En mai 2025, alors que l’administration Trump entame son nouveau mandat, un document stratégique élaboré en amont par la Heritage Foundation refait surface avec fracas : le Projet Esther. Présenté comme une initiative destinée à combattre l’antisémitisme, ce projet s’impose en réalité comme un plan de démantèlement radical des mouvements pro-palestiniens aux États-Unis, notamment dans les universités, les organisations progressistes et certains cercles politiques.
Une genèse idéologique et politique
La Heritage Foundation, think tank conservateur influent depuis l’ère Reagan, est également à l’origine du très controversé Projet 2025, une feuille de route pour une refonte autoritaire de l’État fédéral. C’est dans cette dynamique que s’inscrit le Projet Esther, conçu dans la foulée de l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et des vagues de manifestations pro-palestiniennes qui ont suivi à travers les campus américains.
En avril 2024, une délégation de la Heritage Foundation s’est rendue en Israël pour discuter du projet avec de hauts responsables politiques israéliens et le nouvel ambassadeur américain, Mike Huckabee. L’objectif affiché : bâtir une alliance idéologique et stratégique pour criminaliser l’activisme pro-palestinien aux États-Unis.

Un plan en 4 volets
Derrière le nom biblique d’Esther – figure juive salvatrice – se cache un programme d’action structuré autour de quatre leviers principaux :
- Légal : poursuites contre des individus et groupes considérés comme liés au “Hamas Support Network” (HSN), révocation de visas, sanctions civiles.
- Éducatif : épuration des programmes jugés pro-palestiniens, mise à l’écart des enseignants concernés, conditionnement des financements publics.
- Numérique : surveillance et nettoyage des réseaux sociaux de contenus accusés d’antisémitisme ou de sympathie pour le Hamas.
- Sociétal : ostracisation des militants, campagnes de stigmatisation, et alliance avec des acteurs religieux conservateurs, en particulier chrétiens évangéliques.

Une dérive liberticide ?
Officiellement, Heritage affirme vouloir «responsabiliser les soutiens de groupes terroristes». Mais la définition élargie du terrorisme retenue dans le Projet Esther englobe toute critique structurée de la politique israélienne, y compris celles portées par des ONG juives progressistes comme Jewish Voice for Peace. Le concept de “Hamas Support Organization” (HSO) devient ainsi un outil d’intimidation à large spectre.

Le New York Times, qui a révélé les dessous du projet, rapporte que plusieurs dispositions de ce plan sont déjà partiellement mises en œuvre par l’administration Trump : révocation de visas d’étudiants, pressions sur les universités, enquêtes fédérales sur les manifestations pro-palestiniennes.
Ellie Cohanim, ancienne envoyée spéciale de l’administration Trump pour la lutte contre l’antisémitisme, et aujourd’hui co-présidente du National Taskforce to Combat Antisemitism, a réagi sur X à l’enquête du New York Times qui révèle les coulisses du Projet Esther en déclarant :
« Le New York Times vient de publier une attaque en règle contre la Heritage Foundation, contre les travaux de notre taskforce nationale que je co-préside fièrement, et contre les meilleurs alliés du peuple juif, Victoria Coates et Robert Greenway, en qualifiant notre travail contre le Hamas d’‘anti-palestinien’. Eh bien, ce soir à Washington, des militants ‘Free Palestine’ viennent de tuer deux Juifs. »
— Ellie Cohanim, X, mai 2025
Une opposition transpartisane
Face à cette offensive, une partie du monde universitaire, des défenseurs des droits civiques et même d’anciens dirigeants d’organisations juives historiques se sont mobilisés. Une lettre ouverte signée par une trentaine d’anciens responsables communautaires accuse le Projet Esther de détourner la lutte contre l’antisémitisme pour affaiblir les contre-pouvoirs démocratiques et censurer la liberté d’expression.
Jonathan Jacoby, directeur du Nexus Project, résume ainsi l’enjeu :
«Le Projet Esther change la donne. Il ne s’agit plus d’une question de politique étrangère ou de position idéologique, mais de sécurité nationale. C’est une stratégie de criminalisation de la dissidence.»
Ce que le Projet Esther nous dit de l’Amérique de 2025
Plus qu’un simple document idéologique, le Projet Esther révèle la stratégie d’un courant conservateur qui ne se contente plus d’influencer la politique étrangère, mais vise désormais à redéfinir les contours du débat public, de l’enseignement et de la citoyenneté. Il s’agit moins de défendre Israël que de désigner un ennemi intérieur : étudiants, professeurs, associations et élus jugés déviants.
Victoria Coates, vice-présidente de la Heritage Foundation et architecte du projet, l’assume :
“Nous ne faisons qu’appliquer une stratégie pour faire cesser une forme de haine insidieuse. Il s’agit d’un combat pour l’Amérique elle-même.”