La commune de Dar Bouazza, située dans la préfecture de Nouaceur, a été le théâtre d’une récente opération de démolition de grande ampleur. Les bulldozers ont rasé plusieurs constructions (cafés, restaurants, clubs et piscine) qui exploitaient illégalement le domaine public. Cette initiative, menée par les autorités locales, vise à reconquérir l’espace public et à rétablir l’ordre urbain.
Dar bouazza est une commune côtière qui a connu une croissance rapide ces vingt dernières années, attirant de nombreux promoteurs immobiliers et investisseurs. Cependant, cette croissance a également entraîné des problèmes avec de nombreux projets qui ont vu le jour et qui ont « mis la main » sur les espaces publics et se les ont appropriés, voire s’en ont-ils emparés. Les autorités locales ont ainsi décidé qu’il était venu le temps de reprendre la main en déployant des mesures pour mettre fin à ces pratiques et rétablir l’ordre urbain. Deux projets immobiliers, déjà livrés et habités depuis des années, sortent du lot dans cette gestion de l’espace public, en l’occurrence Peninsula et Jack Beach Bay Resort.
Peninsula, le complexe résidentiel qui cache la mer
Situé en front de mer à l’entrée de Dar Bouazza et juste en face de l’Hôtel DES ARTS RESORT & SPA, Peninsula, dont la construction a pris fin en 2015, s’était permise l’installation d’une barrière automatique avec une guérite de sécurité en dehors des parties communes de la copropriété, sur des terrains goudronnés relevant du foncier communal, pour bloquer l’accès au complexe résidentiel.
Donc seuls les résidants et leurs invités pouvaient circuler librement et uniquement eux savaient ce qu’il y avait au-delà de cette barrière qui interdit l’accès aux citoyens : un espace gigantisme avec une bonne partie pied dans l’eau, qui est devenu dès 2015 la propriété privée de Pensinsula. « De quel droit? Comment ont-ils osé? », se demandent certains nouveaux habitants de Dar bouazza qui ont été sidérés à la vue de l’énormité du territoire reconquis (voir vidéo ci-dessous).
« D’après ce qu’on a pu constater de visu, le Syndic des propriétaires de Peninsula a construit un assez grand espace, une sorte de belvédère, pour profiter d’une vue surplombant la mer. Cette surface est dorénavant accessible à monsieur tout le monde », se félicite un retraité habitant depuis deux ans à Oued Merzeg, une localité limitrophe à Dar Bouazza.
« De dehors il est impossible d’imaginer l’énormité de la superficie. Quand on voit une barrière, on sait qu’il s’agit d’un projet privé et qu’on a pas le droit d’y accéder. Mais si on avait su plutôt que Peninsula s’appropriait illégalement tant d’espaces, nous privant de respirer l’air marin et des promenades à pieds, en vélo…, on aurait réagi », tonne Hicham.C, un cadre bancaire résidant à Dar Bouazza, se réjouissant de ces grands changements opérés.
“L’on est aux anges car désormais l’on peut profiter pleinement de nos environs…Les pêcheurs ont un bon spot et les baigneurs, petits et grands, piquent une tête dans un endroit idyllique auquel ils n’avaient pas accès avant”, se frotte les mains Hicham en nous invitant à parcourir le slideshow :
Rappelons que Península est un projet immobilier porté par les groupes Saham Immobilier et Walili qui a nécessité une enveloppe de 800 millions de DH. Composé d’appartements de 70 à 180 m2, de piscines collectives, de commerces et d’espaces de détentes, Peninsula Dar Bouazza s’étend sur une surface de 12 hectares au bord de l’océan.

Jack Beach, l’autre projet avec allée spéciale to the beach
Mitoyen au projet Peninsula, celui de Jack Beach Bay du promoteur immobilier Jack Beach Villas, trônait également sur des kilomètres relevant de l’espace public (voir vidéo ci-dessous).
D’ailleurs, les argumentaires de vente lors du lancement officiel du projet en août 2022 étaient, bel et bien, révélateurs du genre : Jack Beach Dar Bouazza, un projet de 105 villas pieds dans l’eau ou encore Concrétisez votre rêve en bord de mer…
Les commerciaux s’en donnaient à coeur joie pour faire des commissions : Les villas bénéficient d’un accès direct à la mer, mais aussi à des espaces dédiées pour les activités sportives (surf school, kids club ), ainsi qu’une promenade piétonne dédiée à leurs loisirs.
« Heureusement que les bulldozers sont passés par là. Sinon on n’aurait jamais su la vérité. Nous tenons à remercier le Wali Mohammed Mhidia ainsi que le nouveau gouverneur de Nouaceur pour les actions menées et pour l’application de la loi. Grâce à cette initiative nous pouvons désormais profiter de longues promenades agréables tout en respirant l’iode », se réjouit Meryem.A, professeure-vacataire dans la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Casablanca sur Route d’El Jadida.
Derrière les apparences, l’audace excessive et le sentiment de legs
« Sur tous les posts pour location Airbnb de ces deux projets, figuraient les mots clés (pieds dans l’eau, plage privée…). C’est dire que les acheteurs ont plus qu’amorti leur investissement avec des sommes astronomiques par nuitée!!! », confie un darbiste sous couvert d’anonymat qui ajoute : « Le problème est que ces exploiteurs illégaux n’en démordent pas. Comme si des parties de la mer de l’Atlantique leur a été transmises en héritage ! ».
Il fut un Club nommé Océana Beach
Autre construction détruite : le club Océana Beach avec sa piscine privée qui a été construit par le groupe KLK Khayatey pour son projet immobilier Beach House de 200 appartements.

