La fin d’un rôle historique : vers un nouveau Moyen-Orient post-Mollahs ?


Depuis la chute du Shah en 1979, l’Iran est apparu comme l’adversaire désigné d’Israël et des puissances occidentales au Moyen-Orient. Mais cette confrontation, loin d’être purement idéologique, a aussi servi un agenda stratégique plus profond : légitimer davantage la militarisation d’Israël, consolider la présence américaine dans la région, et canaliser les dynamiques régionales selon une architecture héritée des accords Sykes-Picot. Aujourd’hui, à la lumière des frappes chirurgicales israéliennes, de l’encerclement maritime de l’Iran et d’une recomposition ethnopolitique en gestation, le régime iranien semble avoir achevé sa mission historique. Une nouvelle séquence s’ouvre, qui pourrait remodeler durablement le Moyen-Orient.


Un rôle assigné, une mission achevée

Le régime des mollahs, né à Paris dans les valises de Khomeiny, fut paradoxalement adoubé par les puissances occidentales dans sa phase fondatrice. Air France l’amena à Téhéran ; les images d’un rabbin et d’un ambassadeur américain derrière lui au moment de sa première prière illustrent une ambiguïté fondamentale : ce régime ennemi n’était peut-être pas un adversaire pur, mais un acteur de stabilisation par polarisation.


La confrontation avec Israël a permis à ce dernier de devenir une puissance nucléaire tacite, d’investir massivement dans ses capacités militaires, et de rallier une opinion internationale longtemps sceptique. Pendant que l’Iran multipliait les déclarations martiales et brandissait ses missiles, Israël construisait un réseau de défense intégrée, consolidait son alliance avec Washington, et étendait son influence, du Liban au Sinaï.

Aujourd’hui, l’élimination ciblée de hauts commandants iraniens dans leur lit à Téhéran, la présence d’un réseau d’espions jusqu’au sein de la garde révolutionnaire, et l’encerclement naval sans précédent par les groupes aéronavals américains indiquent qu’une opération de démantèlement méthodique est en cours. La structure politique iranienne, telle qu’elle a été tolérée pendant près d’un demi-siècle, n’est plus nécessaire. Le récit de la menace iranienne a rempli son office.

Khomeini le Mollah de l’occident

En 1979, où le régime iranien a-t-il été établi en réalité ? À Paris. D’où est venu Khomeiny ? De Paris. Où le gouvernement provisoire a-t-il été formé ? À Paris. Et avec quel avion est-il arrivé à Téhéran ? Avec Air France. Et quelles ont été ses premières paroles ? « Nous effacerons Israël, le sionisme, de la carte […] L’Occident est satanique. » Mais pendant qu’il faisait sa prière de remerciement, qui était derrière lui ? L’ambassadeur des États-Unis… et un rabbin.


Khomaini Air France 1979
1 February 1979 – L’Ayatollah Khomeiny est escorté à sa descente de l’avion d’Air France lors de la Révolution islamique, de retour en Iran après avoir vécu en Occident.

De Sykes–Picot au post-étatique : les lignes bougent

Après la fragmentation de l’Irak, la dissolution de la Syrie, le siège et l’isolement de Gaza, l’Iran pourrait être le dernier verrou du Moyen-Orient issu de l’accord Sykes–Picot. Le démantèlement progressif des États-nations traditionnels ouvre la voie à des entités plus souples, alignées sur des logiques tribales, ethniques ou clientélaires. C’est dans ce cadre qu’émerge un projet transfrontalier majeur : le Grand Kurdistan.

Cette entité – en gestation depuis les années 1990 – s’étendrait du nord de la Syrie au nord de l’Irak, jusqu’au Kurdistan iranien, et potentiellement au cœur même du territoire turc. Présentée comme une solution à l’instabilité chronique de la région, elle pourrait en réalité servir de zone tampon pro-occidentale, mitigeant les ambitions turques, iraniennes et arabes.

Le Yémen s’inscrit également dans ce jeu d’échecs régional. Sa division entre zones houthies soutenues par l’Iran et territoires sunnites fait de lui un terrain où se projettent, à bas bruit, les rivalités d’influence qui redessinent le Moyen-Orient. En ce sens, le Yémen n’est plus un conflit délaissé, mais un maillon du nouvel ordre post-Mollahs.

