DGSI algérienne : entre règlements de comptes et recyclage d’espions

Faits et raisons du limogeage de Nacer El Djen

Le général Abdelkader “Nacer El Djen” Haddad, ex-patron du contre-espionnage algérien, a été brusquement démis de ses fonctions en mai 2025.

Le 21 mai 2025, le général Abdelkader Haddad, dit Nacer El Djen, a été évincé de son poste de directeur des renseignements intérieurs (DCSI/DGSI) qu’il occupait depuis moins d’un an. Aucune annonce officielle n’a accompagné ce limogeage, ce qui entretient une grande opacité sur les motifs exacts de sa mise à l’écart. Nacer El Djen, compagnon de longue date du tout-puissant ex-chef du DRS Mohamed “Toufik” Mediène, était réputé pour sa brutalité durant la guerre civile des années 1990 et avait acquis une « sinistre réputation » de par ses méthodes musclées contre les groupes islamistes armés. Après la chute du régime Bouteflika en 2019, et surtout sous le règne du général Gaïd Salah (chef d’état-major jusqu’à fin 2019), Haddad avait préféré s’exiler en Espagne pour échapper aux purges visant les officiers liés à l’ancien « État profond » du DRS. Il n’était revenu en Algérie qu’en 2022, puis avait finalement été promu à la tête du contre-espionnage en août 2024, après que le président Tebboune lui eut soufflé lors d’une cérémonie de l’Aïd « Prépare-toi… » quelques mois plus tôt. Cette nomination surprise semblait résulter d’un compromis : malgré son passé controversé, il valait mieux l’avoir avec soi que contre soi, le clan présidentiel espérant ainsi s’assurer de sa loyauté.

Plusieurs facteurs internes ont cependant conduit à la perte de confiance à son égard. D’abord, Haddad aurait remis au président Tebboune des dossiers sensibles sur des affaires de corruption impliquant des personnalités gravitant autour du chef de l’État. Cette initiative, même faite à la demande du Président, aurait pu franchir une ligne rouge en exposant des proches du pouvoir : en s’approchant d’un « pré carré hautement radioactif », Nacer El Djen a peut-être suscité la crainte qu’il utilise ces dossiers comme moyen de pression. Par ailleurs, il a été découvert qu’il menait un véritable double jeu politique. Ses services auraient orchestré dans l’ombre une campagne agressive de désinformation via des influenceurs et relais médiatiques basés en France. Ces « mercenaires de la désinformation » se sont attaqués violemment aux deux hommes forts du régime – le président Tebboune et le général Chengriha (chef d’état-major) – en exposant leur vie privée, leurs familles et leurs alliés. Les liens entre ces activistes de la diaspora et le patron du contre-espionnage ont été établis, révélant que Nacer El Djen instrumentalisait ces réseaux pour fragiliser le pouvoir de l’intérieur. Ainsi, loin de servir fidèlement l’exécutif, il tentait de fracturer davantage le sérail algérien pour son propre agenda. Face à cette menace, le tandem Tebboune–Chengriha a préféré l’écarter immédiatement.

Les pressions externes ont également pesé lourd. Les services français considéraient en effet le général Haddad comme l’instigateur de ces troubles exportés sur le sol français. Surtout, c’est son département qui a fait arrêter en novembre 2024 l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal dès son arrivée à l’aéroport d’Alger, le maintenant en détention pour « atteinte à l’intégrité du territoire national » – un simple délit d’opinion selon de nombreux observateurs. Âgé de 80 ans et atteint d’un cancer, Boualem Sansal (auteur critique envers le régime) a été condamné en mars 2025 à cinq ans de prison, suscitant une indignation internationale. Paris a élevé le ton : le président Emmanuel Macron a personnellement réclamé un geste humanitaire à son homologue algérien Tebboune, tandis que l’Assemblée nationale française adoptait début mai 2025 une résolution demandant la libération immédiate de l’écrivain. Aux yeux de l’Élysée, le maintien en fonction de Nacer El Djen était devenu un obstacle à la normalisation des relations franco-algériennes. Des négociations discrètes entre Alger et Paris, suivies de près par l’Élysée, ont fait émerger un consensus : le départ de Haddad était le prix à payer pour ouvrir une nouvelle page dans la relation bilatérale et lever l’« abcès » diplomatique causé par l’affaire Sansal. En coulisse, Paris aurait donc souhaité le départ de ce général jugé trop va-t-en-guerre sur le front médiatique et répressif. Son limogeage a dès lors été perçu comme un geste d’apaisement envers la France, pouvant faciliter la libération de Boualem Sansal et la reprise d’une coopération sécuritaire plus sereine.

