Assises nationales : experts et personnalités de premier plan esquissent l’avenir de l’IA au Maroc

Lors des Assises nationales de l’intelligence artificielle, tenues sous le Haut Patronage de SM le Roi Mohammed VI, plusieurs personnalités de premier plan se sont exprimées, dont Mohamed El Kettani, PDG d’Attijariwafa Bank ; Omar Hilale, ambassadeur du Maroc à l’ONU et Deemah Al Yahya, secrétaire générale de l’Organisation de coopération digitale. La plénière inaugurale a également été marquée par la présence du Conseiller du Roi, André Azoulay. Leurs interventions ont mis en lumière les enjeux et les opportunités de l’IA pour accompagner la transformation économique et sociale du Maroc dans des secteurs clés.

Mohamed El Kettani : le financement, clé de l’essor de l’IA

Pour Mohamed El Kettani, PDG d’Attijariwafa Bank et vice-président du Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM), la réussite de l’écosystème IA au Maroc dépendra de la capacité à mobiliser les financements nécessaires. Il plaide pour une implication proactive du secteur bancaire dans la stratégie nationale, à l’image de Maroc Digital 2030, afin de renforcer les fonds dédiés aux entreprises de l’intelligence artificielle et accompagner leur croissance dans un cadre structuré.

« Il est nécessaire de mettre en place des financements adéquats destinés vers les entreprises œuvrant dans l’IA, en renforçant les capacités du secteur bancaire et en multipliant les fonds destinés à cet écosystème. Dans ce sens, en ma qualité de vice-président du Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM), je plaide pour associer le secteur bancaire à la réflexion autour de la stratégie nationale de l’IA, à l’instar de la Stratégie nationale “Maroc Digital 2030” afin de se constituer en force de proposition et accompagner de manière optimale les entreprises du secteur ».
Mohamed El Kettani

Deemah Al Yahya : combler le fossé technologique Nord-Sud

La fondatrice et secrétaire générale de l’Organisation de coopération digitale, Deemah Al Yahya, a appelé à une coopération internationale accrue pour garantir un développement équitable de l’IA. Elle a mis en lumière le déséquilibre criant : en 2024, six pays seulement ont capté les 300 milliards de dollars investis dans l’IA, tandis que 2,6 milliards de personnes, majoritairement dans l’hémisphère sud, restent sans accès à internet. Pour elle, il devient urgent de réduire ce fossé numérique afin que l’IA profite à l’ensemble de l’humanité.

« Il est nécessaire pour la communauté internationale d’œuvrer de concert, de partager les meilleurs pratiques et de trouver des solutions qui peuvent être mises en œuvre dans une perspective multilatérale pour le développement équitable de l’IA dans le monde.

*Il faut savoir que seuls six pays ont bénéficié des 300 milliards de dollars investis dans l’IA en 2024 et 2,6 milliards de personnes dans le monde n’ont pas encore accès à internet, notamment dans la sphère sud de la planète,. D’où la nécessité de renforcer la coopération pour réduire l’écart et combler le fossé d’accès à la technologie d’IA ».



Deemah Al Yahya

Deemah Al Yahya
Deemah Al Yahya, Fondatrice et Secrétaire générale de l’Organisation de coopération digitale, diplomate de l’économie digitale et de la technologie de l’Arabie Saoudite
Omar Hilale : diplomatie proactive et rôle pionnier du Maroc sur la scène internationale de l’IA

Pour Omar Hilale, ambassadeur Représentant Permanent du Maroc auprès des Nations Unies, le Royaume a su anticiper l’émergence de l’intelligence artificielle comme enjeu géopolitique majeur. Guidé par la Vision Royale d’une diplomatie agissante et proactive, le Maroc s’est positionné précocement parmi les acteurs influents de la gouvernance mondiale de l’IA. Cette ambition s’est traduite par un double choix stratégique : renforcer sa coopération avec les États-Unis, tout en adhérant parallèlement à l’initiative chinoise, afin d’éviter toute marginalisation dans cette révolution technologique et de s’assurer une place active aux côtés des puissances numériques.

