Un shark qui fait du giveback, c’est un conte pour poissons rouges

Date:

Peut-on vraiment parler de giveback lorsqu’on évolue en shark ? Derrière les discours lissés sur la transmission et la responsabilité, la réalité est souvent plus directe : on investit pour croître, on conquiert pour durer. Le shark des affaires rôde, engloutit avance, et laisse les vagues parler pour lui. Et si l’on parle parfois de générosité, c’est souvent dans un registre où la stratégie d’image l’emporte sur l’esprit de partage.

À la fin d’octobre 2024, Moncef Belkhayat, ancien ministre devenu magnat des biens de consommation, a orchestré son grand retour médiatique. D’abord, une image pieuse bras levés vers le ciel, prise à La Mecque. Ensuite, un podcast bien huilé, suivi d’une apparition chez Forvis Mazars. À ce moment-là, aucun mot sur ses intentions. Il revenait, c’est tout. Lui qui, depuis sa tentative manquée de conquérir la CGEM, s’était imposé un silence stratégique.

Timeline de ses sorties médiatiques

DateÉvénement
Oct-2024Photo à La Mecque + lancement du retour médiatique
Nov-2024Interview dans Challenge (révélation IPO 2026, stratégie Cap 2025)
Fév-2025Conférence de presse BLS (plan logistique 2,1 MMDH)
Mars-2025Conférence à HEC Paris (lancement du livre « Dislog Group, Build and Run Company – The Moroccan Dream »)
Mars-2025Annonce de l’acquisition de Venezia Ice
Avril-2025Annonce de l’acquisition d’Eramedic

L’ambition dormante d’introduire Dislog en bourse, vieille de plus d’une décennie, refaisait surface. Pragmatique, #KhoyaMoncef a préféré externaliser sa stratégie de communication de son IPO auprès d’un grand nom de la place. Sur la base de laquelle, il orchestre sa plus grande offensive médiatique depuis sa dernière campagne électorale.

Notre ami, disciple de la fameuse stratégie de martèlement « sakatati tayaratou fi alhadika» a pris son bâton de pèlerin pour capter le maximum de la bande passante médiatique comme au bon vieux temps.

L’homme connaît bien l’exercice. Son premier coup d’éclat remonte à l’époque où il régnait sur la distribution télécom chez Méditel, faisant et défaisant les réseaux de vente de téléphonie mobile du royaume. Mais cette fois, la méthode a changé. Ce n’est plus le produit, ni même le groupe, qui est au cœur du message : c’est l’homme lui-même.

En effet, la communication ne portait pas essentiellement sur le groupe, ses résultats ou ses agrégats. Non. Elle portait sur l’homme. Et l’homme, cette fois, se présentait sous un jour nouveau : celui du mentor altruiste, chantre du… giveback.

Là où un Adil Douiri parlerait ratios, bilans et stratégie de fonds propres, où un MHE déroulerait les plans quinquennaux de son écosystème, Moncef Belkhayat joue la carte de l’intime. Il parle de ses stages à 14 ans, de ses valeurs, de ses échecs et de ses résurrections. Il déroule sa légende personnelle avec une habileté calculée, portée par une trouvaille marketing digne de Silicon Valley : le “giveback”.

Un terme qui fait mouche dans les amphis de business schools. Une formule qui adoucit l’image du shark des affaires, et redonne à sa trajectoire une coloration presque morale. Mais derrière ce vernis bienveillant, la mécanique est inexorable : un martèlement quotidien du storytelling, un alignement parfait avec le calendrier de l’IPO, et l’espoir d’un retour sur investissement narratif.

C’est là toute la beauté du plan. Le storytelling a pris : auprès des jeunes étudiants, des aspirants entrepreneurs, en quête de rôle modèle. Dans un pays où les figures inspirantes se font rares, le discours du self-made-man touche. Et les médias, toujours friands de success stories bien emballées, s’en emparent avec enthousiasme.

Mais appelons un businessman impitoyable par son nom. Moncef Belkhayat parler de giveback ? C’est un oxymore. Car c’est justement sa capacité à prendre – à flairer une opportunité, à la sécuriser avant les autres, à l’exécuter avec vitesse – qui a bâti sa réussite.

Au jeunes qui fantasment sur le parcours de M. Belkhayat, il faut rappeler quelques évidences :

  1. L’homme ne quitte jamais un poste sans sécuriser sa sortie. À chaque transition, un chèque. Toujours.
  2. Il va vite. Très vite. Quand un concurrent hésite, lui agit. Exemple célèbre : l’affaire Vicenne ( ex Best health ).
  3. Il sait exploiter son carnet d’adresses, jusqu’à convaincre les plus grands noms de la place de miser sur lui.
  4. Il n’a pas d’égo mal placé. Après son départ du gouvernement, il a su se remettre dans la posture du vendeur, prospectant comme un junior, pitchant ses projets dans les halls d’attente.
  5. Il travaille avec l’argent des autres. Un skill rare. Là où beaucoup échouent, lui sait lever, rassurer, embarquer.
  6. Il dirige sous pression. Son style de management repose sur la pression totale.

