L’ADSL vit ses derniers jours en France, remplacé progressivement par la fibre optique dans toutes les communes de l’Hexagone d’ici 2030. Ce basculement stratégique, déjà bien avancé, offre un miroir intéressant pour le Maroc, où l’ADSL subsiste mais où la fibre connaît un tournant décisif, notamment avec l’alliance stratégique Maroc Telecom–Inwi et son impact immédiat sur l’ajustement des prix au public de l’offre IAM sur la fibre.
Après plus de deux décennies de service, l’ADSL vit ses dernières années en France. Le réseau téléphonique en cuivre, déployé dans les années 1970 et support de la technologie ADSL, sera progressivement éteint au profit de la fibre optique d’ici 2030. Orange, propriétaire de ce réseau historique, a établi un calendrier national de fermeture par lots de communes chaque année. La phase de transition (2024-2025) a débuté avec une première vague de 162 communes dont la coupure technique complète du cuivre est programmée au 31 janvier 2025. Une seconde vague de 829 communes (lot 2) suivra, avec extinction au 27 janvier 2026.
Ensuite commencera la phase de fermeture généralisée (2026-2030) : le lot 3 (2 145 communes) sera coupé au 31 janvier 2027, puis les lots 4 à 7 s’échelonneront chaque année jusqu’au novembre 2030, date à laquelle plus aucun client ne restera sur le cuivre. Concrètement, cela signifie qu’à compter de fin 2030, 100 % des accès internet fixes en France passeront par la fibre optique ou des technologies alternatives (câble, 4G/5G fixe, satellite), marquant la fin complète de l’ADSL. Dès le 31 janvier 2026, plus aucune offre ADSL ne pourra de toute façon être souscrite nulle part (fermeture commerciale nationale). Certaines zones pionnières ont même déjà cessé la commercialisation plus tôt : par exemple, dans 7 quartiers de Rennes (zone très dense) et la commune de Vanves, plus aucune offre sur cuivre n’est vendue depuis mars 2024, en prévision d’une coupure définitive en mars 2025.
Le calendrier n’est pas structuré strictement par grandes régions administratives, mais toutes les régions sont progressivement concernées. Orange a mis à disposition une carte interactive permettant de vérifier commune par commune les dates d’arrêt (fin de commercialisation et extinction technique) du réseau cuivre1. Par exemple, en Haute-Garonne, trois communes rurales seront parmi les premières déconnectées au 31 janvier 20252. À l’échelle nationale, Orange prévoit une montée en puissance : environ 15 % des locaux (logements et entreprises) seront déconnectés d’ici fin 2026, 30 % fin 2027, 50 % fin 2028, 75 % fin 2029, puis 100 % fin 2030. Fin 2024, déjà 75 % des abonnements internet en France sont sur fibre optique et moins de 20 % sur DSL cuivre (6,3 millions de lignes ADSL/VDSL restantes) – un chiffre en déclin de 8 points en un an, reflet de l’accélération des migrations. Le basculement vers le Très Haut Débit est donc bien avancé, soutenu par l’État dans le cadre du Plan France Très Haut Débit qui vise la fibre pour tous d’ici fin 20253.
Impact sur les entreprises, les fournisseurs d’accès et l’écosystème numérique
Le retrait de l’ADSL représente un chantier d’envergure sur le plan technique et logistique. Orange doit gérer la fermeture de plus de 20 millions de lignes actives, le démontage d’environ 1 million de kilomètres de câbles et de 15 millions de poteaux liés au cuivre, tout en garantissant la continuité de service pour les usagers basculés sur la fibre. Pour les fournisseurs d’accès à internet (FAI) et opérateurs télécoms, cela implique de profonds ajustements : mise à niveau des infrastructures, migration de leurs abonnés vers des offres fibre, et arrêt des équipements xDSL dans les centraux. Les opérateurs alternatifs qui utilisaient le dégroupage du cuivre doivent désormais s’appuyer sur les réseaux fibre ouverts (access wholesaling), conformément aux obligations fixées par l’Arcep pour préserver la concurrence4. Cette transition est coûteuse, mais elle apporte aussi des bénéfices en réduisant les coûts d’entretien d’un double réseau. Sur le plan environnemental, la fibre est environ 4 fois moins énergivore par abonné que le cuivre, ce qui allégera la consommation électrique des réseaux fixes.
