Leila Benali : «Le Maroc mise sur l’agilité pour traverser les fractures géopolitiques de l’énergie»

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Invitée de l’émission «The Pulse» de Bloomberg News, à l’occasion de la session ministérielle du Sommet sur l’Avenir de la Sécurité Énergétique co-organisé par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et le gouvernement britannique, Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable du Maroc, a exposé avec clarté la stratégie énergétique du Royaume. Devant une audience internationale attentive aux fractures géopolitiques, Mme Benali a défendu une approche pragmatique : investir massivement dans les renouvelables tout en consolidant la flexibilité énergétique nationale et régionale.


Note de contexte

La session ministérielle du Sommet sur l’Avenir de la Sécurité Énergétique, co-organisée à Londres par l’AIE et le gouvernement britannique, s’est tenue dans un climat international tendu, marqué par des divergences entre les États-Unis et leurs alliés concernant la politique énergétique et les restrictions sur les sources d’énergie, dans le sillage des mesures tarifaires initiées sous l’administration Trump. Toutefois, l’entretien avec Mme Leila Benali s’est concentré exclusivement sur la stratégie énergétique marocaine et sur les opportunités de coopération internationale.


Une posture éclatante : Leila Benali, figure montante du Sud global

À travers son intervention sur The Pulse, l’une des émissions économiques les plus suivies dans le monde et par les marchés, Leila Benali a imposé l’image éclatante d’une jeune ministre du Sud global, parfaitement à l’aise dans les codes de la haute diplomatie économique.

Son anglais fluide, sa capacité d’analyse stratégique et son aisance à articuler la transition énergétique du Maroc dans un contexte mondial tendu — marqué par une administration américaine plus frileuse sur les objectifs climatiques — ont révélé une personnalité capable de dialoguer d’égal à égal avec les grandes puissances.

Dans un moment où les fractures géopolitiques redéfinissent la gouvernance de l’énergie, Leila Benali a affirmé la place du Maroc parmi les acteurs sérieux et agiles du futur énergétique global.

Un cap assumé : renouvelables, efficacité énergétique et intégration régionale

Depuis 2009, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Maroc a maintenu une stratégie énergétique constante, fondée sur trois piliers :

  • Le développement des énergies renouvelables
  • L’amélioration de l’efficacité énergétique
  • L’intégration régionale des marchés énergétiques

« Nous atteindrons entre 40 % et 52 % de nos objectifs d’énergies renouvelables dès 2026, bien avant 2030 », a souligné Mme Benali. Cela représente 15 gigawatts supplémentaires et près de 12 milliards de dollars d’investissements d’ici 2038, dont 80 % seront dédiés aux renouvelables.

Cette orientation n’est pas seulement nationale : elle s’inscrit dans une reconfiguration mondiale où « plus de 70 % du commerce international est désormais lié au PIB, contre moins de 5 % dans les années 1970 », redéfinissant ainsi les enjeux de la sécurité énergétique.

L’affirmation d’une souveraineté énergétique bas carbone

Interrogée sur la place du charbon, Leila Benali a été catégorique : « Le Maroc, importateur net de combustibles fossiles, a tout intérêt à accélérer son virage vers les énergies renouvelables.»

Dans un contexte de tensions commerciales mondiales, elle voit dans cette stratégie non pas une contrainte mais une opportunité : «Si toutes les barrières commerciales que nous voyons aujourd’hui veulent dire quelque chose, cela veut dire que si le Maroc doit être le dernier pays à continuer d’investir dans les renouvelables et à se détourner des énergies fossiles, eh bien, c’est une excellente nouvelle à mes oreilles.»

« Le Maroc est une terre de réconciliation, où il est possible d’investir dans la recherche et développement en technologies propres » a-t-il souligné.

Le Maroc entend ainsi consolider son positionnement comme fournisseur d’énergie au coût le plus bas, connecté à l’Europe, à l’Afrique et au bassin Atlantique, tout en se projetant comme une terre d’innovation en technologies propres.

Le GNL et l’hydrogène vert : flexibilité et résilience en ligne de mire

Le développement du GNL s’inscrit dans cette logique de diversification. Avec 6 milliards de dollars investis dans les infrastructures gazières, le Maroc prépare des terminaux flottants (FSRU) et des projets terrestres pour garantir une agilité d’approvisionnement.

Le premier terminal d’importation sera implanté à Nador, avec une entrée en service prévue entre 2026 et 2027. Un second point d’entrée est prévu sur la côte Atlantique, avec un prolongement stratégique vers Dakhla, région clé pour les industries émergentes.