Les autorités ont-elles démoli une piscine à l’intérieur de la résidence privée?! Que nenni, le promoteur avait obtenu le lot de terrain en front of sea et y a construit une piscine avec toutes les commodités pour le bon plaisir des résidants de son projet qui n’avaient qu’à traverser la route pour s’y prélasser.

En effet, cette piscine privatisée, d’une superficie de 1500 m2 qui existe depuis 23 ans, pour les seuls résidants du grand projet Beach House a été démolie, faisant partie, selon les autorités compétentes, des constructions illégales qui exploitaient le domaine public de différentes manières.

Présents sur place au moment de la démolition et très mécontents, les responsables du projet en question ainsi que le président de l’association de l’Océana club ont agité, de leur côté, tous types de documents devant les médias pour contester la décision de démolition et manifester leur désaccord.
« Nous avons toutes les autorisations requises : décision de construire, le plan autorisé pour la piscine et les vestiaires et certificat de propriété avec la mise à jour après construction enregistré auprès de la conservation foncière. Les autorités n’avaient pas le droit de tout raser. Il s’agit d’une propriété privée et non d’une propriété du domaine maritime », rugit un représentant du projet KLK Khayatey.
Le président de l’Association lui emboîte le pas en scandant que Océana Beach Club est réservé aux résidants et que maintenant les pauvres ils ne pourront plus profiter de cette piscine.

« Mais c’est incroyable ce que certaines personnes ont du mal à avouer qu’ils sont tout simplement dans le tort. Je dis à ces responsables d’Océana Club et KLK, qu’il y a des piscines au sein même du projet. Pourquoi ne pas s’en contenter? Pourquoi avoir osé construire une piscine extérieure à votre projet comme une sorte de dépendance? », se demande légitimement un autre darbiste qui a assisté à toute la scène.
Contacté par Le1, un avocat nous rappelle quelques faits : « L’objectif de cette opération, menée sous la supervision de la province de Nouaceur, est de libérer les plages et zones côtières occupées depuis des années sans autorisation. Cette initiative s’inscrit dans une volonté de restaurer l’accès libre aux plages par les tous les citoyens et d’imposer le respect de la loi ».
« Le domaine maritime appartient à tout le monde. Il est inaliénable, imprescriptible et insusceptible d’appropriation privée », affirme-t-il, précisant : « En clair, cela signifie qu’une chose ou un bien ne peut pas être acquis par une personne privée comme propriété. Cela implique que la chose n’est pas disponible pour être vendue, échangée ou utilisée pour le bénéfice personnel d’une personne ».
En d’autres termes, la paperasse que les responsables ont brandi n’ont aucune valeur car nul n’est censé ignoré la loi.

