètre géographique de l’organisation Daech, qui pariait sur la création d’une nouvelle wilaya sous l’appellation de “Wilaya al-Maghreb al-Aqsa”, en tant qu’étape préparatoire visant à recycler et exporter ses plans terroristes vers l’Afrique du Nord et l’Europe.

En dépit de tous les succès sécuritaires enregistrés et des lourdes pertes essuyés par les organisations Al-Qaïda et Daech dans leurs bastions traditionnels — la dernière en date étant l’élimination du chef des opérations extérieures et numéro deux de Daech, Abdallah Makki Muslih al-Rufay’i—, nous continuons à faire face, avec une extrême vigilance, aux menaces persistantes que représentent ces deux organisations, en raison de leur capacité à inspirer les éléments de leurs partisans à travers le monde et à se redéployer dans plusieurs zones voisines du Royaume du Maroc.

Ce qui accroît considérablement la dangerosité de ces menaces, la détérioration de la situation sécuritaire dans de nombreuses régions du monde, en particulier au Moyen-Orient, a ravivé l’activité de la machine de propagande d’Al-Qaïda et de Daech, lesquelles ont appelé, dans leurs derniers communiqués du mois de mars 2025, à commettre des actes criminels de représailles contre des cibles occidentales et juives dans divers pays à travers le monde, y compris le Royaume du Maroc.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Les dangers régionaux que représentent Al-Qaïda et Daech continuent d’attiser les menaces sécuritaires, ce qui nous impose un surcroît de coordination et une unification des efforts pour faire face au danger terroriste.

La branche de Daech dite “Khorasan” mise actuellement sur le renforcement du recrutement parmi les expatriés originaires des pays du Caucase du Nord et d’Asie centrale, qui constituent l’ossature principale de l’organisation en Europe, Dans le but de les inciter à s’engager dans des opérations terroristes ciblées et peu coûteuses sur le plan financier

Elle tire profit à cet effet de sa large base implantée au sein des communautés étrangères en Europe occidentale et centrale, ainsi que des revenus générés par sa campagne de dons en cryptomonnaies, promue via sa branche médiatique “Sawt Khorasan” (La Voix de Khorasan).

Un sujet de la plus haute importance mérite également toute notre attention : la poursuite de la détention de milliers d’anciens combattants de Daech et de leurs familles dans les camps administrés par les Forces Démocratiques Syriennes (FDS). Leur nombre est estimé entre 45 000 et 50 000 individus, issus de 50 nationalités différentes, dont plus de 200 combattants marocains, 130 femmes et 300 mineurs.

Les groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda et à Daech en Afrique, en particulier le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) ainsi que les branches de Daech dans la région du Sahel et en Afrique de l’Ouest, posent également de nombreux défis sécuritaires et les graves menaces terroristes.

Au cours des trois dernières années, certains pays du Sahel africain ont enregistré le taux le plus élevé de victimes d’attentats terroristes, représentant près de 51 % du total mondial : 3 885 victimes sur un total de 7 555.

Par ailleurs, la région de la Corne de l’Afrique connaît une intensification notable des activités du groupe Al-Shabaab somalien, ainsi que de la branche locale de Daech basée dans la région du Puntland. Cette dernière est parvenue à étendre son emprise territoriale et à s’enfoncer dans de vastes zones du nord-est du pays, où elle s’emploie à consolider ses bastions et à établir durablement ses combattants, suivant en cela le modèle de Daech dans les théâtres syrien et irakien.

À cet égard, les services de sécurité marocains ont observé, depuis la fin de l’année 2022, le départ de 132 extrémistes de nationalité marocaine vers les zones de jihad en Afrique, notamment en Somalie, dans la région du Sahel et au sud-est du Sahara.

Ces mêmes services sont également parvenus à démanteler plus de 40 cellules ayant des liens directs avec des organisations terroristes, en particulier avec les branches régionales de l’organisation Daech, notamment dans la zone sahélienne.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

L’utilisation abusive du cyberespace constitue toujours une source croissante de menaces stratégiques, en particulier avec l’intensification des cyberattaques ciblant les secteurs vitaux des États, ainsi qu’en raison de la tendance des organisations terroristes à exploiter l’espace numérique et les réseaux sociaux pour renforcer le recrutement rapide, élargir leurs bases et enseigner à leurs adeptes les techniques d’explosion et de fabrication de dispositifs détonants.

Le cyberterrorisme est devenu une menace bien réelle, au vu de la multiplication des plateformes numériques de propagande, qu’elles soient officielles ou non officielles, affiliées à Daech, à Al-Qaïda et à leurs branches régionales, et qui offrent à leurs utilisateurs des formations idéologiques et opérationnelles dans divers domaines liés à l’activité terroriste.

Nous constatons ici, avec une vive inquiétude l’augmentation du nombre d’extrémistes impliqués dans l’activité cybernétique, neutralisés depuis 2016, dont le total a dépassé les 600 individus, suite à la mise en échec de centaines de projets terroristes d’une extrême dangerosité.

Cette utilisation systématique de l’espace cybernétique par les organisations terroristes et les réseaux de criminalité organisée nous impose de renforcer les mécanismes de protection des systèmes d’information nationaux, de favoriser l’échange d’expertises et d’informations sur les activités hostiles, et de simplifier les dispositifs de coopération en matière de cybersécurité, conformément à notre responsabilité collective dans la préservation de la sécurité mondiale, sur la base d’un intérêt commun et partagé.

Je vous remercie vivement pour votre attention, et que la paix et la miséricorde de Dieu soient sur vous.

Nawfal Laarabi
Nawfal Laarabi
Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist 20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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