Mme Benali insiste : « Le gaz est un pont nécessaire pour réussir l’intermittence des énergies renouvelables. Mais au-delà, nos infrastructures sont pensées pour être compatibles avec l’hydrogène vert. »

Le Royaume ambitionne de devenir le fournisseur d’hydrogène le plus compétitif vers l’Europe, s’appuyant sur le projet du gazoduc Atlantique africain, héritier du gazoduc Nigeria-Maroc.

Anticipation et diplomatie énergétique

Contrairement aux effets de surprise provoqués par les récentes tensions géopolitiques, le Maroc avait anticipé l’évolution du marché du gaz.

Dès 2021, le Royaume avait négocié des contrats à long terme et orchestré la réversion du flux gazier avec l’Espagne, garantissant ainsi son accès au marché international du GNL dès 2022.

« Nous avons trente ans d’expérience dans le financement privé international et la diplomatie énergétique. Nous restons fermement sur notre cap », a insisté la ministre.

Une nouvelle définition de la sécurité énergétique

Interrogée sur ses attentes vis-à-vis du sommet de Londres, Mme Benali a formulé un vœu ambitieux : « Il est temps de redéfinir la sécurité énergétique pour le XXIe siècle. »

Au-delà de la sécurisation des « molécules et électrons », il s’agit désormais de protéger les actifs dans les chaînes de valeur, d’assurer la résilience des industries productives et des consommateurs à l’échelle internationale.

Le Maroc, fort de ses 60 accords de libre-échange et de son rôle de carrefour énergétique, entend peser dans cette recomposition stratégique.

À travers son intervention remarquée, Leila Benali a confirmé que le Royaume entendait faire de sa transition énergétique un levier d’influence régionale et internationale, fidèle à ses engagements en matière de multilatéralisme et de coopération gagnant-gagnant.

Retranscription intégrale de l’intervention de Leila Benali sur The Pulse de Bloomberg


Les intervenants ont bien sûr exposé une vision qui inclut les carburants renouvelables dans la transition vers un avenir énergétique durable.

Cependant, le représentant de Washington a réitéré l’opposition de l’administration Trump à toute restriction sur les sources d’énergie dans la quête de la neutralité carbone.

Je suis ravie d’accueillir maintenant Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable du Maroc, qui a participé à cet événement, coorganisé par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et le gouvernement britannique, événement que j’ai également co-présidé.

Merci infiniment, Madame la Ministre, de vous joindre à nous.


Au Maroc, nous poursuivons nos investissements énergétiques, y compris dans les énergies renouvelables. C’est un pilier clé de notre stratégie énergétique, et nous pouvons en constater les résultats aujourd’hui.

Plus de 70 % du commerce mondial dépend désormais du PIB, contre moins de 5 % dans les années 1970. Donc toute la question de la sécurité énergétique est en train d’être redéfinie.

Pour nous, notre stratégie énergétique est stable depuis 2005-2009 : les énergies renouvelables constituent un pilier essentiel de notre démarche.

Nous atteindrons entre 40 % et 52 % de nos objectifs dès 2026, soit bien avant 2030.
Cela représente environ 15 gigawatts supplémentaires de capacités renouvelables,
et près de 12 milliards de dollars d’investissements d’ici 2038, dont 80 % seront consacrés aux renouvelables.

Le deuxième pilier est l’efficacité énergétique.

Le troisième pilier est l’intégration régionale.
Nous nous efforçons avec ténacité de favoriser l’intégration et la coopération énergétiques, chaque fois qu’un partenaire est prêt à collaborer au niveau ministériel.



Oui, absolument.

Car il faut savoir que le Maroc est un importateur net de combustibles fossiles.

Et si toutes les barrières commerciales que nous voyons aujourd’hui veulent dire quelque chose,
cela veut dire que si le Maroc doit être le dernier pays à continuer d’investir dans les renouvelables et à se détourner des énergies fossiles, eh bien, c’est une excellente nouvelle à mes oreilles.

Cela signifie que nous démontrons que nous sommes le fournisseur d’énergie renouvelable au coût le plus bas, le pays le mieux connecté à l’Europe, à l’Afrique et au bassin atlantique.

Nous fournissons l’énergie livrée au coût le plus compétitif, y compris vers le Royaume-Uni.

Et nous sommes également une terre de réconciliation, où il est possible d’investir dans la recherche et développement en technologies propres.


Pouvez-vous nous donner également une mise à jour sur le projet de terminal d’importation de GNL (gaz naturel liquéfié) ?


Bien sûr.

Cela fait aussi partie de notre stratégie d’intégration régionale.