Enfin, des rumeurs plus alarmantes ont circulé sur le climat à Alger au moment de son éviction. Selon certaines sources non officielles, le général Haddad, se sentant menacé, aurait disparu quelques heures après son licenciement, poussant l’armée à fermer en urgence les frontières vers la Tunisie. D’aucuns ont même suggéré qu’il préparait une opération extrême – tel qu’un possible complot d’assassinat contre le général Chengriha – ce qui aurait précipité la décision de l’arrêter voire de l’éliminer. Faute de confirmation officielle, ces allégations demeurent spéculatives, mais elles illustrent la gravité de la crise interne. Quoi qu’il en soit, la disgrâce soudaine de Nacer El Djen traduit l’aboutissement d’un bras de fer entre ce dernier et le haut commandement politico-militaire. Misant autrefois sur lui pour museler l’opposition islamiste et contrôler la scène sécuritaire, Tebboune et Chengriha ont fini par voir en Haddad un rival dangereux, capable de fissurer de l’intérieur le régime et d’envenimer l’isolement international de l’Algérie. Son renvoi, acté dans la discrétion et l’urgence, visait donc à neutraliser un « électron libre » dont l’ambition et les manœuvres en coulisse menaçaient autant l’unité du pouvoir en place que les relations avec un partenaire clé comme la France.

Profil du général Abdelkader Aït Ouarabi, dit « Hassan »

Le successeur nommé à la tête de la DGSI est le général Abdelkader Aït Ouarabi, plus connu sous le surnom de « général Hassan ». Âgé d’environ 73 ans (certains médias évoquent même 78 ans), ce vétéran du renseignement incarne un étonnant retour en grâce après avoir été lui-même écarté et emprisonné par le passé. Proche du général Toufik Mediène dont il fut un fidèle bras droit, Hassan a été une figure centrale de la décennie noire algérienne de (1991–2002). Il dirigea notamment l’unité d’élite Scorat (Service de coordination opérationnelle du renseignement antiterroriste) de 2006 à 2013, fer de lance de la traque des groupes armés islamistes.

Ceux qui l’ont côtoyé sur le terrain le décrivent comme un officier audacieux, parfois imprévisible, avec une nette préférence pour les opérations clandestines et les missions d’infiltration. Ce type d’opérations, menées notamment par le DRS, a toutefois valu aux services de sécurité algériens de vives accusations : exécutions extrajudiciairesmanipulation de groupes armés, et implication présumée dans des atrocités commises au nom de la lutte antiterroriste. De nombreux témoignages d’anciens militaires ainsi que des rapports d’ONG font état d’une stratégie de la terreur systématiquement utilisée pour réprimer toute opposition politique et maintenir le contrôle sur la société.

Cette longue expérience lui a valu d’être considéré comme l’un des officiers les plus décorés de l’ANP.

Cependant, la carrière de cet officier emblématique a connu une brutale interruption sous la présidence Bouteflika. En 2013, quelques mois après l’attentat sanglant d’In Amenas (Tiguentourine) contre un site gazier opéré en partie par BP, le général Hassan avait conduit une opération secrète d’envergure pour démanteler un trafic d’armes libyen lié aux terroristes d’AQMI.

Agissant sous les ordres directs du général Toufik, il avait fait infiltrer ses agents parmi les trafiquants, récupéré un important lot d’armement (dont des missiles issus des stocks de Kadhafi) et éliminé les intermédiaires – une opération clandestine réussie et classée « secret-défense ». Mais cet exploit fut très mal accueilli par le chef d’état-major de l’époque, Ahmed Gaïd Salah, qui n’avait pas été informé de l’opération. Se sentant bafoué dans son autorité, le général Gaïd Salah – réputé rancunier – attendait son heure pour régler ses comptes. D’abord mis à la retraite d’office en fin 2013, Hassan reçut un premier avertissement en février 2014 : convoqué par la justice militaire au sujet de l’opération, il en ressort libre mais sous surveillance.

