Modèle de stabilité, le Maroc inspire autant qu’il inquiète. Ses succès en font une exception dans le monde arabe ; sa fragilité momentanée, une source d’appréhension collective. Car derrière la solidarité régionale, se cache une question partagée : que deviendrait le monde arabe sans le Maroc comme repère ?
Un monde arabe sous tension
La concomitance entre les événements du mouvement GenZ212 et la montée des tensions autour de Gaza a accentué l’anxiété régionale. Alors que Donald Trump évoque un nouveau plan de paix hypothétique, et que la flottille internationale cherchant à briser le blocus sur Gaza ravive les symboles d’un monde arabe impuissant, l’opinion publique vit au rythme d’une colère et d’une peur mêlées.
Dans ce climat saturé d’incertitudes, le Maroc devient un point de fixation : un pays stable, réformiste, mais traversé par une jeunesse impatiente et consciente de ses paradoxes.
La focalisation médiatique, facteur d’angoisse collective
Cette angoisse a été amplifiée par une focalisation médiatique sans précédent sur le Maroc.
En nombre de publications et de vidéos, AJ+ -la filiale numérique d’Al Jazeera- s’est imposée comme la première source d’information sur les événements du Royaume.
Or, la chaîne traverse depuis plusieurs mois une crise de crédibilité, liée à sa couverture partielle des incidents internes au Qatar et à la révision de sa ligne éditoriale sur Israël après l’attaque de Doha.
Les tensions marocaines ont ainsi offert à AJ+ une opportunité inespérée pour regagner de l’audience et redorer son image, au prix d’une amplification émotionnelle qui a contribué à nourrir l’inquiétude et les projections alarmistes dans le monde arabe.
Le Maroc, une exception qui interroge les sociétés arabes
Sous le règne du Roi Mohammed VI, le Royaume a bâti un modèle de transformation remarquable : infrastructures modernes, industries compétitives de classe mondiale, inflation relativement maîtrisée, réformes politiques et diplomatie conquérante et équilibrée.
Le journaliste Saïd Jebil, fin observateur économique et géopolitique égyptien, résume ce sentiment partagé dans le monde arabe :
« Le Maroc est de loin le pays le plus loti du monde arabe. Ses réalisations économiques sont un cas d’école qu’il faudrait enseigner dans les universités. »
Mais c’est justement cette réussite qui inquiète. Si un pays aussi structuré peut connaître une révolte générationnelle, que dire de sociétés plus fragiles ?
Le Maroc, référence régionale, devient le baromètre des angoisses arabes : la preuve qu’aucune réussite économique n’immunise contre la frustration sociale.
Un modèle en tension : le Maroc à deux vitesses
Dans son dernier discours, le Roi Mohammed VI avait lui-même diagnostiqué l’existence d’un Maroc à deux vitesses : l’un intégré, connecté à la dynamique mondiale, et l’autre en marge, encore éloigné des fruits de la croissance.
Cette lucidité royale résonne aujourd’hui avec force.
La GenZ212 n’a fait qu’exprimer, à sa manière, cette fracture socio-économique et générationnelle.
Une semaine avant les événements, le Wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, alertait sur la gravité de la situation : le taux de chômage des jeunes marocains place le pays parmi les trois plus touchés du monde, juste après la Jordanie et la Tunisie.
Ce constat, loin d’être une fatalité, éclaire la colère d’une génération qui veut participer au projet national sans en être spectatrice.
Une solidarité arabe qui dépasse les clivages
Face à cette crise, la réaction du monde arabe a été marquée par une solidarité inattendue.
Des intellectuels et influenceurs arabes, souvent critiques du Maroc à cause de la normalisation avec Israël, ont mis de côté les divergences idéologiques pour exprimer leur soutien au Royaume.
Car au-delà de la diplomatie, le Maroc symbolise une liberté de ton et une vitalité sociale que beaucoup envient.
Les manifestations pro-palestiniennes, les chants d’ultras dans les stades, et les expressions publiques de solidarité avec Gaza ont rappelé que le Maroc est un pays vivant, où la jeunesse parle fort sans rompre avec l’État.
