Dans une décision très attendue, l’agence de notation Standard & Poor’s (S&P) a annoncé ce jour le rehaussement de la note de crédit souveraine du Maroc à «BBB- / A-3», avec une perspective stable. Ce changement marque une étape importante dans la trajectoire financière du royaume et envoie un signal positif aux investisseurs internationaux.
Ce que signifie ce rehaussement
Le passage à «BBB-» en notation long terme et «A-3» en court terme indique que S&P considère que la capacité du Maroc à honorer ses obligations financières — en devise locale comme en devise étrangère — est plus solide qu’auparavant. La perspective stable suggère que l’agence ne prévoit pas de hausse ou de baisse majeure de cette note dans l’immédiat, tant que les conditions macroéconomiques et les réformes se maintiennent.
Concrètement, ce rehaussement peut entraîner :
- Un coût d’emprunt moindre pour l’État marocain sur les marchés internationaux, grâce à une prime de risque réduite.
- Une meilleure attractivité pour les investisseurs étrangers, notamment les fonds souverains ou institutionnels qui exigent souvent un “investment grade”.
- Une crédibilité renforcée dans les négociations de financements externes (banques multilatérales, obligations souveraines, prêts bilatéraux).
- Une marge de manœuvre budgétaire accrue pour soutenir certains investissements ou projets, si le gouvernement maintient une discipline fiscale.
Les arguments clés de l’analyse S&P
Dans son communiqué d’évaluation, S&P avance plusieurs éléments de fond justifiant ce rehaussement :
- Politiques macroéconomiques solides et crédibles
L’agence souligne que le Maroc a su mettre en œuvre une gouvernance budgétaire prudente, maîtriser son déficit public et stabiliser ses finances face à des chocs externes. - Réformes structurelles continues
Le Maroc est salué pour sa démarche de modernisation (diversification des exportations, développement des secteurs comme l’automobile, l’électronique, les énergies renouvelables), et pour ses efforts de transparence et de renforcement institutionnel. - Résilience face aux chocs externes
S&P note que le pays dispose d’une capacité d’ajustement raisonnable (réserves de change, flexibilité, accès aux marchés externes) pour amortir les secousses mondiales. - Amélioration des finances publiques
Le réhaussement tient aussi au fait que le déficit budgétaire, la charge de la dette et les garanties publiques ont été mieux contrôlés, ce qui réduit le risque de contagion ou de déséquilibre fiscal majeur.
Cela étant, l’agence mentionne aussi certaines fragilités persistantes — par exemple, la dépendance aux recettes provenant de quelques secteurs, le défi de l’informel, les aléas climatiques ou énergétiques, et la nécessité de maintenir le rythme des réformes pour consolider les gains.
Les. passages clés de l’analyse de S&P sur le Maroc
1. Sur la résilience et la croissance
« L’économie du Maroc a fait preuve de résilience face à des chocs économiques successifs, récemment déclenchés par l’instabilité du commerce mondial en raison des droits de douane américains. Les perspectives de croissance économique sont solides, avec une croissance annuelle moyenne du PIB réel prévue à 4 % sur 2025-2028. »
👉 S&P souligne la résilience et prévoit une croissance annuelle moyenne de 4 %.
2. Sur le déficit budgétaire et la dette
« Nous prévoyons que le déficit budgétaire se réduira à 3 % du PIB en 2026, soutenu par une hausse des recettes publiques, ce qui entraînera un lent déclin du ratio dette publique/PIB. »
👉 Prévision d’un déficit budgétaire réduit à 3 % en 2026, avec une dette publique en baisse progressive.
3. Sur la diversification économique
« Nous pensons que la performance économique récente du Maroc et ses perspectives sont soutenues par son mix de politiques et par une forte dynamique de réformes structurelles socio-économiques et budgétaires, qui devraient continuer à contribuer à formaliser et diversifier davantage l’économie. »
👉 S&P insiste sur les réformes structurelles et la diversification comme leviers clés.
4. Sur les risques climatiques
« Les perspectives de croissance restent toutefois vulnérables aux effets négatifs du changement climatique sur la production agricole. L’économie marocaine et son secteur agricole sont vulnérables aux chocs climatiques, et les épisodes récurrents de sécheresse ont accru le chômage tandis que les inégalités régionales et l’économie informelle persistent. »
👉 La vulnérabilité climatique (sécheresses, agriculture) reste un point faible.
5. Sur les réformes sociales et fiscales
« Le gouvernement a simultanément adopté des réformes fiscales et des mesures pour attirer les investissements, lancé le registre unifié de sécurité sociale et élargi la couverture santé. »
👉 Mention d’un registre unifié de sécurité sociale, d’une extension de la couverture santé et de réformes fiscales.
