Alors que plusieurs groupes français revoient à la baisse leur exposition sur le continent africain, le groupe immobilier Duval poursuit au contraire un renforcement progressif de ses positions. En Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Guinée ou au Cameroun, ses investissements s’intensifient, entre projets immobiliers, microfinance et partenariats institutionnels. Un mouvement qui interroge : quelles sont les motivations réelles d’un acteur français traditionnellement enraciné dans l’immobilier européen à investir dans des économies africaines en transition ?
Une stratégie de diversification par l’Afrique
À l’instar d’autres groupes familiaux français, Duval opère un virage géographique discret mais structurant. Alors que ses activités historiques (immobilier, résidences services, tourisme) restent concentrées en France et en Europe, l’Afrique représente aujourd’hui l’unique front de croissance internationale identifié par le groupe, avec pour objectif annoncé : 25 % du chiffre d’affaires réalisé sur le continent à moyen terme.
Ce choix répond à plusieurs logiques :
- Accéder à des marchés en expansion urbaine rapide,
- Positionner le groupe sur des segments de consommation émergents (immobilier, retail, financement),
- Profiter d’un environnement concurrentiel encore peu saturé, notamment dans l’immobilier structurant et les services financiers de proximité.
Immobilier : miser sur la requalification urbaine
En Côte d’Ivoire, Duval investit dans deux projets emblématiques :
- Le Village Notre Père, un complexe mixte au Plateau (Abidjan), centré sur un site patrimonial.
- Un centre commercial à Riviera, visant la classe moyenne en expansion.
Ces projets traduisent une stratégie claire : se positionner dans des capitales africaines où la pression démographique génère une demande immobilière mal servie. L’ambition n’est pas seulement économique ; elle est aussi symbolique. Le choix des emplacements – historiques, stratégiques, centraux – reflète une volonté d’inscription durable dans les dynamiques urbaines du continent.
Services financiers : capillarité, inclusion et effet de réseau
À travers Finafrica, son réseau de microfinance et d’assurance, le groupe cible les zones rurales et les entrepreneurs informels, avec un ticket moyen de 1 500 euros. L’approche repose sur trois piliers :
- Crédit à petite échelle (agriculteurs, commerçants, artisans),
- Intégration d’un volet assurance, pour couvrir les risques liés à l’investissement (équipements, aléas),
- Déploiement territorial dans des régions faiblement bancarisées.
En Guinée, par exemple, 23 agences sur 28 sont situées en dehors de Conakry, illustrant une stratégie de proximité rarement adoptée par les groupes étrangers.
Un modèle de portage hybride
La présence de partenaires institutionnels (CNPS, CGRAE, Proparco, SFI) dans les projets structurants permet à Duval de réduire son exposition financière directe tout en s’inscrivant dans les priorités des politiques publiques locales.
Ce modèle repose sur trois équilibres :
- Co-investissement avec des institutions locales et internationales,
- Structuration de projets à fort contenu local (emploi, infrastructures, services),
- Gouvernance africanisée, avec la nomination de personnalités expérimentées (Thierry Tanoh, Laureen Kouassi-Olsson).
Tableau récapitulatif des projets annoncés du groupe Duval en Afrique
Pays | Secteur | Projet | Localisation | Partenaires / co-investisseurs |
---|---|---|---|---|
Côte d’Ivoire | Immobilier tertiaire & hôtelier | Village Notre Père : ensemble bas carbone (bureaux, hôtels, commerces) autour d’un site patrimonial | Plateau, Abidjan | CNPS, CGRAE, SFI (Banque mondiale), Proparco (AFD) |
Côte d’Ivoire | Immobilier commercial | Centre commercial Riviera : 40 000 m², l’un des plus grands de la région | Quartier Riviera, Abidjan | Partenaires non précisés (cofinancement local probable) |
Côte d’Ivoire | Immobilier tertiaire (réhabilitation) | Réhabilitation de l’ancienne tour Shell (rebaptisée Sama) | Plateau, Abidjan | Projet déjà livré – partenaire non spécifié |
Sénégal | Logement social | 6 500 logements sociaux en construction | En périphérie de Dakar | Pas de partenaires précisés |
Guinée | Microfinance / Assurance | Réseau Finafrica : 28 agences dont 23 en zones rurales, crédit & assurance intégrés | Zones rurales et Conakry | Proparco (AFD), clients TPE/PME agricoles et artisanales |
Cameroun | Microfinance / Assurance | Déploiement du réseau Finafrica | Non précisé | Proparco (AFD) |
Rwanda | Microfinance / Assurance | Expansion de Finafrica | Non précisé | Proparco (AFD) |
Comores (désengagement) | Banque / Développement | Retrait de la Banque de Développement des Comores | Moroni | Abandon du projet en raison de difficultés locales |
Calcul des risques et logique d’apprentissage
Le groupe Duval a dû composer avec certaines déconvenues, notamment son retrait de la Banque de Développement des Comores. Plutôt que de remettre en question sa présence sur le continent, cet épisode semble avoir conduit à un réajustement silencieux de sa stratégie : moins centralisée, moins ambitieuse en apparence, mais plus granulaire, opportuniste et fractionnée géographiquement. L’Afrique n’y est ni idéalisée ni abordée comme un bloc homogène, mais plutôt traitée comme un archipel d’opportunités spécifiques, à aborder avec prudence, leviers publics, et faible intensité capitalistique.
Un positionnement opportuniste ou une stratégie d’influence à bas bruit ?
Derrière les annonces d’investissement et les engagements locaux, la présence du groupe Duval en Afrique soulève aussi des interrogations. À quel point cette stratégie repose-t-elle sur une réelle volonté de co-développement, et dans quelle mesure s’inscrit-elle dans une logique d’opportunisme maîtrisé ?
Le recours systématique aux co-financements publics et au portage institutionnel minimise les risques sans garantir un engagement de long terme. L’approche du groupe, bien que prudente et techniquement bien ficelée, bénéficie d’un effet d’aubaine dans un contexte de désengagement européen, avec un marché sous-capitalisé, des politiques locales en quête de partenaires visibles, et une diplomatie française en retrait.
Ainsi, plus qu’un pari économique audacieux, la stratégie africaine du groupe Duval pourrait relever d’un repositionnement discret mais calculé, à mi-chemin entre diversification patrimoniale et captation d’espaces laissés vacants.