La loi Meloni contre les manifestations aggrave la crise des prisons en Italie

La nouvelle loi « Sécurité » du gouvernement Meloni, adoptée début juin, marque un tournant sécuritaire majeur en Italie. Présentée comme un rempart contre la criminalité et les manifestations « illégales », elle alourdit les peines pour des infractions liées aux protestations et renforce les pouvoirs de la police. Mais derrière la rhétorique sécuritaire, cette législation risque surtout d’accentuer la crise chronique du système carcéral italien.

Plus de prisonniers, mais des prisons saturées

Avec l’adoption définitive du décret au Sénat le 4 juin par 109 voix contre 69, l’Italie a acté un durcissement pénal sans précédent ces dernières années. Le texte introduit 14 nouvelles infractions, notamment pour les tactiques de protestation comme les sit-ins ou les blocages de routes. Il prévoit des peines plus longues pour les détenus impliqués dans des mutineries ou des désobéissances en prison et exclut explicitement le recours aux mesures de réduction de peine ou aux grâces collectives — pourtant des outils clés pour désengorger les prisons.

Cette politique de « tolérance zéro » survient alors que, selon l’ONG Antigone, les prisons italiennes comptaient en avril plus de 62 000 détenus pour 51 000 places théoriques, avec un taux d’occupation dépassant 119 % en 2023, un des plus élevés de l’Union européenne. Cette surpopulation est aggravée par la vétusté des infrastructures, le manque de personnel et des services de santé mentale dramatiquement sous-dotés.

Ce que contient la nouvelle loi « Sécurité » de Meloni

Peines alourdies : Allongement des peines pour dégradations, blocages, occupations et actes de désobéissance lors de manifestations.

Protection accrue pour la police : Introduction d’un délit spécifique pour blessures infligées à un agent en service et prise en charge jusqu’à 10 000 € des frais de justice pour les policiers mis en cause.

Pouvoirs élargis aux services de renseignement : Autorisation pour les agents de commettre certaines infractions sans poursuite, au nom de la sécurité nationale.

Prisons et centres de rétention : Sanctions plus lourdes pour les mutineries et refus d’obtempérer, avec la création d’un délit de « révolte carcérale ».

Ciblage des pickpockets : Peines renforcées pour vols dans les transports, notamment pour ceux qui se déclarent enceintes pour éviter la prison.

Aucune mesure de désengorgement : Exclusion des réductions de peine, grâces collectives ou alternatives à la détention.

🗨️ Le gouvernement présente la loi comme une réponse à l’insécurité. Les critiques y voient un instrument de répression contre la contestation sociale et un facteur aggravant de la crise carcérale.

Risque de multiplication des drames

Le 9 juin, cinq jours après le vote final, un détenu de 56 ans s’est suicidé dans sa cellule à Cagliari, portant à 33 le nombre de suicides recensés dans les prisons italiennes depuis le début de l’année. Un chiffre alarmant, qui avait déjà atteint un record de 91 suicides en 2024, et qui a poussé le président Sergio Mattarella à appeler le gouvernement à traiter ce « véritable problème social ».

Ces drames sont particulièrement fréquents dans les quartiers d’isolement, où l’absence d’interactions favorise les passages à l’acte. « L’augmentation de la durée des peines et le recours accru à la détention risquent d’isoler davantage les détenus », alerte Alessio Scandurra, auteur du rapport d’Antigone. « Les données montrent que l’ouverture et les activités de réinsertion réduisent les suicides. Or, le décret va dans la direction opposée. »

Criminalisation des protestations en prison

Autre innovation inquiétante du texte : la création d’un délit spécifique de « mutinerie carcérale ». Désormais, un mouvement de protestation dans une prison — qui, par le passé, a parfois permis de dénoncer des abus et d’améliorer les conditions de détention — pourrait déboucher sur de lourdes poursuites pénales. Cette disposition s’applique également aux centres de rétention pour migrants, où toute résistance collective, même pacifique, est désormais susceptible de poursuites pénales, renforçant la criminalisation des migrants en situation irrégulière.

Pour Scandurra, « réprimer ces mouvements va couper un des rares canaux d’alerte qui permettaient de signaler des manquements graves. »

L’actualité récente donne un avant-goût des tensions à venir : le 4 juin, jour même de l’adoption de la loi, 200 détenus de la prison de Marassi à Gênes se sont révoltés après l’agression sexuelle présumée d’un codétenu. Ils ont envahi des zones de l’établissement, escaladé les toits et blessé deux agents, avant une intervention musclée des forces de l’ordre. La multiplication de ce type d’incidents semble inévitable dans un système déjà au bord de l’explosion.

L’ombre du jugement Torreggiani

En 2013, la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné l’Italie dans l’arrêt Torreggiani pour traitement inhumain en raison de cellules trop exigües (moins de 3 m² par personne). Cette décision avait forcé Rome à réformer : recours plus fréquent aux aménagements de peine, régimes de semi-liberté, cellules ouvertes… et une baisse significative du nombre de détenus.

La nouvelle loi Meloni tourne le dos à cette dynamique. En excluant toute grâce collective et en alourdissant les peines, elle fait planer le risque d’un retour aux violations qui avaient valu à l’Italie la condamnation de la CEDH.

Une Italie plus sûrecontre les migrants ?

Pour la Première ministre Giorgia Meloni, ce texte est la pierre angulaire de sa promesse d’« Italie plus sûre », protégeant « les plus vulnérables et les honnêtes citoyens ». Mais de nombreux experts estiment qu’en surchargeant encore davantage les prisons, il alimentera instabilité et violence plutôt que de prévenir la criminalité.

Reste une question cruciale : quel sera l’impact de ce durcissement sécuritaire sur la communauté marocaine, première diaspora maghrébine en Italie ? Alors que des milliers de ressortissants marocains vivent dans des situations parfois précaires ou sans papiers, la nouvelle loi pourrait exposer davantage cette population aux contrôles, aux poursuites et aux détentions, renforçant leur vulnérabilité face à un système carcéral déjà saturé et une société de plus en plus polarisée.

Nawfal Laarabi
Nawfal Laarabi
Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist 20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

Les plus lus

Maroc – France : Hammouchi, la rigueur tranquille qui force la pleine coopération

Il n’a jamais cherché la lumière, mais elle finit...

Vicenne entre en Bourse : un changement de dimension pour la santé made in Morocco

L’introduction en Bourse du groupe Vicenne, programmée entre le...

Classement des 20 milliardaires africains les plus riches en 2025

À mi-parcours de l’année 2025, le classement des grandes...

Décès d’Éric Denécé, fondateur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement

Éric Denécé, ancien officier du renseignement et directeur du...

Rabat, capitale de la régulation financière francophone

Sous les ors de l’Université Mohammed VI Polytechnique, l’Autorité...

Fouzi Lekjaa prend le leadership sur l’économie bleue

Fouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget, a affirmé...

47 projets approuvés pour 51 MMDH lors de la 8ème Commission nationale des investissements

La 8ème Commission nationale des investissements (CNI), présidée jeudi...

Related Articles

Focus Thématiques