Finalement, le 27 août 2015, l’orage s’abat : sur ordre de Gaïd Salah, Abdelkader Aït Ouarabi est arrêté à son domicile et placé en détention à la prison militaire de Blida. Il est inculpé pour « destruction de documents » et « infractions aux consignes » – allusion à la mission non autorisée – et jugé en novembre 2015 par le tribunal militaire d’Oran. Malgré la plaidoirie de ses avocats soulignant le caractère patriotique et salutaire de son action, et une lettre exceptionnelle du général Toufik attestant que Hassan n’avait fait qu’exécuter une mission d’intérêt national, le verdict tombe : cinq ans de prison ferme. Cette condamnation est perçue à l’époque par beaucoup comme une véritable “vengeance” de Gaïd Salah – lequel profitait ainsi de l’éviction de Toufik en 2015 pour régler ses comptes avec les officiers de l’ombre du DRS. Ali Benflis, figure de l’opposition, dénonça alors « une épuration politique pour crime de non-allégeance », tandis que le général Khaled Nezzar fustigea une condamnation « criminelle et infamante » visant un officier au parcours exemplaire.

Le général Hassan purge sa peine jusqu’au bout, libéré fin novembre 2020 après plus de 5 ans de détention. Peu après la chute de Bouteflika et la mort de Gaïd Salah, la nouvelle hiérarchie militaire révise son cas : en mars 2021, la cour d’appel militaire de Blida l’acquitte de toutes les charges et le réhabilite, lui restituant ses biens et son honneur. Cette réhabilitation ouvre la voie à un invraisemblable retour aux affaires. En mai 2025, Abdelkader « Hassan » Aït Ouarabi, désormais septuagénaire, est choisi pour prendre la tête de la Direction générale de la Sécurité intérieure, succédant précisément au général Haddad qui l’avait jadis combattu aux côtés de Toufik. En l’espace d’une décennie, le général Hassan aura donc connu un destin hors du commun : « de l’infamie aux honneurs de la République », résume la presse algérienne. Hier détenu mis au ban, il redevient aujourd’hui le patron du renseignement intérieur, assis dans le même bureau directorial d’où il avait été chassé. Cette nomination inattendue illustre l’impasse dans laquelle se trouve le régime algérien.

Sur le plan interne, le général Hassan jouit d’une réputation contrastée mais globalement positive dans les rangs de l’armée. Cependant, son âge avancé et son passé pourraient aussi susciter des réserves. Il reste l’homme de l’ancien DRS de Toufik – un « revenant » de cette époque – ce qui pourrait inquiéter certains quant à ses véritables allégeances.

En somme, la nomination du général Hassan, figure formée à l’école de la Sécurité militaire et du DRS, traduit moins un choix stratégique qu’un repli assumé sur les anciens réflexes sécuritaires. Plus qu’un symbole de continuité, elle illustre l’essoufflement du renouvellement au sein de l’appareil d’État, où l’on rappelle un vétéran au passé controversé faute d’alternatives crédibles. Ce retour d’un homme du sérail peut ainsi être lu non comme un signe de stabilité, mais comme le symptôme d’un régime vieillissant, refermé sur ses cadres historiques et incapable de produire une relève à la hauteur des défis contemporains.

Luttes d’influence entre les pôles sécuritaires : ex-DRS, nouvelles agences et armée

Le limogeage de Nacer El Djen et l’avènement du général Hassan s’inscrivent dans le cadre plus large des luttes d’influence historiques au sommet de l’appareil sécuritaire algérien. Depuis l’indépendance, deux grandes forces coexistent et se concurrencent : d’une part les services de renseignement (la Sécurité militaire puis le DRS, et désormais ses successeurs DGSI/DGDSE) et d’autre part le haut commandement de l’armée (état-major de l’ANP). Pendant un quart de siècle (1990-2015), le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS) du général Toufik Mediène a constitué un véritable « État dans l’État ». Sous la férule de Toufik, le DRS englobait la sécurité intérieure, le contre-espionnage et les renseignements extérieurs, formant une superstructure omnipotente aux méthodes souvent expéditives. Ce “dieu-espion” tirait les ficelles de la politique depuis l’ombre et était considéré comme le véritable patron de l’Algérie jusqu’à ce que le président Bouteflika le démette en 2015 pour briser cette tutelle. La chute de Toufik s’est accompagnée d’une volonté de démanteler l’hégémonie du DRS : Bouteflika a dissous ce service tentaculaire et l’a remplacé par une nouvelle structure placée directement sous la présidence (le DSS – Direction des Services de Sécurité – confiée à Athmane Tartag). L’objectif était clair : émietter le pouvoir des renseignements et le ramener sous le contrôle du pouvoir civil (et, en pratique, sous l’influence du clan présidentiel).