Par conséquent, la démolition des projets illégaux a des conséquences positives non seulement pour la commune de Dar Bouazza mais également pour tous les habitants du Grand Casablanca. Elle a permis de rétablir l’ordre urbain et de reconquérir l’espace public. Les autorités locales ont montré leur détermination à faire respecter la loi et les propriétaires des projets illégaux, quant à eux, ont dû se conformer à la loi et devront obtenir les autorisations nécessaires pour reconstruire.
L’histoire de Ssi Bouazza et de sa résidence
Aujourd’hui, Dar Bouazza est considérée comme une localité à part entière avec la nature, les plages et les terres agricoles…Jadis, ce n’était qu’une immense plaine faisant partie de la région de la Chaouia.
En effet, au courant du 19e siècle, alors que Casablanca ne compte que 10.000 habitants, Dar Bouazza, qui tire son nom de la Kasbah Bouazza, était ignorée de la plupart des Casablancais.
L’histoire intrigante du maître des lieux
La région doit son nom à une personne mystérieuse appelée “Bouazza”. Deux légendes totalement opposées entourent cet homme, portées par les esprits des habitants et des historiens s’évadant en narration.
Selon la première légende, Bouazza Rigate, comme l’appellent les anciens de la région, était un riche commerçant originaire de Lahraouyine, une commune urbaine située dans la banlieue sud-est de Casablanca.
« Avant de devenir un nanti, il aurait commencé sa carrière comme simple employé chez un homme berbère fortuné nommé Lahcen. Ce dernier a disparu lors d’un voyage pour effectuer le grand pèlerinage et c’est Bouazza qui aurait alors repris les affaires, rendant le commerce florissant grâce aux marchandises récupérées « sournoisement » des navires britanniques qui échouaient sur les côtes de la région », font savoir certains.
D’autres sources évoquent des troques à la loyal de blé, orge, laine, peau de chameaux etc contre des armes avec les Anglais. Maîtrisant la maçonnerie, il aurait construit une grande kasbah, d’une superficie de 1 hectare, sur une colline, qui surplombe l’ensemble des 1.200 hectares en sa possession. C’est cette kasbah qui devint la maison de Bouazza (traduction littérale de Dar Bouazza).
La seconde version dépeint, d’après des informations rapportées et véhiculées par la descendance d’une des première famille à avoir racheté la kasbah, le parcours d’un pirate impitoyable qui aurait bâti une forteresse sur une colline, pour non seulement surveiller ses terres et les côtes avoisinantes, mais pour aussi ourdir des embuscades afin d’aguicher les navires étrangers et les piller. A en croire ces sources et pour corroborer leur théorie, ils parlent des trouvailles après le décès de Bouazza : des côtes parsemées d’épaves, des trésors incroyables ainsi que des ossements de cadavre éparpillés qui ont été exhumés de sous les terres de Bouazza.
Il est difficile de démêler le vrai du faux de ces deux légendes qui entourent Bouazza. Cependant, il est certain que cet homme a laissé une marque indélébile sur la région et que son héritage, en l’occurrence sa kasbah classée patrimoine national, continue de fasciner les habitants et les historiens.
Après la mort de Bouazza, vers la fin des années 1890, ses héritiers, désintéressés par l’isolement de cette région, vendent la kasbah et les terres au Sultan alaouite de l’époque Moulay Abdelaziz qui y venait chasser fréquemment. Cette transaction marque ainsi la fin d’une époque et le début d’une nouvelle ère pour la région.
Nouveau proprio, nouvelle ère

Quelques années plus tard, le Sultan légua la localité à un dénommé Gabriel Veyre. Ce dernier était docteur en pharmacie mais aussi un proche collaborateur des frères Lumière, les inventeurs du cinématographe et précurseurs du 7e art.
Selon les habitants du coin, leurs ancêtres racontaient qu’en 1901, Gabriel Veyre fut appelé par le sultan Moulay Abdelaziz, alors intrigué et fasciné par toutes les nouvelles inventions de l’époque, et plus spécialement par la photographie. Engagé par le jeune sultan pour une courte durée dans le but de lui enseigner l’art de la photographie, il passa au final près de 5 années au Maroc. Au cours de cette période, leur relation se développa jusqu’au point d’initier le Sultan aux autres nouvelles technologies, tels que le téléphone, l’automobile, la bicyclette, l’électricité, l’éclairage au gaz, etc.
Citée par ces sources, Monique Mourez, arrière-petite-fille de Veyre aurait confié que son arrière grand-père l’opérateur lumière importait pour le compte du sultan tous objets confondus de l’étranger, à l’instar notamment des médicaments. D’ailleurs, une des versions les plus populaires déclare que grâce aux médicaments ramenés par Veyre, la fille du Sultan guérit d’une grave maladie.
« Après que Moulay Abdelaziz ait abdiqué, il voulut s’acquitter de ses dettes auprès de Veyre, et lui céda toute la propriété de Bouazza. Ma famille conserve encore une reconnaissance de dette signée par le Sultan », affirme Mourez.
En fait, entre 1901 et 1907, Veyre devient le photographe et cinéaste attitré du jeune Sultan du Maroc, et au fil des années, il réalise ses premières photographies autochromes, il est correspondant pour le journal L’Illustration et il publie un ouvrage intitulé Dans l’intimité du sultan : au Maroc (1905).
L’héritage de Gabriel Veyre
Ainsi, en 1908, Gabriel Veyre devint le seul acquéreur à cette époque d’un village principalement utilisé comme réserve de chasse et où le maréchal Lyautey ainsi que de nombreux notables y organisaient des parties et y étaient conviés et reçus dignement.