Cette coexistence entre liberté, loyauté et ferveur nationale fascine les observateurs arabes, habitués à des régimes où toute dissidence est synonyme de répression.
Le Maroc, laboratoire d’un ajustement pacifique
Pour nombre d’analystes, le Maroc est en train de devenir un modèle d’ajustement politique, économique et social pacifique. Les tensions sociales ne sont pas le signe d’un effondrement, mais les symptômes d’une mutation rapide.
Comme les pays du Sud-Est asiatique dans les années 1990, le Maroc paie le tribut d’un développement accéléré, où les aspirations de la jeunesse devancent parfois la redistribution des fruits de la croissance.
Cette phase de transition, si elle est accompagnée avec intelligence et écoute, pourrait faire du Royaume un exemple pour les pays arabes confrontés aux mêmes déséquilibres générationnels et territoriaux.
«Les gens de l’Ouest» : les Marocains dans la prophétie
Dans l’une des émissions sur Youtube consacrées aux événements récents au Maroc, un orateur a livré une lecture singulière, mêlant histoire, religion et géopolitique.
S’appuyant sur des hadiths rapportés dans Sahih Muslim, il a rappelé une prophétie du Prophète Mohammed selon laquelle “les gens de l’Ouest (Ahl al-Maghrib) resteront fermes sur la vérité jusqu’à la fin des temps”.
Selon lui, cette annonce concerne directement le Maghreb, et plus particulièrement le Maroc, le pays le plus à l’ouest du monde musulman, celui qui a toujours défendu la foi tout en protégeant la diversité et la stabilité.
Il a souligné que les dynasties marocaines — des Idrissides aux Alaouites — ont toutes été liées à la famille du Prophète (Ahl al-Bayt), consolidant un attachement historique entre la monarchie et la spiritualité.
Le Maroc, a-t-il affirmé, «restera, par la volonté de Dieu, un rempart de stabilité et de fidélité aux valeurs de l’islam».
Pour l’orateur, cette prophétie éclaire la résilience du peuple marocain :
« Même dans les moments de tension, le Maroc ne se divise pas. Il revient toujours à la vérité, à la foi et à la modération. »
Le Sahara, moteur d’une puissance régionale
Cette transformation s’accompagne d’un basculement géopolitique majeur : le Maroc, libéré du poids des différends sur ses provinces du Sud, assume désormais sa vocation de puissance régionale.
Sous l’impulsion du Roi Mohammed VI, le Sahara marocain est devenu un espace de prospérité, de connexion et de projection économique.
Les signaux récents sont éloquents :
- Les États-Unis ont réaffirmé, la semaine dernière, leur soutien au développement de la région,
- L’Union Européenne signe l’accord commercial avec le Royaume incluant le Sahara,
- Un Forum économique Maroc–France se tiendra à Dakhla le 9 octobre,
- Et UK Export Finance, l’agence britannique de garantie à l’investissement, prépare de nouveaux mécanismes pour accompagner les entreprises au Sud du Royaume.
Ainsi, le Sahara devient un pont stratégique entre l’Europe et l’Afrique, entre l’Atlantique et la Méditerranée, une illustration concrète de la vision royale d’un Maroc ouvert, confiant et moteur.
Un symbole à préserver
Le Maroc n’est pas seulement un État stable. Il est un symbole d’équilibre : un pays qui réconcilie réforme et fidélité, ouverture et identité, ambition et lucidité.
C’est ce qui fait sa force, et c’est aussi ce qui explique l’attention passionnée qu’il suscite dans le monde arabe. Car dans une région marquée par les excès, le Maroc incarne la voie médiane, celle de la réforme maîtrisée et du progrès sous contrôle.
Et si le Maroc fascine autant qu’il inquiète, c’est parce qu’il rappelle à ses voisins qu’un autre destin arabe reste possible.
Un destin qui conjugue puissance, jeunesse et paix.