Cependant, l’équilibre des pouvoirs s’est de nouveau déplacé avec le Hirak de 2019 et la fin de l’ère Bouteflika. Après le départ forcé de Bouteflika en avril 2019, le général Gaïd Salah (chef d’état-major) a imposé son autorité sur la transition. Il a fait arrêter les figures de l’ancien régime, y compris le général Toufik et son successeur Tartag, lors d’un procès pour « complot contre l’État ». Durant cette phase, l’armée a repris la haute main sur les services de renseignement, cherchant à purger les éléments trop liés à l’ancien DRS. C’est dans ce contexte qu’en 2019–2020, les structures du renseignement ont encore été réorganisées : les directions intérieure et extérieure ont été directement rattachées à la Présidence de la République, mais toujours sous le regard étroit de l’état-major militaire. Le président Tebboune, élu fin 2019, et le général Chengriha, qui a succédé à Gaïd Salah en tant que chef d’état-major en 2020, ont ainsi entrepris de refaçonner les services à leur main, non sans tâtonnements. Deux entités principales émergent de cette refonte : la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure) pour le renseignement domestique et la DGDSE (Direction Générale de la Documentation et de la Sécurité Extérieure) pour l’espionnage extérieur. En théorie, la DGSI et la DGDSE sont censées opérer sous la coordination de la Présidence, tandis que l’armée garde la haute autorité stratégique, notamment via le Conseil de sécurité.

En pratique, ces nouvelles agences sont largement peuplées par des cadres issus de l’ex-DRS – l’appareil ne pouvant être reconstruit ex nihilo. Par conséquent, une guerre de clans feutrée perdure au sein de la communauté du renseignement. D’un côté, les anciens du DRS (les “toufikistes”) cherchent à conserver leur influence, voire à prendre leur revanche après les humiliations subies (prisons, exils, marginalisation). De l’autre, le duo Tebboune–Chengriha s’efforce de contrôler ces services pour éviter la résurgence d’un “État profond” concurrent. Ce bras de fer explique en partie le turn-over inédit à la tête des renseignements depuis 2019.

En à peine 5–6 ans, pas moins de 12 dirigeants se sont succédé aux postes de directeurs de la DGSI et de la DGDSE – du jamais vu dans l’histoire algérienne où, en comparaison, le général Toufik est resté 25 ans en poste. Sous Tebboune, la DGSI a connu cinq patrons (y compris le général Hassan fraîchement nommé) et la DGDSE pas moins de sept directeurs, le dernier en date étant le général Rachid (Fethi) Moussaoui installé en juillet 2024. Cette instabilité chronique est le reflet de luttes intestines : chaque camp place un homme, puis le déplace ou l’évince selon l’évolution des rapports de force. Par exemple, le général Wassini Bouazza, nommé à la DGSI en 2019 durant l’ère Gaïd Salah, a été arrêté en 2020 pour abus de pouvoir et condamné lourdement par la suite. Son successeur, le général Abdelghani Rachdi, n’est resté que quelques mois. Ont suivi notamment le général Djamel Kehal Medjdoub (un proche de Tebboune, parti pour raisons de santé en 2022) puis Abdelkader Haddad (Nacer El Djen), imposé en 2024 comme compromis avec l’ex-DRS, et enfin démis en 2025. À la DGDSE (renseignement extérieur), un parcours similaire s’est joué : après la réhabilitation surprise du général Mehenna Djebbar (autre ex-DRS historiquement proche de Nezzar) à l’été 2022, celui-ci a lui-même été remplacé quelques mois plus tard par de nouveaux visages, signe d’ajustements permanents.