Le miroir ukrainien

La méthodologie de l’attaque contre l’Iran rappelle avec force celle menée contre la Russie. Dans les deux cas, une guerre de profondeur, combinant renseignement, frappes de drones, éliminations ciblées et sabotage intérieur. L’opération ukrainienne surnommée “Spider Web” (toile d’araignée), a inspiré un modèle de guerre invisible visant les centres nerveux de la puissance.

« Rise & Kill First », la mantra du Mossad qui fait encore mouche

Le Mossad a démontré une létalité redoutable dans cette guerre de l’ombre. Des opérations passées, comme l’infiltration via des pagers cryptés qui ont permis d’éliminer la chaîne de commandement du Hezbollah au Liban et de décapiter le commandement militaire iranien, attestent d’une efficacité jamais égalée dans le renseignement humain et électronique. L’Iran, pourtant bastion sécurisé, se retrouve traversé par un réseau de renseignements transfrontaliers comparable à un cancer interne.

Une guerre qui enrichit la Russie, isole la Chine

Le choc pétrolier en cours – ou à venir – dans le détroit d’Hormuz constitue une variable géopolitique d’ampleur globale. Si les flux sont interrompus même quelques jours, les prix du brut flambent. Cette inflation énergétique bénéficie à Moscou, qui voit ses revenus hydrocarbures s’envoler malgré les sanctions occidentales.

En revanche, la Chine, premier importateur mondial de pétrole brut, notamment iranien, voit son économie pénalisée par ces hausses. La guerre contre l’Iran devient ainsi un instrument stratégique indirect contre Pékin. Une pression énergétique renforcée, sans confrontation directe. L’objectif : ralentir la machine industrielle chinoise sans en assumer les coûts d’un conflit ouvert.

La Turquie sous haute pression

Ankara, déchirée entre ses ambitions régionales et ses fragilités intérieures, subit une pression systémique. La fragmentation potentielle de l’Iran pourrait déclencher une onde d’instabilité sur ses propres frontières. La tentation de s’appuyer sur les 35 millions de Turcs d’Azerbaïdjan du Sud peut aussi être perçue comme une réaction à l’érosion de sa centralité géopolitique.

Le monde sunnite incontournable : Les Accords d’Abraham et des espaces d’expression géostratégiques

Les accords d’Abraham offrent à une partie du monde sunnite (Arabie saoudite, EAU, Bahreïn et Maroc ) une intégration sécuritaire dans l’échiquier israélo-américain, tandis que d’autres pays sunnites comme le Qatar et la Turquie reçoivent en contrepartie un lâcher de leste sur les théâtres entre autres syrien et afghan. Une redistribution tacite des zones d’influence.

L’amenuisement du rôle européen

L’Europe, jadis acteur diplomatique central au Moyen-Orient, apparaît aujourd’hui marginalisée. Faute de doctrine commune, de capacité militaire projetable, et de volonté stratégique, elle se retrouve spectatrice d’une recomposition qui se joue entre Washington, Tel-Aviv, Moscou, Ankara et les capitales du Golfe. L’UE n’est plus qu’un bailleur humanitaire, hors-jeu dans les équilibres réels de puissance.

Gaza, minuscule mais stratégique

Enfin, l’importance de Gaza – cette “toute petite Gaza” – prend une autre dimension si on considère la puissance aéronavale en présence. L’étroit territoire palestinien contrôle en réalité un accès côtier crucial entre la Méditerranée orientale et la mer Rouge. Dans un monde où les groupes aéronavals font et défont les équilibres, même un fragment de côte devient stratégique à l’échelle planétaire.

Vers un Moyen-Orient liquide

Le Moyen-Orient qui émerge ne repose plus sur des États stables, mais sur des ensembles mouvants, manipulables, paramilitaires, ethniques ou confessionnels. Le rôle de l’Iran dans cette architecture semble toucher à sa fin. La recomposition est en cours, avec des lignes de front hybrides : aériennes, navales, numériques, informationnelles.

Là où les grandes puissances apparaissent comme protectrices de l’ordre, elles agissent en architectes d’un chaos fonctionnel, redistribuant les rôles, les frontières et les allégeances. Et dans cet échiquier recomposé, ni l’Ukraine ni l’Iran ne sont des exceptions. Ils sont les modèles expérimentaux d’une nouvelle doctrine : celle de la guerre sans guerre, de la fragmentation utile, de la réinitialisation géopolitique.

Nawfal Laarabi
Nawfal Laarabi
Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist 20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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