Un collectif baptisé Moroccan Youth Voice a récemment émergé sur la scène digitale marocaine avec un appel à manifester les 27 et 28 septembre pour la santé et l’éducation. Présenté comme une initiative de la Génération Z, le mouvement impressionne par son arsenal numérique… mais laisse planer de nombreuses interrogations sur son origine et sa finalité.
Une présence digitale multicanal
En quelques jours, Moroccan Youth Voice a déployé une infrastructure numérique atypique pour un mouvement se présentant comme spontané :
- une page web sobre hébergée sur Vercel (moroccanyouthvoice.vercel.app),
- une chaîne Telegram regroupant près de 1 800 abonnés,
- un compte TikTok avec environ 1 000 abonnés,
- et surtout une page Instagram qui affiche déjà 20,3 K followers, autour du hashtag #SaveMoroccoFromCorruption.
Le recours à l’intelligence artificielle pour générer l’affiche de mobilisation renforce cette identité digitale, en phase avec les codes des GenZ.
Des thématiques consensuelles, une stratégie aiguisée
L’appel aux manifestations met en avant deux causes fédératrices : santé et éducation. Deux sujets où frustrations et attentes sont fortes, ce qui permet de ratisser large, sans clivages politiques apparents. La stratégie de communication, très soignée, tranche avec l’improvisation habituelle des mobilisations étudiantes ou associatives.
Le mouvement annonce un déploiement simultané dans plusieurs grandes villes – Casablanca, Rabat, Marrakech, Fès, Meknès, El Jadida et Agadir – avec un rendez-vous fixé à 18 heures précises. Le tout assorti d’un code de conduite insistant sur le caractère pacifique, la discipline, le respect des autorités et l’interdiction de tout acte de vandalisme. Une méthode calibrée, qui renforce autant l’image de sérieux que les interrogations sur l’organisation réelle derrière Moroccan Youth Voice.
Une première vidéo qui brouille les pistes
Derrière ce vernis moderne, un élément alimente le doute : la première vidéo publiée sur Telegram met en scène Lahcen Saadi, jeune militant du RNI et proche du Chef du gouvernement Aziz Akhannouch, aujourd’hui promu à un poste ministériel. La séquence reprend l’une de ses interventions avant de s’achever par un écran noir avec l’inscription “Wasted”, suivi de visages de Marocains dépités.
Un choix paradoxal : d’un côté, un discours de dénonciation centré sur la corruption et les échecs des politiques publiques ; de l’autre, un focus initial sur une figure issue du premier cercle du pouvoir exécutif.
Entre énergie nouvelle et zones d’ombre
Avec ses slogans accrocheurs, ses canaux digitaux bien alimentés et une croissance fulgurante sur Instagram, Moroccan Youth Voice affiche une capacité de mobilisation numérique inhabituelle. Mais son absence de leadership identifié, la soudaineté de son apparition, et certains signaux contradictoires – comme la première vidéo ciblant un protégé du Chef du gouvernement – nourrissent scepticisme et spéculations.
Le mouvement se présente comme la voix d’une génération connectée, mais il pourrait tout aussi bien relever d’une expérience orchestrée, d’une tentative de manipulation ou d’une mobilisation éphémère condamnée à se dissoudre après l’effet d’annonce. Son mode opératoire laisse entrevoir une volonté claire de surfer sur la vague GenZ qui a secoué le Népal, tout en capitalisant sur l’émotion suscitée par le drame de la maternité de l’hôpital Hassan II d’Agadir, où plusieurs décès ont forcé le ministre de la Santé à déclencher une large mobilisation. Deux leviers symboliques puissants, mais qui soulignent autant l’efficacité du récit que l’ambiguïté de ses véritables initiateurs.