Ces rivalités structurantes entre pôles sécuritaires se manifestent aussi par la dualité entre l’armée et les services. L’état-major (Chengriha) tend à se méfier de ces maisons de secrets que sont les renseignements, redoutant de voir émerger un nouveau “parrain” incontrôlable. Pour éviter un retour à la toute-puissance du DRS, le haut commandement applique une stratégie de décapitations successives : changer fréquemment les chefs, disperser les centres de pouvoir et exiger une allégeance sans faille. Cette politique a certes empêché qu’un « second Toufik » ne s’installe, mais elle a eu pour conséquence de fragiliser les services eux-mêmes. La DGSI et la DGDSE, en tant qu’institutions, ont souffert d’une absence de continuité et d’une ambiance de suspicion permanente. Les nombreux limogeages – souvent abrupts et non expliqués – ont instillé au sein des cadres un sentiment d’insécurité professionnelle, chacun pouvant “sauter” à tout moment. Des témoignages indiquent que cette précarité a sapé le moral et l’efficacité de nombreux officiers du renseignement, rendant difficile la conduite de leurs missions exigeant calme et durée. En outre, la concurrence ou la méfiance entre la DGSI (sécurité intérieure) et la DGDSE (sécurité extérieure) a parfois nui à la coordination des renseignements. Par exemple, l’affaire de l’arrestation en France du cyberactiviste Amir DZ (militant opposant très suivi sur les réseaux) a mis en lumière des frictions : le militant avait été brièvement appréhendé début 2023 sur la base d’une notice Interpol activée par Alger, avant d’être relâché, ce qui a pointé la responsabilité du service extérieur DDSE dans une opération mal ficelée. Ce genre de couacs suggère que chaque pôle agit selon son agenda, possiblement influencé par telle ou telle faction.

Par ailleurs, les réseaux officieux de l’ancien DRS n’ont pas totalement disparu. On les retrouve à travers des figures retraitées (comme le général Toufik lui-même, libéré en 2021 et désormais dans l’ombre, ou le général Khaled Nezzar, ex-ministre de la Défense réhabilité et proche des cercles d’influence) et des relais dans la société civile. Ces anciens barons possèdent encore des leviers – connexions dans l’appareil économique, contacts à l’étranger, voire influence médiatique via des journaux ou sites web. Il est fréquent de voir affleurer dans la presse indépendante ou les réseaux sociaux algériens des « fuites » ou rumeurs savamment distillées, destinées à régler des comptes entre clans. L’exemple de Nacer El Djen utilisant des influenceurs Youtube en France pour attaquer Tebboune illustre bien comment un pan des anciens services peut tenter de peser dans la bataille politique en recourant à des canaux non officiels. Cette guerre de l’ombre entre les restes de l’ex-DRS et le régime actuel continue de structurer la vie politique algérienne, rendant le paysage sécuritaire volatil. Le général Hassan lui-même, ancien pilier du DRS, devra naviguer dans ce jeu complexe : bien qu’il ait été choisi par Tebboune, il incarne aussi la vieille garde. Sa nomination pourrait être vue comme un compromis pour rallier certains services tout en rassurant l’armée sur sa loyauté retrouvée.

Impacts sur la stabilité du régime et la coopération sécuritaire internationale

Le départ forcé de Nacer El Djen et l’arrivée du général Hassan à la tête de la DGSI auront des répercussions notables sur la stabilité interne du régime et sur la coopération sécuritaire de l’Algérie avec ses partenaires étrangers, notamment la France.

D’un point de vue politique interne, l’éviction de Haddad supprime un foyer de dissension au sein du pouvoir. À court terme, Tebboune et Chengriha en sortent consolidés : ils ont éliminé un potentat qui agissait en électron libre, “disjoncté” avant qu’il ne devienne incontrôlable. Ceci pourrait stabiliser temporairement la hiérarchie sécuritaire, en envoyant un message clair aux autres cadres : toute velléité de fronde ou de double jeu sera sanctionnée sans appel. L’armée, principal pilier du régime, resserre ainsi ses rangs autour de Chengriha, et la présidence réaffirme son autorité sur les renseignements. L’installation du général Hassan – figure respectable et discipliée – devrait également améliorer la coordination entre la DGSI et l’état-major, car Hassan est un soldat de formation, habitué à travailler main dans la main avec les forces armées sur le terrain. Son profil rassure l’ANP : il s’agit d’un officier de la vieille école, attaché à la notion de discipline et de chaîne de commandement, bien moins porté sur les intrigues médiatiques que son prédécesseur. On peut donc s’attendre à une meilleure synchronisation entre les renseignements intérieurs et les autres branches de la sécurité (armée, gendarmerie, police), du moins sur les dossiers opérationnels (lutte anti-terroriste, surveillance des frontières, etc.). Cette unité retrouvée pourrait bénéficier à la sécurité intérieure : sans rivalité au sommet, la DGSI peut se recentrer sur sa mission première de contre-espionnage et de contre-subversion, au lieu d’être instrumentalisée dans des querelles de palais.

