Alors que la Croisette s’apprêtait à couronner un nouveau lauréat de la Palme d’or, un acte de sabotage aux allures de message politique a frappé Cannes et l’ouest des Alpes-Maritimes. La coupure de courant géante survenue samedi 24 mai a désormais un visage, ou du moins une signature : deux groupes se réclamant de la mouvance anarchiste ont revendiqué l’attaque dans un courrier anonyme transmis aux autorités judiciaires.
Le Festival de Cannes explicitement visé
Selon une information du Parisien, confirmée par BFM TV, les auteurs de la coupure ont affirmé avoir voulu «perturber le Festival» et “priver de courant tous les établissements industriels”. Le courrier, étudié ce dimanche par les parquets de Grasse et Draguignan, évoque une volonté de frapper «un symbole de l’industrie culturelle» et d’«éteindre ce système mortifère».
Dans un ton revendicatif, les auteurs écrivent :
«On n’est pas sur un plateau de tournage mais ‘Coupez !’ paraissait bien résumer notre envie.»
L’acte ne visait donc pas seulement à créer une panne technique, mais à envoyer un signal idéologique contre ce qu’ils appellent “le système”, avec le Festival en première ligne.
Un sabotage en deux temps
Le blackout a résulté d’un double sabotage délibéré :
- Vers 2h45 du matin, un incendie criminel a été déclenché dans un poste haute tension de Tanneron, affaiblissant le réseau.
- À 10h, un pylône de la ligne 225 kV à Villeneuve-Loubet a été retrouvé avec trois de ses quatre piliers sciés, selon le procureur de Grasse, Damien Savarzeix. RTE a dû couper la ligne pour des raisons de sécurité, entraînant la coupure de courant généralisée.
«Un acte malveillant», a confirmé le procureur, ajoutant que seul ce pylône avait été visé, malgré des rumeurs sur d’autres attaques.
Au total, 160 000 foyers ont été privés d’électricité, principalement à Cannes, Antibes et dans l’arrière-pays. Les feux de circulation se sont éteints, les ascenseurs sont restés bloqués, et plus de cent interventions de pompiers ont été recensées.

Le Festival sauvé in extremis
Grâce à une alimentation autonome au Palais des Festivals, la cérémonie de clôture a pu être maintenue. Les projections ont repris dans l’après-midi, après un rétablissement partiel du courant vers 15h30, salué par des applaudissements sur la Croisette.
Le jury a décerné la Palme d’Or au cinéaste iranien Jafar Panahi pour It Was Just an Accident, dans un climat où le mot “accident” semblait étrangement ironique.
Qui sont ces groupes anarchistes anonymes ?
Les groupes ayant revendiqué le sabotage de Cannes se présentent comme des « anarchistes anonymes », sans structure connue ni porte-parole identifié. Leur action s’inscrit dans la tradition clandestine de l’ultragauche radicale, déjà observée en France avec :
– Les Neuf de Tarnac (2008) : accusés de sabotage de lignes TGV, emblématiques de la surveillance des milieux anarchistes.
– La FAI (Fédération anarchiste informelle) : réseau européen impliqué dans des actions de sabotage, colis piégés, et incendies.
– Grenoble (2017–2020) : série d’actes contre des infrastructures, parfois revendiqués anonymement sur des sites comme Indymedia.
Leur discours repose sur une critique radicale du capitalisme, de l’État, et des symboles culturels mainstream comme le Festival de Cannes, considéré dans leur communiqué comme une vitrine d’un “système mortifère”.
Sans hiérarchie ni revendication centralisée, ces groupes s’inscrivent dans une stratégie de « propagande par le fait », visant à choquer, perturber et inspirer.
Réactions officielles et ouverture judiciaire
Le préfet des Alpes-Maritimes, Laurent Hottiaux, a dénoncé des «actes graves de dégradation» et a assuré que tous les moyens sont mobilisés pour identifier, interpeller et juger les auteurs.
De son côté, Éric Ciotti, député UDR des Alpes-Maritimes, a parlé d’un acte «d’extrême gravité», évoquant «une action délibérée, voire terroriste», en appelant à une transparence totale sur les suites de l’enquête.
Les parquets de Grasse et Draguignan ont ouvert deux enquêtes distinctes pour sabotage et incendie volontaire, confiées aux brigades de recherches de la gendarmerie. La question centrale désormais : le ou les groupes revendiquant l’action sont-ils crédibles, organisés, et potentiellement actifs ailleurs ?
Une nouvelle ère de vulnérabilité ?
La sophistication de l’attaque, sa revendication idéologique et sa résonance médiatique posent une question préoccupante: les infrastructures critiques, même en pleine période de vigilance renforcée, sont-elles suffisamment protégées ?
Surtout que cette panne géante qui a paralysé Cannes en pleine clôture de son festival, revendiquée par des groupes anarchistes, s’inscrit dans une série d’incidents révélateurs d’une fragilité croissante des infrastructures critiques en Europe.
En effet, quelques semaines plus tôt, l’Espagne et le Portugal étaient eux aussi frappés par une coupure d’électricité de grande ampleur, aux causes encore floues. En Espagne, les réseaux mobiles de plusieurs opérateurs ont été perturbés deux semaines plus tard. Entre sabotages ciblés, montée de l’écoterrorisme, risques cyber, dépendance aux énergies renouvelables et saturation des réseaux numériques, les signaux d’alerte se multiplient, appelant à une refonte urgente des stratégies de résilience, de protection et d’interconnexion des systèmes vitaux à l’échelle européenne.