Pour les entreprises françaises, la fin de l’ADSL présente des enjeux critiques. Celles qui n’anticiperaient pas le passage à une solution de remplacement s’exposent à un risque de rupture brutale de connectivité une fois le cuivre “éteint” dans leur zone. En effet, après la date de fermeture technique, toutes les lignes téléphoniques traditionnelles, connexions ADSL/VDSL/SDSL et services associés (alarme télé-surveillance, terminaux de paiement RTC, etc.) cessent de fonctionner. Ne pas migrer à temps pourrait entraîner l’arrêt de l’accès aux systèmes d’information de l’entreprise et une interruption partielle ou totale d’activité5. Il est donc impératif pour les DSI de planifier le basculement vers la fibre ou une alternative (par exemple une offre 4G/5G fixe professionnelle) avant l’échéance locale. La transition nécessite aussi de vérifier et mettre à jour certains équipements : routeurs compatibles Très Haut Débit, standard téléphonique IP (pour remplacer les anciens combinés branchés sur une prise en T), solutions de backup sur réseau mobile, etc. Les sites multi-agences qui utilisaient des liaisons SDSL ou des VPN sur ADSL devront revoir leur architecture réseau pour maintenir la résilience et la performance.
Toutefois, cette évolution apporte des opportunités considérables à l’écosystème numérique. Avec la fibre, les entreprises bénéficient de débits largement supérieurs (de 100 Mb/s à plusieurs Gb/s) et d’une latence réduite, ce qui améliore la qualité de services numériques. Des usages intensifs comme le télétravail, la visioconférence HD, le cloud computing, le transfert de gros volumes de données, l’IoT industriel deviennent plus fluides. La fiabilité accrue de la fibre diminue les risques de panne et augmente la productivité (moins de temps perdu à cause de connexions instables). Pour les fournisseurs de services numériques (hébergeurs, éditeurs SaaS, etc.), une connectivité client en Très Haut Débit signifie une base d’utilisateurs plus apte à adopter des solutions cloud avancées, stimulant l’innovation. Enfin, la fin du cuivre libérera de l’espace dans les fourreaux et les locaux techniques, et pourrait inciter à de nouveaux investissements (réseaux fibre de nouvelle génération, 5G fixe) profitant à l’ensemble du secteur.
Le cas du Maroc : l’ADSL face à l’essor de la fibre et de la 5G
À fin décembre 2024, le parc global Internet au Maroc (fixe et mobile) comptait 40,2 millions d’abonnements, avec une évolution annuelle en hausse de 5,05 % malgré une baisse trimestrielle de -4,53 % due aux opérations de fiabilisation (identification des lignes actives).
1. ADSL : stabilisation sans réel déclin
Contrairement aux tendances observées dans les marchés plus matures, l’ADSL reste résilient au Maroc. Le parc ADSL s’établit à 1,59 million d’abonnements, en légère hausse de 0,49 % par rapport au trimestre précédent et stable sur l’année (+0,12 %). Cette stagnation traduit une situation transitoire où l’ADSL reste attractif pour des foyers ou entreprises ne disposant pas encore d’une offre fibre compétitive ou accessible.
71,75 % des abonnés ADSL disposent d’un débit supérieur à 8 Mb/s, ce qui laisse entendre une certaine modernisation de l’offre… mais très éloignée du potentiel de la fibre.
2. Fibre optique (FTTH) : croissance soutenue mais couverture incomplète
Le parc FTTH a atteint 1,06 million d’abonnés fin 2024, en croissance annuelle de +25,5 %, confirmant l’accélération engagée sur ce segment. La répartition du marché est quasiment équitable entre Maroc Telecom (50,03 %) et les autres opérateurs (49,97 %). Cette répartition équilibrée reflète l’intensification de la concurrence, surtout dans les zones urbaines.
Le parc total d’accès Internet fixe (ADSL + FTTH + autres) est de 2,78 millions d’abonnés, avec une progression annuelle de 6,7 %
Pour rattraper ce retard et préparer l’avenir, le Maroc a engagé une stratégie de collaboration inédite entre opérateurs. En mars 2025, les deux principaux acteurs du marché fixe, Maroc Telecom et Inwi, ont annoncé une alliance stratégique pour déployer ensemble la fibre optique et la 5G. Cette coopération prend la forme de deux offres : FiberCo, chargée d’étendre le réseau fibre, et TowerCo, dédiée au déploiement d’infrastructures 5G (tours cellulaires).