Néanmoins, il convient de nuancer cet optimisme par les conséquences négatives possibles de ces soubresauts. La répétition des purges et changements de chefs en un temps si court a ébranlé la solidité institutionnelle des services de renseignement algériens. Même avec un homme expérimenté aux commandes, le morale des troupes et la confiance interne peuvent prendre du temps à se rétablir. Certains officiers ou agents proches de Nacer El Djen pourraient être démobilisés, mis à l’écart, voire soupçonnés de complicité, ce qui pourrait engendrer de nouvelles épurations à l’interne. Si le général Haddad disposait d’un clan de fidèles au sein de la DGSI, il est possible que le pouvoir cherche à les écarter (mutations, retraites anticipées) pour éviter tout foyer de ressentiment. Cela pourrait momentanément réduire l’efficacité de certains départements, le temps que le général Hassan forme son propre état-major de confiance. De plus, la facilité avec laquelle Haddad semble avoir pris la fuite (si l’on en croit certaines sources) montre qu’il pourrait y avoir des complicités qui lui ont permis de disparaître sans être intercepté. Si c’est le cas, cela révèle des failles de loyauté à combler en urgence. À moyen terme, cependant, l’éviction d’un personnage aussi clivant pourrait pacifier l’atmosphère au sommet : débarrassé de ce rival, Tebboune a les coudées franches pour poursuivre son agenda (notamment en prévision de l’élection présidentielle à venir) sans craindre de campagne de déstabilisation en interne.

Sur le plan de la sécurité publique, le remplacement du chef du contre-espionnage en pleine recrudescence de menaces régionales comporte des risques mais aussi des avantages. L’Algérie fait face à une « ceinture de feu » autour de ses frontières, du fait de l’instabilité au Sahel (Mali, Niger, Libye) et des tensions avec la France, l’Espagne et le Maroc.

Ce changement brusque à la tête des services en pareil contexte est déstabilisant pour le régime.

Du côté de la France, le départ de Nacer El Djen est vu comme un geste majeur d’apaisement. Paris avait, de facto, conditionné une relance de la relation bilatérale à ce départ, le considérant comme le fauteur de trouble principal dans les récentes crises. La détention de Boualem Sansal empoisonnait l’atmosphère depuis des mois ; l’éviction de son geôlier ouvre la voie à une solution diplomatique. On peut s’attendre à ce que, dans la foulée, Alger fasse un geste de bonne volonté en libérant l’écrivain octogénaire ou en commuant sa peine, pour répondre aux attentes françaises.

En résumé, l’impact du limogeage de Nacer El Djen est double. D’une part, il étanche une plaie au sein du régime en éliminant un facteur d’instabilité et en assainissant la relation avec la France. D’autre part, il souligne la persistance d’une faiblesse structurelle : la volatilité de l’appareil sécuritaire algérien, qui a besoin de stabilité et de professionnalisme pour affronter des défis sécuritaires sans précédent aux frontières. Le général Hassan hérite d’une maison ébranlée qu’il devra rebâtir en inspirant la confiance, tant en interne qu’auprès des alliés étrangers. Son succès ou son échec à cette tâche influencera directement la solidité du régime dans les prochaines années.

Réactions de la diaspora algérienne et repositionnement des anciens réseaux du DRS

