Dans un éditorial percutant intitulé «How Israel is losing America», l’influent hebdomadaire britannique The Economist sonne l’alarme : le soutien populaire américain à Israël s’érode dangereusement, au moment même où Benyamin Netanyahou continue d’affirmer que l’alliance avec Washington est « aussi solide que les pierres du Mur occidental ». La publication de ce texte n’est pas anodine : elle intervient alors que Donald Trump, figure centrale du débat sur la relation américano-israélienne, effectuait une visite d’État hautement médiatisée à Londres.
L’opinion publique américaine bascule
Les données compilées par The Economist témoignent d’un virage profond :
- 53 % des Américains ont aujourd’hui une opinion défavorable d’Israël, contre 42 % en 2022.
- 43 % estiment que l’État hébreu commet un génocide à Gaza.
- Le soutien évangélique, socle électoral traditionnel, s’effondre chez les jeunes générations.
Ce glissement, selon le magazine, traduit un effritement simultané sur les deux grands piliers du système politique américain : les démocrates, pour des raisons de valeurs et d’idéaux progressistes, et les républicains, pour des raisons d’intérêts et de coûts financiers.
En polarisant Israël dans le camp républicain, Benyamin Netanyahou a fragilisé le consensus bipartisan qui faisait la force de l’alliance. L’image d’un Israël « super-Sparta », autosuffisant et agressif, inquiète jusque dans ses propres cercles stratégiques. Et la rhétorique qui assimile toute critique à de l’antisémitisme s’émousse, perdant sa capacité à protéger Israël des débats de fond.
The Economist avertit : les ruptures conjoncturelles entre gouvernements ne sont rien comparées aux bascules de l’opinion publique. Celles-ci, une fois enclenchées, deviennent irréversibles. À l’horizon 2028, la renégociation de l’aide militaire américaine sera un test décisif. Si Donald Trump revient à la Maison-Blanche, il pourrait conditionner son soutien à des priorités strictement transactionnelles.
Au-delà du cas israélien, cet éditorial illustre la fragilité des alliances lorsqu’elles ne reposent plus sur un socle de valeurs partagées. Pour Israël, ignorer cette réalité reviendrait à se condamner à une solitude stratégique. Pour la région, il rappelle que l’opinion publique américaine — longtemps considérée comme acquise à certaines causes — est devenue un acteur central, imprévisible et potentiellement déstabilisateur.
Une triangulation stratégique : Londres veut reprendre sa place
La concomitance entre l’éditorial de The Economist et la visite d’État de Donald Trump à Londres n’est pas fortuite. Alors que le magazine britannique met en lumière l’érosion du soutien américain à Israël, le Royaume-Uni cherche à réaffirmer son statut de partenaire privilégié de Washington. La rhétorique de la “special relationship”, évoquée tant par le roi Charles III que par Keir Starmer lors des fastes diplomatiques, traduit cette ambition : ramener Londres au centre du jeu transatlantique .
Sous l’ère Trump, la relation quasi fusionnelle entre l’ancien président américain et Benyamin Netanyahou avait relégué le Royaume-Uni au second plan, éclipsant une alliance forgée dans le sang de la Seconde Guerre mondiale et renforcée durant la guerre froide. Aujourd’hui, à l’heure où l’Amérique doute de son lien avec Israël, Londres veut occuper le vide stratégique et se repositionner comme l’allié stable, fiable et incontournable de Washington.
Le message implicite est clair : si Israël vacille dans son rôle d’interlocuteur central, la Grande-Bretagne est prête à reprendre le flambeau, alliant héritage historique, convergence stratégique et puissance financière.