Une indiscrétion publiée ce mardi par le site d’information français Africa Intelligence a relancé le débat sur la succession à la tête du patronat marocain, alors que le mandat de l’actuelle équipe s’achève en avril 2026.
Contrairement à l’année dernière, l’échéance revêt cette fois un triple enjeu :
- Le renouvellement de la présidence interviendra en pleine campagne législative de septembre 2026, les partis en course suivront donc de très près les candidatures.
- Le futur dirigeant de la CGEM sera au centre du jeu : dialogue social tendu, grands chantiers économiques et échéances sportives internationales à gérer.
- Le choc du mouvement GENZ212 aura des répercussions sur l’ensemble des institutions représentatives ; dans le scénario probable d’une chute du gouvernement Akhannouch, c’est toute « l’Akhannouchie » — ses alliances économiques et politiques — qui risque de se disloquer.
La question est donc ouverte : qui aura la volonté, l’ambition et le courage de se mettre en avant ? Les regards seront bien plus perçants qu’au cours des quatre dernières années.
Mehdi Tazi, l’éternel numéro 2
Difficile de nier que Mehdi Tazi possède toutes les qualités pour incarner le patronat : dynamisme, aisance oratoire, écoute, management, réseau international, et cette capacité à inspirer les jeunes générations.
Mais un bémol persiste : ce gendre idéal s’est toujours construit à l’ombre d’un magnat.
Il a fait ses premières armes sous l’aile de Moulay Hafid Elalamy, au sein d’une institution où il a appris l’efficacité, la réactivité, l’entrepreneuriat et le métier de l’assurance.
Il quittera ensuite le vaisseau amiral Saham pour voler de ses propres ailes, en se lançant dans le courtage sous une enseigne internationale, Marsh, avant de lui offrir une « petite sœur », Cover Edge, fruit du rachat d’AXA Assistance.
Suppléant de Chakib Alj pendant deux mandats — considérés parmi les plus ternes de la confédération —, il bénéficie aujourd’hui du soutien appuyé et affiché de Moncef Belkhayat, qui a mobilisé sa puissance médiatique pour annoncer sa candidature à la présidence de la CGEM.
Tout est parti de la fameuse indiscrétion d’Africa Intelligence. Le média français a lâché, mardi, une bombe : Moncef Belkhayat serait candidat à la présidence de la CGEM.
Quelques heures plus tard, le milliardaire casablancais entre en alerte rouge. Il dégaine LinkedIn, son terrain de jeu favori, puis mobilise toute son artillerie médiatique : Lesiteinfo, Infomédiaire… le message est clair, presque trop : « fake news ».
Mais le plus surprenant n’est pas là. Belkhayat ne s’est pas contenté de démentir sa candidature. Il cite nommément Mehdi Tazi, son associé, et le propulse publiquement comme «son candidat», celui qui aurait, selon lui, « toutes les capacités, les compétences et l’énergie nécessaire pour continuer le bon travail fait ces cinq dernières années aux côtés de Chakib Alj ».
Un soutien inattendu ? Pas vraiment.
Plutôt une déclaration codée, que tout le microcosme économique a comprise comme l’annonce officieuse de la candidature de Mehdi Tazi, soutenu par l’un des plus puissants réseaux d’affaires du pays.
Dans les coulisses, on parle déjà d’une opération parfaitement scénarisée : Belkhayat joue l’offensé, et Tazi récolte la lumière, sans avoir eu besoin de prononcer un seul mot.
La campagne pour la succession de la CGEM vient à peine de commencer… et elle s’annonce déjà spectaculaire.
Peu savent que Tazi et Belkhayat partagent les mêmes bureaux et des investissements croisés au sein de leurs holdings familiales. Le patronat marocain est-il prêt à remplacer le système Akhannouch par le système Belkhayat ? Sortez le popcorn.
Ali Belhaj, la voix de l’Oriental
Autre nom cité dans les cercles économiques : Ali Belhaj, figure de l’entrepreneuriat oriental.
Son profil coche plusieurs cases :
- À l’heure où le Souverain confie au ministère de l’Intérieur la mission de repenser le développement territorial, un homme de l’Oriental, une région qui souffre du syndrome du Maroc à deux vitesse, pourrait accompagner cet effort national hors des schémas classiques.
- Sa fibre militante et politique, forgée dès la création de son propre parti — l’Alliance des libertés, fondé en 2002 avant de fusionner au sein du Parti Authenticité et Modernité —, s’est consolidée lorsqu’il a présidé le Conseil de la région de l’Oriental (2009-2015) et exercé en parallèle les fonctions de secrétaire général adjoint du PAM. Un parcours qui lui confère un avantage certain dans les négociations avec les partenaires politiques et sociaux.
- Son réseau hors du microcosme casablancais, forgé entre Rabat, Londres et Oujda, lui donne un ancrage rare. À la tête du Conseil d’affaires Maroc–UK, il cultive des liens économiques discrets mais efficaces, capables d’injecter un souffle nouveau et décentralisé à la CGEM.
Mohamed Bensalah, la force tranquille
Son nom revient avec insistance dans les salons casablancais.
Discret, respecté et encore vierge de toute usure médiatique ou partisane, Mohamed Hassan Bensalah incarne le profil d’un patronat apaisé mais ferme.
Avec lui, aucun chef de gouvernement — même oligarque — ne pourrait imposer son agenda comme on l’a vu sous le tandem Alj/Tazi. Sous son impulsion, la CGEM retrouverait son prestige d’antan, celui d’une institution de travail et de respect.
Abdeslam Ahizoune, le retour possible
L’ancien homme fort des télécoms concentre aujourd’hui ses efforts sur sa holding familiale, dirigée par son fils — représentant d’une nouvelle génération de dirigeants discrets mais redoutablement efficaces.
Ahizoune n’a jamais fermé la porte à un retour aux affaires publiques. Certains le voient reprendre le Mouvement Populaire, d’autres l’imaginent à la tête de la CGEM. Hypothèse lointaine, certes, mais pas impossible.
Une nouvelle ère économique
Quelle que soit la personne appelée à diriger le syndicat des patrons, le Maroc entre dans une ère de prospérité inédite: près de 100 milliards de dollars d’investissements sont prévus d’ici 2030.
Le Royaume s’impose désormais comme une puissance régionale assumée, avec une croissance rapide qui, comme pour les pays de l’Asie du Sud-est, met du temps à ruisseler sur tour le territoires et sur toutes les générations.
Mais c’est là tout le rôle du méta-gouvernement – pour reprendre l’expression d’Arnaud Montebourg utilisée hier à Casablanca lors d’un déjeuner-débat organisé par ESL – : ces institutions séculaires, capables d’anticiper et d’agir au-delà des cycles électoraux.
Le patronat, au même titre que les politiques, les ONG et les médias, devra désormais s’aligner sur la marche forcée vers la souveraineté et prospérité partagée par tous.