L’épisode du limogeage de Nacer El Djen a mis en lumière l’existence de réseaux concurrents au sein même de la diaspora. Les « influenceurs » et « seconds couteaux » que l’ancien «maître espion» utilisait en France pour ses basses œuvres se retrouvent aujourd’hui orphelins de leur protecteur. Certains comptes virulents sur YouTube, Facebook ou X (Twitter) qui servaient de courroies de transmission à ses campagnes de dénigrement pourraient baisser d’intensité ou changer de ligne éditoriale. On peut s’attendre à un repositionnement de ces relais : soit ils tenteront de rallier le nouvel homme fort (le général Hassan) s’ils espèrent continuer à jouer un rôle, soit ils seront discrédités et mis sur la touche, leurs liens avec Haddad les rendant suspects aux yeux du régime. Ce phénomène rappelle que la diaspora a été le théâtre d’une véritable guerre de l’information entre factions du pouvoir algérien. À l’avenir, si la présidence a repris la main, il est possible qu’elle cherche à recadrer la communication en direction de la diaspora. On a déjà observé ces derniers mois des initiatives officielles pour séduire la communauté expatriée (discours de Tebboune appelant les compétences à revenir, création de médias d’État tournés vers l’international, etc.). La chute de Haddad pourrait ainsi freiner les actions de sabotage informationnel menées par l’ex-DRS et ouvrir la voie à une propagande plus centralisée depuis Alger.

Quant aux anciens réseaux du DRS eux-mêmes, ils subissent un revers évident avec la perte de Nacer El Djen, qui était l’un de leurs leviers institutionnels les plus importants. Ce clan des “éradicateurs” des années 90, représenté par des personnalités comme Toufik, Tartag, Djebbar ou leurs affidés, voit s’envoler l’espoir de reconquérir le cœur du pouvoir à court terme. La manœuvre de Haddad – s’il ambitionnait réellement de s’emparer d’une portion de pouvoir – a avorté et sert d’avertissement. Il est probable que les anciens du DRS adoptent un profil plus bas pendant un temps, le temps de digérer cet échec. Certains, comme le général Mediène (Toufik), qui coulait une retraite discrète, devraient rester en retrait pour ne pas provoquer de nouvelle réaction de l’état-major. D’autres, comme le général Mehenna Djebbar, qui avait brièvement été placé à la tête du renseignement extérieur en 2022, pourraient chercher à se faire oublier ou à démontrer leur loyauté au régime actuel pour éviter le même sort. Il n’est pas exclu non plus que ces anciens réseaux tentent de se repositionner via de nouveaux canaux : par exemple en soutenant officieusement certaines figures politiques ou partis d’opposition en sous-main, ou en capitalisant sur le mécontentement populaire latent pour affaiblir Tebboune – toutefois, leur marge de manœuvre semble réduite tant que l’alliance Tebboune-Chengriha tient bon.

Enfin, il convient de noter que la diaspora elle-même n’est pas monolithique : il existe aussi des partisans du régime en son sein, y compris d’anciens membres des services ou de l’armée vivant à l’étranger. Pour ces derniers, la purge de Nacer El Djen peut être perçue comme un nécessaire ajustement interne pour la survie du régime. Sur certains forums pro-gouvernementaux de la diaspora, on défend la décision de Tebboune comme ayant “sauvé la cohésion de l’État”. L’argument avancé est que Haddad aurait trahi son serment en s’attaquant aux institutions, et que son sort doit servir de leçon contre toute tentation de division. Ces soutiens exhortent la diaspora à ne pas “tomber dans le piège des factions” et à resserrer les rangs derrière le pouvoir légitime pour affronter les vrais défis (menaces extérieures, développement économique, etc.).

Les positions de Nacer El Djen et du général Hassan vis-à-vis du Maroc

Nacer El Djen (général Abdelkader Haddad) et son successeur le général Hassan (général Abdelkader Aït Ouarabi) partagent la vision traditionnelle du régime algérien qui considère le Maroc comme un rival stratégique et même un adversaire menaçant la stabilité de l’Algérie. En tant qu’anciens hauts responsables du contre-espionnage, ils se méfient profondément des institutions sécuritaires marocaines – notamment les services de renseignement du Royaume – qu’ils accusent d’ingérence. Sous la direction du général Nacer El Djen, les services algériens ont ainsi démonisé le Maroc, présentant régulièrement ce voisin comme un acteur malveillant fomentant des complots. La presse algérienne, sous l’impulsion de son service, a par exemple annoncé l’« arrestation d’un réseau d’espions marocains » à Tlemcen, une histoire peu crédible visant à accréditer l’idée d’une infiltration organisée de l’Algérie par le Maroc. De même, Nacer El Djen s’évertuait à dépeindre le Maroc et les Marocains sous un jour hostile dans l’opinion publique. Officiellement, Alger l’a accusé de mener des activités d’espionnage sur le sol algérien, et a justifié de nouvelles restrictions aux frontières par ces soupçons. En septembre 2024, le gouvernement algérien a ainsi rétabli l’obligation de visa d’entrée pour les ressortissants marocains, prétextant que Rabat profitait de l’exemption pour déployer des agents de renseignement “sionistes” munis de passeports marocains.

