Le Premier ministre britannique Keir Starmer s’apprête à annoncer l’introduction de cartes d’identité numériques, surnommées Brit-Cards, lors d’un discours prévu à Londres. Ce projet, présenté comme un outil de lutte contre l’immigration illégale et la fraude, relance un vieux débat politique au Royaume-Uni, marqué par des décennies de polémiques sur la question de l’identification obligatoire des citoyens.
Un projet qui ressuscite une vieille idée
Il y a vingt ans, Tony Blair avait déjà tenté d’imposer un système de cartes d’identité pour lutter contre l’immigration clandestine et simplifier l’accès aux services publics. Le projet s’était heurté à une forte opposition, et David Cameron l’avait finalement enterré, jugeant la mesure « intrusive, inefficace et extrêmement coûteuse ».
Aujourd’hui, Tony Blair revient dans le débat par l’intermédiaire de son Tony Blair Institute (TBI), qui milite activement pour l’adoption d’un dispositif numérique adapté à l’ère des smartphones.
Qu’est-ce que la Brit-Card ?
La Brit-Card prendrait la forme d’une application mobile reliée à une base de données centrale.
- Toute personne souhaitant commencer un emploi ou louer un logement devrait la présenter.
- L’identité serait vérifiée en temps réel afin de confirmer le droit de résider et de travailler au Royaume-Uni.
- L’objectif affiché : réduire l’attrait du marché du travail britannique pour les migrants en situation irrégulière et renforcer la lutte contre la fraude.

Selon le TBI et les partisans du projet, la carte d’identité numérique ne serait pas l’équivalent numérique du « papers, please », mais un outil moderne et utile :
- Sécurité : fermer les brèches utilisées par les trafiquants et réduire les facteurs d’attraction pour l’immigration illégale.
- Efficacité : accélérer les démarches avec l’administration et réduire les erreurs.
- Confiance : restaurer la crédibilité de l’État, en affichant une modernisation de la relation avec les citoyens.
- Commodité : simplifier la vie quotidienne des citoyens dans leurs interactions avec l’État et le secteur privé.
Les inquiétudes et critiques
Mais l’initiative soulève déjà de vives réserves :
- Vie privée : les associations comme Liberty et Big Brother Watch redoutent la constitution d’une immense base de données nationale permettant de surveiller, profiler et suivre les citoyens.
- Cybersécurité : les bases centralisées constitueraient une cible de choix pour les hackers. Les cyberattaques récentes contre Jaguar Land Rover, la Co-op ou encore la British Library illustrent la vulnérabilité des infrastructures britanniques.
- Exclusion numérique : environ 1,7 million de Britanniques de plus de 74 ans n’utilisent pas Internet (Age UK). Pour eux, la Brit-Card pourrait devenir un facteur d’exclusion sociale.
La bataille des chiffres
Le coût du projet reste flou et alimente la controverse :
- Tony Blair Institute : 1 milliard £ de mise en place, 100 millions £ de fonctionnement annuel.
- Association of Digital Verification Providers : plus de 2 milliards £.
- Labour Together (BritCard) : 140 à 400 millions £, avec 10 millions £ annuels de maintenance.
Le gouvernement tente de limiter les critiques en annonçant que le projet ne donnera pas lieu à de gigantesques contrats confiés à IBM ou Fujitsu. Il serait plutôt développé par le Government Digital Service, en partenariat avec des entreprises technologiques britanniques de taille moyenne.
Entre promesse de modernisation et risque de surveillance généralisée, la Brit-Card cristallise à nouveau les tensions autour de l’équilibre entre sécurité, efficacité administrative et libertés publiques.
Pour Keir Starmer, l’enjeu est double : convaincre une opinion publique historiquement méfiante et démontrer que la technologie peut offrir une réponse crédible à la pression migratoire et aux défis de l’État-providence.