6. Sur la dette et les finances publiques
« Associé à une solide croissance nominale du PIB, le ratio de la dette publique nette au PIB devrait tomber sous la barre des 60 % en 2028, et les paiements d’intérêts devraient rester contenus à environ 7 % des recettes publiques. »
👉 Projection d’une dette publique nette < 60 % du PIB en 2028.
7. Sur les exportations et Tanger Med
« Avec le développement de secteurs orientés vers l’exportation, l’augmentation de la capacité d’exportation du Maroc (par exemple, avec Tanger Med qui est le plus grand port du continent) et un secteur touristique dynamique, les exportations de biens et services ont atteint 42 % du PIB en 2025 contre une moyenne de 32 % sur 2015-2019. »
👉 Tanger Med et le tourisme tirent la hausse des exportations (42 % du PIB en 2025 vs 32 % sur 2015-2019).
8. Sur les grands projets à venir
« Sur notre horizon de prévision, l’activité économique bénéficiera de grands projets d’infrastructure, notamment les investissements liés à la Coupe d’Afrique des Nations en 2025 et à la Coupe du Monde de la FIFA en 2030, mais aussi dans l’énergie, la santé et les transports. »
👉 Les grands chantiers CAN 2025 et Coupe du Monde 2030 sont intégrés comme moteurs de croissance.
9. Sur les investissements directs étrangers
« Les IDE augmentent rapidement, et nous prévoyons qu’ils progresseront en moyenne de plus de 20 % par an sur 2025-2028, en particulier dans l’énergie, l’automobile, les transports, la pharmacie ainsi que dans les investissements liés à la Coupe d’Afrique des Nations 2025 et à la Coupe du Monde 2030. »
👉 S&P prévoit une hausse annuelle moyenne de +20 % des IDE.
10. Sur la monnaie et la politique monétaire
« En 2020, le Maroc a poursuivi la transition graduelle vers un régime de change plus flexible d’ici 2027 en élargissant la bande de fluctuation du dirham à plus ou moins 5 %, contre plus ou moins 2,5 % auparavant. Nous considérons que la libéralisation graduelle du taux de change soutient notre appréciation globale de la politique monétaire. »
👉 La libéralisation graduelle du dirham est jugée favorable.
Retour en arrière : quand le Maroc a-t-il été dégradé ?
Pour bien comprendre l’importance de ce gain de confiance, il est utile de remonter dans l’historique du rating du Maroc.
- En avril 2021, S&P avait dégradé le Maroc d’un cran, passant de BBB- à BB+ (ce qui le plaçait dans la catégorie “non-investment grade” ou “junk”) — en expliquant que le pays faisait face à une contraction économique, un déficit budgétaire croissant et des défis structurels.
- Cette décision de dégradation avait été commentée comme une «perte du statut investment grade» par l’agence.
- Depuis, le Maroc a traversé des périodes de reprise, de consolidation et de réformes, ce qui, selon S&P, justifie aujourd’hui ce retour vers une notation plus favorable.
D’ailleurs, en mars 2024, S&P avait déjà révisé la perspective de la note du Maroc à «positive», en maintenant une note “BB+ / B” (donc toujours en catégorie spéculative), ce qui montrait une anticipation d’amélioration.
Ainsi, le rehaussement à «BBB- / A-3» représente plus qu’un simple ajustement technique : c’est le retour effectif du Maroc dans le cercle des pays considérés comme “investment grade” par S&P, si l’on se fie à cette classification.
Enjeux et défis pour l’avenir
La nouveauté du jour est porteuse d’opportunités, mais n’est pas sans condition :
- Il faudra maintenir le cap des réformes : poursuite de la modernisation, lutte contre l’économie parallèle, renforcement institutionnel, soutien à l’investissement productif.
- Le contexte extérieur (prix des matières premières, taux d’intérêt mondiaux, volatilité géopolitique) reste un champ de risques.
- Les finances publiques devront rester sous contrôle : si le déficit ou le recours à des garanties publiques s’emballent, la crédibilité pourrait pâtir.
Ce rehaussement de note par S&P marque un tournant pour le Maroc : après une période difficile en 2021 où l’agence l’avait ramené dans la catégorie «junk», le royaume retrouve aujourd’hui une reconnaissance de sa capacité à gérer ses défis économiques et financiers. Le signal est fort pour les marchés et les investisseurs — mais le vrai test consistera à traduire cette confiance dans des résultats tangibles sur le terrain.