L’Algérie a instrumentalisé les accords d’Abraham pour intensifier sa campagne de diabolisation du Maroc, présentant la normalisation avec Israël comme une trahison des causes arabes afin de détourner l’attention de ses propres revers diplomatiques, notamment sur le dossier du Sahara. Dans un contexte de perte d’influence régionale, la question palestinienne, émotionnellement chargée pour l’opinion algérienne, est devenue une ressource politique précieuse pour un régime en quête de légitimité et fragilisé par ses échecs internes.

Rôle dans la stratégie algérienne face aux avancées diplomatiques du Maroc (Sahara)

Sur le dossier du Sahara, Nacer El Djen et le général Hassan se sont inscrits dans la ligne dure de l’establishment militaire algérien. Ils voient les succès diplomatiques récents du Maroc – telles la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara fin 2020, et celle de la France en 2024, ou l’ouverture de consulats africains/arabes à Laâyoune et Dakhla – comme un revers stratégique majeur pour l’Algérie. Leur position a consisté à contrecarrer par l’ombre ces avancées : d’une part, en renforçant le soutien au Front Polisario (par un appui logistique, du renseignement et une coordination militaire plus étroite) ; d’autre part, en cherchant à miner l’influence marocaine sur la scène internationale. Nacer El Djen, en particulier, était considéré comme l’un des artisans d’une campagne agressive de désinformation et de lobbying pour décrédibiliser le Maroc aux yeux de partenaires étrangers. D’après des sources françaises, il a orchestré depuis 2021 une violente campagne d’activistes sur le sol européen, cherchant à exporter les conflits algéro-marocains à l’étranger. Ces initiatives visaient notamment à attiser les tensions entre Paris et Rabat, et à décourager d’éventuels soutiens européens à la position marocaine. Dans les instances africaines et arabes, on peut penser que ces deux généraux ont conseillé une ligne intransigeante : refus de toute concession sur la question saharienne, mobilisation des alliés traditionnels d’Alger (Afrique du Sud, Nigeria, etc.) pour contrer la diplomatie marocaine au sein de l’UA, et dénonciation systématique des accords conclus par le Maroc comme étant contraires au droit à l’autodétermination sahraoui. Leur rôle, bien qu’en coulisses, s’inscrit donc dans une stratégie algérienne globale de contre-offensive diplomatique face aux succès de Rabat sur le Sahara.

La nomination du général Hassan s’inscrit dans une séquence où l’hostilité de l’Algérie envers le Maroc ne relève plus seulement d’un différend structurel, mais devient un outil de diversion politique face à une crise intérieure profonde. Depuis le Hirak de 2019, le régime est entré dans une phase de vulnérabilité chronique, marquée par une répression systématique, des purges successives au sein des élites militaires et civiles, et une politique étrangère de plus en plus ambiguë. L’acharnement diplomatique et médiatique contre le Maroc sert à masquer ces fragilités, à détourner l’attention de l’opinion publique, et à tenter de reconstituer une légitimité par l’hostilité extérieure. Sur le plan régional, l’Algérie accuse un net recul d’influence, en particulier au sein de l’Union africaine où le retour du Maroc a rééquilibré les rapports de force. L’axe Alger–Pretoria, autrefois moteur d’une diplomatie africaine anti-marocaine, s’est considérablement affaibli, et les initiatives algériennes se heurtent à une série d’échecs, qu’ils soient diplomatiques, économiques ou sécuritaires. Dans ce contexte, le retour d’un vétéran comme Hassan traduit autant une volonté de verrouillage qu’un aveu de stérilité stratégique, illustrant l’enfermement d’un régime en panne de souffle dans ses cercles anciens.

Sources : Mondafrique; Le Point; Wikipédia; Sénat français; Euromaghreb; Le Matin d’Algérie.


Profil du général Abdelkader Aït Ouarabi, dit « Hassan »


La décennie noire et les accusations contre les services de sécurité


Relations Algérie-Maroc et politique de diabolisation


Recul de l’influence de l’Algérie au sein de l’Union africaine

Nawfal Laarabi
Nawfal Laarabi
Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist 20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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