Alors oui, il parle de giveback. Mais il faut entendre : exit. Passage à la caisse. Récupérer la mise. Monétiser l’image patiemment polie d’un capitaine d’industrie au cœur tendre.

Chaque plateau télé, chaque passage en école, chaque mot prononcé sur la transmission, l’impact social ou l’exemplarité, sert en réalité une feuille de route bien ficelée : valoriser la marque personnelle à l’approche d’une IPO.

Tableau des levées de fonds

DateInvestisseurMontant (MDH)Domaine
2024-10IFC + STOA363BLS (logistique)
2024-11SPE Capital450Dislog (groupe principal)
2024-12Sanam Holding300Dislog (rachat partiel de MCP)
2025-01BERD250Dislog (groupe principal)
2025-02Sanlam Maroc150Dislog Health (santé)
2024-10IFC + STOA363BLS (logistique)

Entre octobre 2024 et février 2025, Moncef Belkhayat boucle pas moins de cinq opérations majeures, levant plus de 1,5 milliard de dirhams. Il commence par IFC et STOA (363 MDH) pour sa filiale logistique BLS, enchaîne avec SPE Capital (450 MDH) et Sanam Holding (300 MDH) pour muscler les fonds propres de Dislog, accueille ensuite la BERD(250 MDH) au capital, avant de structurer son pôle santé avec Sanlam Maroc (150 MDH). À mesure qu’il donne la parole aux jeunes sur les estrades, dans les forums ou sur les plateaux TV, il capte sans complexe les fonds disponibles, avec une efficacité redoutable.

Derrière la rhétorique du partage et de la transmission, se dessine une stratégie limpide : consolider ses actifs, maximiser sa valorisation pré-IPO, et sécuriser le soutien d’investisseurs de renom. Le giveback, dans cette version, ressemble surtout à un give me more. Une main tendue pour la photo, pendant que l’autre verrouille les deals. La générosité devient un outil de narration, un levier d’image. Rien de plus.

Et dans cette mise en scène, certains vont jusqu’à écrire eux-mêmes leur propre légende. Se faire publier un livre à sa gloire – The Moroccan Dream – en est une parfaite illustration. Ce n’est pas tant un témoignage qu’un acte de branding. Le rêve n’est pas partagé, il est monétisé. On ne transmet pas, on orchestre un récit. Le giveback devient un chapitre de plus dans un business plan.

Soyons clairs. Réussir à la Belkhayat, c’est possible. Mais à une seule condition : épouser ses propres règles du jeu. Et ces règles ne figurent dans aucun manuel de gestion, ni dans aucun key note. Il n’en partage que ce qui est compatible avec le récit qu’il vend aujourd’hui.

Mais la vraie prouesse de M. Belkhayat, c’est que même ses anciens détracteurs le reconnaissent aujourd’hui comme un «successful». Il a réussi à habiller sa trajectoire, à la rendre désirable, crédible, bankable.

Et dans un pays en mal de figures positives, il est devenu ce que l’époque réclame : un modèle. Même si, au fond, il reste le même homme d’affaires, toujours obnubilé par le gain. Simplement policé pour l’occasion. Et ceux qui confondent storytelling et sincérité finiront toujours par tourner en rond… avec les poissons rouges.

Quid de l’IPO Belkhayat ?

Ce qui a de vertueux dans une introduction en bourse, c’est l’obligation de lever le voile. Fini le storytelling sans chiffres : place à la transparence. Très bientôt, nous connaîtrons dans le détail la réalité du conglomérat Belkhayat — ses marges opérationnelles, sa dette, la répartition de ses activités, ses flux intra-groupes et, surtout, la véritable rentabilité de sa stratégie de diversification. Derrière les slogans et les levées de fonds successives, seule l’analyse fine des états financiers dira si le Moroccan Dream est un modèle économique pérenne… ou une mécanique d’apparat.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Partager l'article :

Subscribe

Popular

More like this
Related

Macron, cible d’une intox : un mouchoir transformé en sachet de cocaïne

« Cette fausse information est propagée par les ennemis...
00:03:32

Trump le juge de paix

Donald Trump ne sera peut-être jamais prix Nobel de...

Dégradation nette de la relation entre Trump et Netanyahou

Longtemps perçue comme l’une des plus solides duelles diplomatiques...