Ceux à la mémoire vivace font ressortir les souvenirs légués par leurs ascendance qui révèlent qu’avec l’expansion de la ville de Casablanca, les carrières de Dar Bouazza sont ouvertes en 1914, fournissant ainsi les pierres nécessaires à la construction des premières maisons dans les quartiers périphériques de la Médina, notamment le quartier Verdun.
Ce n’est pas tout. En 1922, Gabriel Veyre, crée une ferme expérimentale autour de la Kasbah Bouazza. « La propriété de Dar Bouazza a servi de lieu d’expérimentation pour Gabriel Veyre, qui y a mené des expériences d’élevage scientifique d’animaux tels que des autruches, des moutons astrakan, des zébus et des chèvres angoras, ainsi que des croisements d’animaux. Il y a également cultivé des plantes médicinales et testé l’adaptation de plantes européennes », ajoute la même source, notant qu’il aurait même mené des tests d’adaptation des premiers motoculteurs Ford sur la propriété.
Selon Mourez, Veyre a introduit la première automobile au Maroc et a été l’importateur exclusif de la marque Ford, fondant également la société Auto-Hall. Il a également lancé les premières industries au Maroc, notamment une fabrique de glace, une production d’eau distillée, une minoterie et une briqueterie, ainsi que la première station radio.
Après sa mort en 1936, Dar Bouazza entre dans une période d’agriculture intensive, avec une cinquantaine de familles vivant et travaillant sur les terres. Dans les années 1950, le village connaît une nouvelle mutation et se tourne vers le tourisme et le loisir. La descendance du Français devait retournée en France après la fin du protectorat. Ce faisant, la localité de Dar Bouazza fut divisée et revendue aux travailleurs.
Une densité qui va crescendo
La commune de Dar Bouazza a connu une croissance démographique rapide. Preuve par les chiffres : entre 2004 et 2014, la population de l’agglomération a plus que doublé, passant de 67.000 à 151.373 habitants, selon les données du Haut-commissariat au Plan. Depuis, ce chiffre a incontestablement continué à monter en flèche en raison du développement intense de projets immobiliers dans la région pour arriver, d’après le Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 2024, à la commune la plus peuplée de la province de Nouaceur qui abrite 302.918 habitants (avec 28,60% composé de personnes de moins de 15 ans).
Actions louables et nécessaires
Devant l’inaction des autorités depuis des années, il semble qu’elles n’ont pas su anticiper l’essor fulgurant que connaît actuellement la commune. En effet, le modèle de développement balnéaire à Dar Bouazza était toléré depuis des décennies au nom du tourisme et de l’emploi.
« Les gérants des établissements dans la localité louaient pour la plus part auprès du ministère de l’Équipement et de l’Eau (MEE). Leur contrat avec cette tutelle étant arrivé à échéance il y a quelques années et n’ayant pas été renouvelé depuis, les gérants ont donc arrêté les paiements », nous explique un fonctionnaire au sein du MEE, précisant que même s’il est vrai que certains disposaient de titres fonciers, ils n’avaient aucun droit de construire en dur sur le domaine maritime.
Même son de cloche du côté d’un employé dans la province de Nouaceur qui nous a éclairé davantage : « D’aucuns savent pertinemment qu’il était strictement interdit de construire en dur sur le domaine maritime. Le faire c’est bafouer la loi. Point ».
Et d’avouer nonobstant : « Certes, cet état de fait perdurait depuis des décennies, eu égard aux considérations sociales dans les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration…Aussi, il faut dire que nous n’avions pas tout simplement le pouvoir judiciaire d’expulsion ».
Dans ce sillage, nos sources tiennent à rappeler que l’aménagement de la route d’Azemmour fait partie de la 1ère phase d’un programme plus large au nom de la préservation du domaine public maritime, qui se poursuit jusqu’en 2026, sur le développement de l’infrastructure et la mobilité entre la préfecture de Casablanca et la province de Nouaceur-Zone Casablanca Ouest.
« La première a démarré il y a cinq mois et a porté sur plus de 300 cafés-restaurants éparpillés dans les quartiers Errahma, Bouskoura, Dar Bouazza, Ouled Saleh… La deuxième a concerné des résidences (tous standings confondus) qui installaient des portiques en dehors des parties communes de la copropriété, sur des terrains goudronnés relevant du foncier communal, bloquant ainsi l’accès des citoyens aux plages (le cas de Peninsula et de Jack Beach) », précise-t-on.
Notons également que le budget alloué aux travaux de ce premier projet est d’environ 550 millions de dirhams, inclus dans le budget global du programme de 2 milliards de dirhams.
Pavé dans la mare, cette campagne de lutte contre l’occupation du domaine public, toutes composantes confondues (cafés, restaurants, plages privées, hangars, golfs, etc.) en a bousculé de troublantes lapalissades.