Jidar, ou l’élévation murale d’un règne éclairé

Ce samedi 18 mai, je n’avais pas prévu de traverser un portail sensoriel. Et pourtant, entraîné par un ami, je me suis retrouvé happé par une énergie rare, discrète mais magnétique : celle de Jidar – Toiles de Rue, ce festival urbain qui, depuis 2015, ne se contente pas de peindre la ville — il la métamorphose.

Derrière ce nom devenu emblématique, une ambition : offrir les murs de la cité aux artistes du monde entier, et avec eux, ouvrir l’imaginaire collectif. Organisé par l’association EAC–L’Boulvart sous le Haut-Patronage du Roi Mohammed VI et la direction artistique du discret et inspiré Salah Malouli, Jidar est bien plus qu’un événement. C’est un dialogue vertical entre la ville et ses rêves, une conversation entre béton et lumière.

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Une décennie d’art qui transfigure

Jidar fête cette année son 10e anniversaire, avec la force tranquille d’un rendez-vous devenu incontournable. Dix ans d’ancrage culturel qui s’intègrent pleinement au cachet culturel unique de Rabat, sans jamais le réduire ni le figer, avec plus d’une centaine de fresques réparties dans tous ses quartiers. Dix ans d’un souffle créatif où l’éphémère devient mémoire, où l’anonyme devient emprunte.

Cette édition-anniversaire s’est distinguée par son éclectisme. Onze nouvelles fresques ont vu le jour, nées des pinceaux et bombes d’artistes venus de Pologne, du Mexique, du Japon, d’Espagne, de Belgique, de Croatie, d’Équateur, et bien sûr du Maroc. Parmi eux : BEZT, Ratur, Smithe, Demsky, Iota, NEAN, Lonac, Masawi, et tant d’autres tisseurs de récits visuels.

Mais Jidar 2025 ne s’est pas contenté des murs. Cette année, il a repoussé les frontières du support avec une installation immersive baptisée “Paysages cubiques”, dans le parc Hassan II, en contrebas des remparts du Mechouar Essaïd. De grands cubes blancs y trônaient, tels des pierres dressées d’un art contemporain spirituel.

« Living in a Harmony » : un souffle nippon sous les remparts de Rabat

C’est là que s’est offerte à moi une rencontre suspendue : celle de Hideyuki Katsumata, artiste japonais au regard intérieur, dont chaque geste semblait habité par le silence d’un temple zen. Devant lui, un cube comme sorti d’un rêve, et autour, un dragon ondoyant, cosmique, qui épousait les quatre faces du volume dans une chorégraphie d’une élégance troublante. Une œuvre où l’archaïque et le futuriste cessaient de s’opposer, pour danser dans une même respiration.

Intitulée « Living in a Harmony », cette création totemique trônait au cœur du parc Hassan II comme une énigme joyeuse, un cube cosmopolite à l’esthétique pop et hallucinée. Chaque face révélait un monde. On y découvrait un dragon aux écailles de jade, une créature mythique surgie d’un vieux rêve d’Asie, entrelacée de personnages ronds, souriants, qui brandissent les drapeaux du Maroc et du Japon, comme une offrande naïve et symbolique.

Et puis, il y avait Hanautah. Ce petit personnage bleu aux cornes orange, aux yeux dilatés et à la langue tirée, figure centrale et récurrente de l’univers de Katsumata, était bien là. Hanautah, c’est plus qu’un alter ego graphique : c’est l’avatar libre de l’artiste, son double affectif, son emblème. Il est né il y a près d’une décennie, réapparaît sur presque toutes ses œuvres, parfois en rose, en vert, en noir et blanc comme un croquis inachevé — et jusqu’à lui prêter son nom d’artiste sur Instagram.

À Rabat, Hanautah s’invite avec toute sa tendresse sauvage, entre le dragon et les courants cosmiques, comme un trait d’union entre les enfants du monde, entre les jeux de l’imaginaire et la sagesse des traditions.

Le style lowbrow et jubilatoire de Katsumata — croisement entre le pop surréalisme, l’art brut et les codes graphiques de l’underground japonais — trouvait un écho inattendu dans la chaleur marocaine. Un pont émotionnel entre deux cultures insulaires, qui ne se regardent pas, mais s’enlacent.

L’artiste japonais, au geste précis et méditatif, s’apprêtait à donner son dernier coup de pinceau en signant son œuvre. Autour de lui, une foule de promeneurs rbatis s’était formée spontanément, dans un parc baigné d’une lumière douce,

Un geste. Un sourire. À ses côtés, sa compagne, designer de renom passée par les grandes maisons de New York et de Mexico, aujourd’hui installée à Tokyo, ne cachait ni sa satisfaction ni sa fierté face à cette audience surgie du quotidien — venue non seulement saluer une peinture, mais honorer un lien.
Le couple semblait sincèrement ému par la chaleur des Marocains, par cette capacité rare qu’ont les habitants de Rabat à reconnaître l’émotion — et à la célébrer avec pudeur et justesse.

Mais plus encore, c’est l’authenticité brute des jeunes artistes marocains qui les bouleverse — ceux que Jidar rassemble et révèle. Guidés par Salah Mellouli, gardien fidèle de l’ADN du festival et passeur silencieux de l’esprit collectif, ils incarnent cette génération qui crée sans cynisme, sans posture, avec la sincérité comme unique revendication.

Katsumata, ému, s’agenouille pour saluer les applaudissements. Ce couple d’une élégance simple s’est fondu dans la communauté de Jidar comme s’il en faisait déjà partie. Pas d’effet d’annonce, pas de protocole figé. Juste la vibration d’un lien vrai, tissé dans la reconnaissance mutuelle.

Car un festival comme Jidar ne se dirige pas, il se veille.

Une vision portée par l’État, mais jamais corsetée

Tout cela — la magie, les rencontres, les œuvres — n’aurait pu advenir sans la bienveillance royale. À Jidar, on sent constamment la présence invisible de Mohammed VI, protecteur de la culture dans toutes ses formes. Sous les remparts du Mechouar ou dans les artères vivantes de Rabat, le Souverain veille à ce que la liberté d’expression artistique soit non seulement permise, mais honorée.

Et ce souffle est relayé, consolidé, structuré par une gouvernance rigoureuse. Le Wali Mohamed Yacoubi, artisan d’une gestion stricte mais fine, offre aux artistes l’espace sécurisé où l’inspiration peut s’épanouir. Il faut aussi saluer Mehdi Bensaïd, ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication est un visage politique dans lequel ils se reconnaissent, parce qu’il comprendrait leurs rêves, leurs références, leurs hésitations aussi.

Quand les murs parlent au monde

Rien de tout cela — ni les fresques, ni les cubes, ni les émerveillements — n’aurait pu exister sans la volonté ferme et visionnaire du Roi Mohammed VI. Car il faut plus qu’un budget ou une autorisation pour faire vibrer les murs d’une capitale. Il faut un regard qui comprend que l’art est un langage, une force douce, un trait d’union entre les peuples et les générations.

Rabat n’est plus simplement une capitale. C’est un musée en mouvement, ouvert à tous, sans billet ni ticket, mais dont chaque mur dit : «Regarde-moi, je suis à toi.»

Et c’est peut-être cela, la magie la plus profonde de Jidar : transformer des murs en fenêtres.

Fenêtres sur le monde.

Fenêtres sur soi.

Nawfal Laarabi
Nawfal Laarabi
Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist 20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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