L’onde de choc provoquée par la frappe israélienne à Doha ne réside pas seulement dans la violation du territoire qatari, mais dans le malaise qu’elle révèle : le Qatar savait. Prévenu par Washington de l’imminence de l’attaque, l’émirat a condamné avec force après coup, mais l’interrogation reste entière : a-t-il, dans ce moment de bascule, averti les dirigeants du Hamas qu’il abrite, ou a-t-il laissé se jouer une scène qui consacre l’effritement de son rôle de médiateur ?
Les révélations américaines
La Maison-Blanche a reconnu que ce sont les services militaires américains qui ont informé l’administration Trump de l’imminence de la frappe, et non Israël directement. Le Wall Street Journal a confirmé que Tel-Aviv avait bien notifié Washington, lequel avait à son tour alerté Doha.
Ce détail change tout : le Qatar ne peut plus plaider la surprise. La question cruciale devient donc la suivante : si Doha était au courant, les dirigeants du Hamas que ciblait Israël ont-ils été informés ?
Selon un communiqué officiel du Hamas, l’opération israélienne visait à assassiner son équipe de négociation. Le mouvement affirme qu’Israël a échoué dans son objectif principal, mais reconnaît la mort de cinq de ses membres, dont le fils du négociateur en chef Khalil al-Hayya. Dans la foulée, le Hamas a accusé non seulement Israël, mais aussi les États-Unis, d’être responsables de cette attaque, tout en martelant que ce drame ne modifiera en rien ses exigences pour un cessez-le-feu à Gaza.
Le mutisme déroutant d’Al Jazeera
Il est un autre détail qui en dit long : l’attitude d’Al Jazeera. La chaîne, d’ordinaire prompte à braquer ses caméras sur la moindre échauffourée de quartier et à tendre son micro au premier passant, a cette fois fait la sourde oreille. Les premières images et dépêches n’ont pas été diffusées par elle, mais par Reuters, les médias israéliens ou encore Al Arabiya. Pire, pour annoncer l’attaque sur sa propre capitale, la vitrine médiatique du Qatar a cité… Reuters. Aucune équipe dépêchée, aucune caméra fixée sur le panache de fumée, aucune voix de citoyens recueillie. Là où elle couvre avec fracas les guerres arabes, Doha a choisi l’omerta télévisuelle. Un silence lourd de sens, qui souligne le malaise d’un pays pris dans ses contradictions.
Doha pris dans ses contradictions
L’émirat, qui avait accepté d’accueillir le bureau politique du Hamas à la demande de Washington, se retrouve au centre d’une contradiction intenable. S’il a choisi de ne pas avertir les responsables du Hamas, il acte une rupture silencieuse avec l’organisation islamiste. S’il a tenté de les prévenir, pourquoi certains ont-ils été frappés alors même que la cible israélienne était connue ?
Dans les deux cas, Doha se retrouve exposé : soit comme complice tacite d’une frappe sur ses propres protégés, soit comme acteur incapable de protéger ceux qu’il héberge.
La Maison-Blanche a tenté d’atténuer la portée de l’événement. Le président Trump a déclaré qu’il « se sentait très affecté par le lieu de cette attaque » et a affirmé avoir « immédiatement ordonné à Steve Witkoff d’informer le Qatar » des frappes imminentes. Washington a en outre assuré Doha qu’« une telle chose ne se reproduira pas » sur son sol.
L’équilibre fragile que le Qatar entretenait entre l’accueil du Hamas et son ancrage stratégique aux côtés des États-Unis semble avoir volé en éclats. En laissant se dérouler une frappe israélienne sur son territoire, qu’il ait choisi de prévenir ou non, l’émirat apparaît désormais incapable de maintenir son statut de médiateur crédible. L’axe Washington–Tel-Aviv a forcé Doha à dévoiler ses priorités : préserver la relation avec les États-Unis au prix d’une crédibilité régionale durablement fragilisée.