Les objectifs affichés sont ambitieux : 1 million de connexions fibre supplémentaires d’ici 2 ans et 3 millions d’ici 5 ans grâce à FiberCo, ainsi que l’installation de 2 000 nouvelles tours 5G en 3 ans (et 6 000 en 10 ans) via TowerCo. Les deux opérateurs investiront conjointement 4,4 milliards de dirhams (environ 460 M$) sur trois ans dans ce plan. Cet accord, encore soumis à l’aval du régulateur (ANRT), s’est accompagné d’un règlement à l’amiable de leur contentieux juridique : Maroc Telecom a consenti à verser 4,38 Mds Dh à Inwi, mettant fin aux poursuites pour pratiques anti-concurrentielles.
3. Avancée significative : Maroc Telecom double gratuitement les débits fibre
Le 20 avril 2025, Maroc Telecom a lancé une mise à niveau automatique des débits fibre :
- L’offre 100 Mb/s passe à 200 Mb/s
- L’offre 200 Mb/s passe à 1 Gb/s
- Sans surcoût ni action requise du client
En parallèle, tous les clients bénéficient d’appels illimités vers les fixes nationaux et d’un quota d’heures vers les mobiles. Il s’agit d’une première révision tarifaire à la hausse en débit depuis 2017. Cette initiative s’inscrit dans la continuité du « Big Deal » signé avec Inwi et vise à booster l’adoption de la fibre sur l’ensemble du territoire.
4. Cadre réglementaire pour l’accélération de la transition numérique
Parallèlement, les autorités marocaines renforcent le cadre réglementaire pour accélérer la transition numérique. L’ANRT a publié en mars 2025 de nouvelles règles imposant le partage des infrastructures fibre optique entre opérateurs. Concrètement, tout opérateur qui déploie un réseau FTTH doit le mettre à disposition de la concurrence de manière transparente et non discriminatoire (statut d’« opérateur d’infrastructure »), tandis que les opérateurs qui ne déploient pas peuvent accéder à ces réseaux en tant que fournisseurs de services.
Les tarifs d’accès et conditions techniques seront encadrés pour éviter toute distorsion de concurrence. Cette réforme vise à éviter les doublons d’investissements et à étendre la fibre plus rapidement, y compris dans des zones moins rentables où un seul réseau mutualisé suffira. Elle s’inscrit dans la vision Morocco Digital 2030, qui ambitionne de porter de 1,5 million (2022) à 5,6 millions le nombre de foyers éligibles à la fibre d’ici 2030. En outre, le développement de la fibre est vu comme un levier pour réussir l’arrivée de la 5G : le gouvernement marocain souhaite couvrir 25 % de la population en 5G d’ici 2026 et 70 % d’ici 2030, échéance à laquelle le pays co-organisera la Coupe du monde de football.
Politiques de transition numérique : comparaison France-Maroc et conséquences pour les pros
Les stratégies de migration vers le Très Haut Débit en France et au Maroc diffèrent par leur maturité et leur mode de gouvernance, ce qui engendre des conséquences distinctes pour les professionnels.
En France, la transition numérique s’est appuyée sur un fort pilotage de l’État et du régulateur. Lancé en 2013, le Plan France Très Haut Débit (PFTHD) a mobilisé opérateurs privés et collectivités locales pour couvrir l’ensemble du territoire en internet ≥30 Mb/s dès 2022, puis en fibre optique d’ici fin 20256.
Les investissements publics-privés massifs ont permis d’atteindre 90 % de couverture fibre en un peu plus de 10 ans selon la Cour des comptes7.
Sur cette base, l’Arcep a encadré l’extinction progressive du cuivre en posant des conditions strictes: impossibilité de fermer l’ADSL dans une commune sans un réseau fibre opérationnel pour tous les locaux, accessible en gros et en détail à tous les opérateurs.
