La réforme tant attendue du Code de procédure pénale a franchi une étape décisive avec sa publication au Bulletin officiel (n°7437, daté du 8 septembre 2025). Le texte, adopté après un parcours parlementaire houleux, entrera en vigueur dans trois mois, soit le 8 décembre prochain. Portée par le gouvernement et défendue avec vigueur par le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, cette nouvelle mouture ambitionne de moderniser la justice pénale marocaine, tout en suscitant de vifs débats autour de certaines dispositions. Particularité notable : contrairement à d’autres réformes comme celle de la procédure civile, elle n’a pas été soumise à la Cour constitutionnelle pour contrôle de constitutionnalité.
Un texte structurant pour la justice marocaine
La loi n°03.23, modifiant et complétant la loi n°22.01 relative au Code de procédure pénale, se veut un pilier de l’arsenal juridique. Elle fixe les règles de recherche et de poursuite des infractions, encadre les droits de la défense et précise les conditions d’exercice de l’action publique.
Articles 3 et 7 : le cœur des contestations
Deux dispositions en particulier concentrent les critiques des ONG et des acteurs politiques :
- Article 3 : il subordonne l’ouverture d’enquêtes et de poursuites dans les affaires de crimes financiers et de détournements de fonds publics à un signalement officiel du Conseil supérieur des comptes ou de l’Inspection générale des finances. Ce filtre, qui confère un rôle central au procureur général du Roi près la Cour de cassation, est vu par les détracteurs comme une restriction de l’indépendance du parquet dans les dossiers de corruption.
- Article 7 : il impose aux associations souhaitant se constituer partie civile d’obtenir au préalable une autorisation du ministère de la Justice, sous réserve de démontrer «l’intérêt général». Cette condition est dénoncée par des juristes et des acteurs de la société civile comme un recul des droits de plaidoyer.
Nouveaux pouvoirs pour les autorités locales
Le texte introduit plusieurs innovations notables :
- Élargissement de la qualité d’officier de police judiciaire (OPJ) à de nouvelles catégories d’agents, notamment les secrétaires généraux des provinces, les chefs de divisions des affaires intérieures, ainsi que – mesure inédite – les khalifas de caïds.
- Ces derniers pourront, dès décembre, dresser des procès-verbaux et participer aux missions de police judiciaire, renforçant ainsi le maillage territorial en matière de sécurité et de justice, notamment en milieu rural.
Cette disposition a néanmoins suscité une forte opposition parlementaire, certains élus soulignant le manque de formation juridique de ces agents et les risques liés à la fiabilité de leurs procès-verbaux.
Garanties renforcées pour les droits et libertés
Le ministère de la Justice met en avant les avancées introduites par la réforme :
- obligation d’informer tout suspect de ses droits dès son placement en garde à vue ;
- droit systématique à l’assistance d’un avocat et à la traduction ;
- limitation du recours à la détention préventive au profit de mesures alternatives ;
- renforcement des droits des victimes, notamment dans les cas de violences faites aux femmes et aux enfants ;
- création d’un Observatoire national de la criminalité, chargé de fournir une expertise scientifique pour orienter la politique pénale.
Dans son communiqué, le ministère a qualifié l’adoption du texte de «moment historique», en phase avec les directives royales sur la modernisation de la justice et la consolidation de l’État de droit. M. Abdellatif Ouahbi, pour sa part, y voit une réforme «structurante» inscrite dans la perspective des grands rendez-vous nationaux, notamment la Coupe du monde 2030, où la crédibilité de l’État de droit sera un facteur de rayonnement international.
Au-delà de sa portée juridique, l’adoption de ce texte marque aussi un succès politique pour le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi. Contre vents et marées, et malgré les critiques répétées des ONG et de certains parlementaires, il est parvenu à mener à terme ce qui restera probablement comme le chantier majeur de son mandat. Une réforme qu’on peut qualifier comme une victoire personnelle et institutionnelle du ministre, inscrite dans la continuité des grands chantiers royaux de modernisation de la justice.
Si la réforme est saluée comme une avancée majeure dans la mise à niveau du système judiciaire marocain, elle n’échappe pas aux critiques. Entre promesse d’efficacité et craintes de dérives, son application effective, à partir du 8 décembre 2025, sera scrutée de près et pourrait rouvrir un débat juridique et politique encore loin d’être clos.