Depuis quelques jours, les réseaux sociaux et certains médias syriens, irakiens et yéménites s’enflamment autour d’une rumeur pour le moins invraisemblable : le nouveau ministre syrien des Affaires étrangères, Asaad al-Shaibani, serait en réalité… Abou Bakr al-Baghdadi, l’ancien chef autoproclamé de Daech, officiellement tué en 2019. À l’origine de cette hypothèse, un semblant de ressemblance physique qui a suffi à alimenter les théories les plus spectaculaires.
Une ressemblance troublante
La polémique est née d’une photo officielle d’al-Shaibani, récemment nommé chef de la diplomatie syrienne. Barbe fournie, traits anguleux, posture hiératique : pour de nombreux internautes, il serait le sosie parfait du “calife” disparu.
Certains observateurs sont allés plus loin en mobilisant des techniques de comparaison faciale semi-professionnelles :
• superposition des clichés,
• mesures des proportions du visage,
• analyses de points de concordance.
Résultat : un “taux de similitude” qui serait estimé entre 70 et 80 %, assez pour semer le doute mais insuffisant pour établir une preuve.

La mort de Baghdadi, une affaire jamais totalement éclaircie
L’affaire ne peut qu’attiser les suspicions, tant la disparition d’al-Baghdadi en octobre 2019 est restée entourée de zones d’ombre. Donald Trump avait annoncé en grande pompe sa mort lors d’un raid américain en Syrie, affirmant que le chef jihadiste s’était fait exploser dans un tunnel.
Mais aucun cliché du corps n’a été publié, et la seule confirmation avancée fut celle d’analyses ADN auxquelles personne en dehors des autorités américaines n’a eu accès. De quoi nourrir, depuis, un soupçon d’“opération de communication” visant à clore définitivement le chapitre Daech.
L’énigme al-Shaibani
L’autre élément qui attise le feu des rumeurs est le passé mystérieux d’Asaad al-Shaibani.
• Il serait diplômé d’une université turque (IZU), mais aucune trace de son parcours antérieur n’apparaît dans les cercles diplomatiques ou politiques.
• Son nom n’était quasiment jamais cité avant sa nomination surprise en décembre 2024 à la tête de la diplomatie syrienne.
• Ses supposés liens avec certains groupes armés alimentent les spéculations.
Pour ses détracteurs, ce trou noir biographique laisse ouverte l’idée qu’il s’agirait d’une “identité recyclée”, un scénario digne des services de renseignement.
Les thèses de la “recyclage” et de la manipulation
Dans les sphères conspirationnistes, la rumeur est devenue une “preuve” d’une hypothèse plus vaste : les services occidentaux ou régionaux auraient “réemployé” Baghdadi, non plus comme chef terroriste, mais comme acteur politique, en l’installant sous une nouvelle identité à un poste stratégique.
Les partisans de cette vision rappellent que l’histoire récente regorge d’exemples de “fausses morts” et de mutations de personnages en fonction des besoins géopolitiques.
Entre fantasme et stratégie de déstabilisation
Reste que, faute d’éléments vérifiables, cette théorie relève aujourd’hui davantage du mythe médiatique que de l’enquête documentée. Mais elle illustre la puissance des armes cognitives dans un Proche-Orient saturé de récits concurrents.
Un simple cliché, un visage à la barbe fournie, et la rumeur enfle au point de réouvrir le dossier Baghdadi que Washington croyait clos.
Qu’Asaad al-Shaibani soit ou non un parfait sosie d’Abou Bakr al-Baghdadi, une certitude s’impose : l’épisode révèle la fragilité des récits officiels et la facilité avec laquelle le soupçon prospère dans une région marquée par les opérations secrètes et les guerres de l’ombre.
Le “mystère Baghdadi” reste entier, et pourrait bien continuer à hanter la géopolitique du Moyen-Orient pour longtemps.