Le calendrier de fermeture, établi par Orange en concertation avec l’Arcep et les collectivités, est rendu public bien à l’avance pour permettre aux entreprises et administrations de s’adapter. Ce pilotage centralisé et anticipé assure aux professionnels une relative visibilité. Ils peuvent planifier la mise à niveau de leurs infrastructures IT et télécoms en sachant à quelle date limite ils devront avoir migré. De plus, la concurrence sur la fibre étant garantie (chaque FAI peut proposer ses offres sur les réseaux déployés par Orange ou par les initiatives publiques régionales), les entreprises disposent d’un choix de fournisseurs et d’offres variées une fois éligibles, souvent à des tarifs compétitifs. En somme, la France a adopté une approche volontariste : substituer rapidement l’ancien réseau par une technologie supérieure, afin que les professionnels bénéficient sans tarder d’une connectivité de pointe sur l’ensemble du territoire. Les premiers retours le confirment : au T4 2024, 77 % des entreprises et foyers français ont un abonnement incluant la télévision IP et quasi tous ont la téléphonie IP intégrée à leur offre internet, signe d’une bascule numérique déjà bien avancée.
Au Maroc, la politique de transition numérique a longtemps été plus graduelle, mais tend à s’accélérer récemment. Le pays a mis du temps à sortir d’une situation de quasi-monopole de l’opérateur historique sur le fixe. Durant les années 2010, malgré l’ouverture du marché, la pénétration du haut débit fixe est restée limitée, en partie faute de régulation incitative sur le dégroupage. L’orientation a changé avec la vision Maroc Digital 2030, qui fixe des objectifs chiffrés ambitieux pour la fibre et la connectivité universelle. Plutôt que d’éteindre immédiatement le cuivre (encore indispensable pour de nombreux usagers), les autorités marocaines misent d’abord sur une extension rapide des nouvelles infrastructures.
Le partenariat Maroc Telecom – Inwi de 2025 marque un tournant décisif, venu corriger des années de retard accumulé par le Royaume. Ce retard est largement attribuable à la politique de verrouillage menée par l’ancien management de l’opérateur historique Maroc Telecom, qui a longtemps freiné l’ouverture du marché fixe et ralenti artificiellement la transition vers le Très Haut Débit. Pendant plus d’une décennie, l’absence de réelle concurrence sur le segment filaire a figé l’innovation et maintenu des millions d’usagers sous des débits insuffisants, alors même que la 4G explosait.
La dynamique actuelle — une approche collaborative entre acteurs privés soutenue par l’État — cherche à rattraper ce temps perdu. En parallèle, l’ANRT renforce la régulation pro-concurrentielle avec l’obligation de partage des infrastructures fibre, une mesure longtemps attendue par les opérateurs alternatifs et les entreprises. Cette nouvelle donne coïncide avec une prise de conscience plus large : l’organisation d’événements internationaux majeurs, notamment sportifs comme la Coupe du monde 2030, pousse les décideurs et le tissu économique à accélérer leur transition numérique pour ne pas rater le virage.
La stratégie marocaine reste prudente — on ne coupe pas l’ADSL tant que la fibre n’est pas largement disponible —, mais elle ne peut plus se contenter d’un rythme progressif. À mesure que les investissements de FiberCo produisent leurs effets, les entreprises, en particulier, devront se saisir des nouvelles offres THD pour rester compétitives. Orange Maroc, quant à lui, est désormais attendu au tournant : il devra démontrer sa capacité à suivre la cadence imposée par Inwi et à proposer des services fibre performants sur l’ensemble du territoire. C’est à ce prix que la concurrence jouera enfin son rôle d’accélérateur de la transformation digitale.
Sources : Orange / Arcep, calendrier officiel de fermeture du réseau cuivre; Service-Public.fr (gouvernement français); DegroupTest (données Orange/Arcep); ANRT, Reuters et communiqués opérateurs (Maroc Telecom/Inwi).
- La fermeture du réseau cuivre : quels enjeux pour la connectivité de mon territoire ? | Arcep ↩︎
- Fin de l’ADSL : ce vendredi, 162 communes seront déconnectées ↩︎
- Pour réussir le Plan France très haut débit, la Cour des comptes … ↩︎
- La fermeture du réseau cuivre : quels enjeux pour la connectivité de mon territoire ? | Arcep ↩︎
- Fin du réseau cuivre : quel impact pour les entreprises en 2025 ? ↩︎
- Pour réussir le Plan France très haut débit, la Cour des comptes … ↩︎
- Pour réussir le Plan France très haut débit, la Cour des comptes … ↩︎