TotalEnergies Liège transfère son service clients au Maroc : entre opportunité et illusion de durabilité

La décision de TotalEnergies de mettre fin à son contrat avec le call-center Ikanbi, à Liège, met en lumière une double réalité. En Belgique, près de 163 emplois sont menacés. Au Maroc, l’annonce confirme la place du Royaume comme hub majeur de l’externalisation de services. Mais derrière l’attractivité immédiate se dessine une question plus large : celle de la durabilité de ce modèle à l’ère de l’intelligence artificielle.

163 emplois menacés en Belgique

Le 31 décembre prochain, le contrat qui liait TotalEnergies et Ikanbi prendra fin. Les appels francophones des clients de l’énergéticien seront transférés vers le Maroc, tandis que les appels en néerlandais resteront traités localement, mais par d’autres prestataires. Pour Ikanbi, l’impact est brutal : environ 160 salariés sont concernés, dont une centaine d’intérimaires particulièrement exposés.

Selon Patrick Masson, permanent syndical du Syndicat belge des employés, techniciens et cadres (Setca), les téléopérateurs belges géraient un travail pointu : factures, transferts de compteurs, renégociations de contrats. « L’activité est menacée par l’intelligence artificielle et la numérisation, et les clients belges veulent des coûts toujours plus bas », résume-t-il.

Un choix stratégique assumé par TotalEnergies

Le groupe français explique que sa décision résulte d’un appel d’offres « étendu et rigoureux », mené dans un marché énergétique en pleine transformation. Une phase de transition est prévue entre octobre et mars 2026 afin de « garantir une continuité fluide et respectueuse des engagements ». TotalEnergies insiste aussi sur le fait qu’environ la moitié des contacts clients résidentiels et l’ensemble des activités B2B resteront gérés depuis la Belgique, et que les collaborateurs des prestataires sortants pourront postuler à de nouveaux postes.

Le Maroc, un pôle qui confirme son attractivité

Pour le Maroc, cette décision s’inscrit dans une dynamique qui dure depuis plus de quinze ans. Le pays attire de plus en plus de multinationales grâce à ses infrastructures (Casanearshore, Technopolis, Fès Shore…), sa proximité linguistique avec l’Europe et une main-d’œuvre qualifiée à des coûts compétitifs. Aujourd’hui, le secteur de l’offshoring emploie plus de 130.000 personnes et figure parmi les premiers contributeurs aux exportations de services du Royaume.

L’arrivée de TotalEnergies confirme la solidité de cet écosystème. Mais il faut aussi souligner que cette attractivité repose encore, en grande partie, sur le différentiel de coûts, plus que sur une montée en gamme technologique.

L’enjeu de l’intelligence artificielle

C’est là que se joue l’avenir. Car si le Maroc bénéficie aujourd’hui de la vague de délocalisations, le secteur est confronté à une transformation radicale. L’IA générative, les chatbots multilingues et la numérisation des services clients menacent directement les activités les plus standardisées, celles-là mêmes qui font vivre des dizaines de milliers de téléopérateurs.

Le syndicaliste belge le souligne à sa manière : le mouvement de TotalEnergies n’est pas seulement une décision financière, c’est aussi une anticipation des mutations en cours. Pour le Maroc, la question n’est donc pas seulement de célébrer cette attractivité, mais de préparer la mutation vers des services à plus forte valeur ajoutée – conseil, gestion de situations complexes, intégration de l’IA – afin d’éviter d’être emporté demain par une automatisation massive.

Opportunité à court terme, défi à long terme

L’annonce de TotalEnergies illustre l’équilibre délicat entre opportunité et fragilité. Opportunité, parce qu’elle confirme la confiance des grandes entreprises dans le Maroc comme plateforme fiable et compétitive. Fragilité, parce qu’elle rappelle que le modèle des call centers est sous pression permanente : pression sur les coûts, pression de la concurrence internationale, pression technologique.

Pour rester attractif dans la durée, le Maroc doit capitaliser sur ce flux d’investissements tout en accélérant sa montée en gamme : former des profils hybrides, intégrer l’IA au service de l’efficacité, et se positionner sur des niches où l’humain conserve une valeur stratégique.

Nawfal Laarabi
Nawfal Laarabi
Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist 20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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