Nous injectons environ 6 milliards de dollars de CapEx dans les infrastructures gazières,
avec une vision à long terme, pour les rendre compatibles avec le transport de l’hydrogène également.

Encore une fois, le Maroc vise à devenir le fournisseur d’hydrogène au coût le plus bas vers l’Europe.

Rien ne vaut un pipeline pour transporter des molécules efficacement.

Et c’est bien cela l’objectif : connecter ce réseau à 25 milliards de dollars d’investissements,
destinés à ce qui était appelé le gazoduc Nigeria-Maroc, aujourd’hui renommé gazoduc Atlantique africain,
pour permettre aux pays africains d’accéder aux molécules nécessaires à leur développement.


Disposez-vous déjà d’un calendrier précis concernant la construction et l’achèvement du terminal, ainsi que des sources d’approvisionnement ?


Oui, nous avançons pour faire du terminal de Nador le premier point d’entrée du GNL au Maroc.

Nous espérons pouvoir recevoir la première molécule entre 2026 et 2027. Le quai est déjà prêt.

Le deuxième point d’entrée sera situé sur la côte Atlantique du Maroc.

Et nous souhaitons tout connecter à Dakhla, une région stratégique combinant un excellent potentiel solaire et éolien et un fort potentiel de développement pour les industries lourdes émergentes.


Le terminal GNL comprendra-t-il une unité de regazéification et/ou un stockage flottant ? Quelle sera son ampleur ?


Pour l’instant, le premier point d’entrée sera une FSRU (unité flottante de stockage et de regazéification) ou une solution offshore.

Un deuxième point d’entrée pourrait être — et sera probablement — un grand terminal terrestre de regazéification.

Ce que je tiens à souligner, c’est que notre priorité est d’assurer une flexibilité maximale pour l’avenir.

C’est pourquoi nous visons un premier point d’entrée plus proche de l’Europe,
et l’accès au marché international du GNL pour maximiser les options.


Et concernant l’approvisionnement en GNL, êtes-vous en négociation ou avez-vous déjà des contrats?


Nous avons déjà des contrats.

Si vous vous souvenez, en octobre 2021, à Glasgow, quelques mois avant la guerre en Ukraine,
j’étais sur scène en expliquant : « Si vous voulez que nous investissions dans les renouvelables, il nous faut du gaz pour gérer l’intermittence. »

Nous avions donc anticipé en signant un contrat d’approvisionnement sur 10 ans et en renversant le flux du gazoduc existant avec l’Espagne.

Le Maroc est aujourd’hui l’un des rares pays africains interconnectés à l’Europe sur le plan logistique, culturel, énergétique et gazier, et cela dans les deux sens.

Depuis 2022, nous avons accès au marché international du GNL.


La transition énergétique du Maroc a-t-elle été affectée par les guerres commerciales ou les tensions géopolitiques récentes ?


Non, pas du tout.

Nous avons 30 ans d’expérience en financement international privé, 30 ans d’expérience en négociations énergétiques, climatiques et environnementales.

Nous maintenons notre cap.

Et si, malgré les turbulences commerciales actuelles, le Maroc émerge en restant fidèle à la stratégie énergétique lancée par Sa Majesté en 2009, ce sera mission accomplie pour moi.


Mais il est quand même préférable que la région coopère dans cette transition, n’est-ce pas ?


Absolument.

C’est pour cela que la coopération régionale est un pilier central de notre stratégie.

Nous travaillons pour établir des partenariats gagnant-gagnant avec l’Afrique, l’Europe, le bassin atlantique et l’Asie.

Par exemple, la Chine est un cas d’école : plus de 70 % des chaînes de valeur des technologies propres y sont localisées ou contrôlées.

Le Maroc, qui possède plus de 60 accords de libre-échange, peut concentrer une partie de cette dynamique internationale.


Avant de retourner au sommet à Lancaster House, quel serait votre plus grand souhait pour ce sommet ?


Quelques points essentiels :

Le Maroc a toujours été un défenseur du multilatéralisme et de la coopération internationale.

Mais il faut que les accords multilatéraux et bilatéraux prennent mieux en compte les opportunités économiques, créent des synergies entre les accords environnementaux et climatiques, et qu’ils accompagnent nos stratégies énergétiques.

J’aimerais voir une nouvelle définition de la sécurité énergétique : ne plus se contenter de sécuriser les molécules et les électrons, mais sécuriser aussi les actifs dans les chaînes de valeur et les actifs productifs et consommateurs.


Merci beaucoup pour vos éclairages, Madame la Ministre Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable du Maroc.

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