Nabil Bayahya : «La reddition des comptes, ce n’est pas la chasse aux coupables»

Gouvernance et culture du résultat : ce que change la nouvelle séquence marocaine

À partir d’un entretien de Nabil Bayahya, associé Forvis Mazars Maroc, auteur et enseignant, invité de Rachid Hallaouy dans « L’Info en Face » (Groupe Le Matin).

La victoire des Lionceaux (U20) au Chili n’est pas qu’un trophée : c’est un révélateur d’une culture de la performance, de la discipline et du long terme. Nabil Bayahya y voit un miroir utile pour la gouvernance publique : la « culture du résultat » et l’« évaluation » doivent désormais structurer l’action de l’État, alors que la loi de finances 2026 place santé, éducation et réduction des inégalités territoriales au cœur des priorités. Dialoguant avec Rachid Hallaouy, il dessine une méthode : articuler social et investissement, rural et urbain, public et privé, puis mesurer, corriger, rendre des comptes.

De l’exploit sportif à un mode opératoire public

Le parcours des U20 rappelle qu’un succès visible repose sur un travail souterrain : filières, encadrement, rigueur, temps long. Pour Nabil Bayahya, la transposition est directe : « Quand on fait confiance à la jeunesse, qu’on l’encadre et qu’on installe une discipline, on renverse des montagnes. »

Relance de Rachid Hallaouy. Cet état d’esprit, discipline, préparation, responsabilité, est‑il transposable à la réforme de l’État ?

Réponse de Nabil Bayahya. Oui, si l’on couple l’ambition à un système d’évaluation exigeant et indépendant, aligné sur la Constitution de 2011.

Ce n’est pas juste le show d’une finale. C’est le résultat d’un travail de fond, mené avec rigueur, méthode et humilité. Ce qu’a fait cette génération de Lionceaux, c’est ce que nous devrions faire collectivement : planifier, exécuter, évaluer, corriger.
nabil bayahyaNabil Bayahya

Ne plus opposer ce qui doit être articulé

Bayahya plaide pour une approche du « en même temps » :

  • Territoires ruraux et pôles urbains : complémentarité plutôt qu’opposition ;
  • Politiques sociales et investissement en infrastructures : synergies et non arbitrages à somme nulle ;
  • Initiative privée et service public : clarifier les rôles, contractualiser, contrôler.

Cette articulation doit produire un ruissellement réel : « Le Marocain accepte l’impôt s’il perçoit l’efficacité de la dépense et la solidarité qu’elle finance. »

Parlement : légiférer, contrôler… et évaluer

Trois fonctions coexistent mais ne se confondent pas : légiférercontrôlerévaluer. La dernière, transversale, reste sous‑dimensionnée. Elle requiert :

  1. Des compétences (assistants parlementaires, consortiums avec laboratoires universitaires) ;
  2. Une méthodologie (cadres logiques, indicateurs, contre‑factualité) ;
  3. Une indépendance vis‑à‑vis des porteurs de politiques.

Relance de Rachid Hallaouy. Concrètement, qui doit évaluer ? Le ministère ordonnateur, le Parlement, le CESE ?

Réponse de Nabil Bayahya. Les trois niveaux existent, mais l’ex post indépendant manque : il faut institutionnaliser et doter en moyens l’évaluation externe.

Le Maroc sait faire de très bons hôpitaux et de très bonnes écoles. Mais si le privé peut produire certains services plus efficacement, pourquoi ne pas le mobiliser, à condition que l’État garantisse l’accès universel ?
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Santé et éducation : la rallonge budgétaire n’est pas une politique

Le débat budgétaire 2026 annonce une hausse marquée des crédits santé/éducation et 27 000 postes supplémentaires. Bayahya prévient :

  • L’argent est nécessaire pour la mise à niveau ;
  • Il n’est suffisant que si la gouvernance est revue (responsabilisation, transparence, achats, pilotage par la donnée) ;
  • Clarifier le partage public/privé : libéralisation (incitations, PSE, PPP) ≠ privatisation (cession d’actifs). Le citoyen doit comprendre qui produit et qui finance.

Les trois temps de l’évaluation selon M. Bayahya

Ex ante : diagnostic, scénarios, objectifs chiffrés, études d’impact ;
En cours (itératif) : revues à mi‑parcours par l’ordonnateur, ajustements ;
Ex post : mesure d’impact indépendante (efficacité, efficience, effectivité).

3 critères doivent guider l’évaluation :

1. L’efficacité : les objectifs ont-ils été atteints ?
2. L’efficience : à quel coût et dans quels délais ?
3. L’effectivité : a-t-on touché les bons bénéficiaires ?


Libéralisation, privatisation : dire la vérité des choix

Deux lignes se télescopent souvent : ouverture à l’initiative privée (libéralisation) et transfert d’actifs (privatisation). Pour Bayahya, la doctrine doit être lisible :

  • État stratège : garantit l’universalité, cible les « zones blanches » et les déserts médicaux ;
  • Privé opérateur là où il est plus agile/efficient ;
  • Contrats et indicateurs publics : qualité, coût, accès, équité ;
  • Reddition des comptes et sanctions en cas de manquements.

Les quatre maillons de la chaîne publique

Usager = besoin
Société = Parlement (loi et arbitrage)
Contribuable = financement
Administration = production du service
Équilibre = transparence des flux, droits/obligations de chacun, usage responsable des services.


Ruralité : subsidiarité, ingénierie et 5G

La qualité de service doit être universelle, mais les modalités d’exécution doivent varier :

  • Subsidiarité : décider au plus près du terrain (collectivités), après phase transitoire pilotée par l’Intérieur quand l’urgence l’impose ;
  • Ingénierie de modèles pour territoires peu denses : écoles hybrides, internats, télémédecine, unités mobiles, plateformes numériques ;
  • Priorité numérique (4G/5G, backbone, points d’accès) pour réduire les coûts d’accès et élargir l’offre.
Le ministère de l’Intérieur a une véritable école de gestion du territoire. En période de transition, il est légitime qu’il coordonne. Mais à terme, la gouvernance doit être partagée avec les élus locaux.
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Arbitrages 2026 : maintenir l’élan productif tout en corrigeant les écarts

Les re‑priorisations budgétaires sont attendues. L’enjeu : renforcer le social sans casser la trajectoire d’investissement qui attire l’industrie, le tourisme et les chaînes de valeur mondiales. L’aéronautique illustre ce triptyque marocain : stabilité, capital humain, État accompagnateur.

Installer un cercle vertueux : évaluer, corriger, sanctionner

L’évaluation n’est pas une chasse aux coupables : c’est un mécanisme d’apprentissage collectif. Mais lorsque des manquements sont objectivés, la chaîne de responsabilité doit conduire à des sanctions. À la clé : restaurer la confiance de l’usager et du contribuable.

La reddition des comptes n’est pas une menace, c’est un gage de confiance. L’évaluation indépendante permet d’identifier les réussites, de corriger les erreurs, et d’éviter la répétition des inefficacités.
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Sommes‑nous à l’aube d’un basculement ?

Bayahya observe une progression structurelle depuis trois décennies. Il pointe toutefois des angles morts : justice fiscale (élargir l’assiette, intégrer l’informel), équité territoriale, capacité d’exécution. Le saut qualitatif se jouera sur trois leviers :

  1. Transparence des choix ;
  2. Évaluation indépendante ;
  3. Culture du résultat partagée par toutes les administrations.

« Le Maroc progresse dès lors qu’il assume ses arbitrages, mesure ses résultats et corrige vite. »

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