Omar Hilale a insisté sur le fait que le Maroc ne cherche pas à s’aligner unilatéralement mais aspire, au contraire, à participer à tous les efforts internationaux, dans un esprit d’indépendance et de convergence, pour encourager la coopération Sud-Sud et ancrer la gouvernance de l’IA dans les Objectifs de développement durable (ODD). Le Royaume entend également promouvoir un accès démocratique aux outils, compétences et infrastructures de l’IA, de façon à réduire les inégalités et à renforcer la souveraineté numérique des pays du Sud.

Omar Hilale IA
Omar Hilale, ambassadeur Représentant Permanent du Maroc auprès des Nations Unies

L’ambassadeur a rappelé qu’au sein de l’ONU, le Maroc a été le seul pays arabe et africain sollicité par les États-Unis pour présenter conjointement la première résolution des Nations Unies sur l’IA, adoptée par consensus, qui consacre l’intelligence artificielle comme un levier au service du développement durable. Il a également mis en avant les atouts structurels du Maroc pour s’imposer comme puissance régionale de l’IA, notamment son capital humain et ses infrastructures de recherche et d’innovation, illustrés par des projets comme le AI Movement de l’UM6P ou celui prévu à Dakhla, ainsi que le premier hub technologique régional en coopération avec le PNUD, destiné à soutenir les pays arabes et africains.


Mohammed Tawfik Mouline : construire une IA de confiance

Pour Mohammed Tawfik Mouline, directeur général de l’Institut royal des études stratégiques (IRES), l’IA de confiance doit être éthique, transparente et respectueuse des droits fondamentaux. Il a plaidé pour une gouvernance anticipatrice et participative, évoquant les projets marocains comme le centre AI Mouvement de l’UM6P, déjà reconnu par l’UNESCO. Mouline a insisté sur l’importance de donner la priorité à la formation des talents, à l’innovation et à la coopération internationale pour faire du Maroc un acteur crédible et responsable sur la scène mondiale.

« L’IA de confiance doit être responsable et orientée vers la transparence, la redevabilité et le respect des droits fondamentaux. Elle repose sur des systèmes conçus et gouvernés de manière à maîtriser les risques tout en maximisant les bénéfices pour la société.

[…] Face aux risques de désinformation, de rupture sociale et de déséquilibres géopolitiques, l’IA de confiance devrait reposer sur trois piliers, à savoir une gouvernance souveraine, une gouvernance anticipatrice et une gouvernance participative.

[…] En matière d’écosystème marocain, l’on peut citer des projets et initiatives qui confèrent au pays une visibilité internationale, notamment le centre “AI Mouvement” de l’Université Mohammed VI Polytéchnique (UM6P) labellisé catégorie 2 par l’UNESCO, l’Ecole d’Ingénierie digitale et d’intelligence artificielle de l’Université Euromed, ou encore le Centre de Recherche & Développement d’Oracle, lancé en juin 2025.

Mohammed Tawfik Mouline

Yasmina Benmesaoud : IA et performance des énergies renouvelables

Yasmina Benmesaoud, directrice stratégie et veille à MASEN, a mis en avant l’IA comme levier d’optimisation des projets solaires et éoliens. Grâce à l’IA, la précision des prévisions climatiques s’améliore, ce qui permet une meilleure gestion du stockage, une maintenance préventive plus efficace et une réduction significative de la consommation d’eau dans le nettoyage des panneaux solaires. Elle a rappelé que ces gains sont essentiels pour atteindre l’objectif de 52 % d’énergies renouvelables dans le mix marocain à l’horizon 2030.

« L’IA est un outil prometteur pour améliorer la performance des projets d’énergies renouvelables, qui constituent l’un des piliers de la transition énergétique du Maroc. Dans ce sens, il faut rappeler que le Royaume ambitionne d’atteindre 52 % d’énergies renouvelables dans son mix énergétique d’ici 2030, à la faveur de grands projets solaires et éoliens. 

*L’IA permet d’améliorer la précision des prévisions climatiques, ce qui est de nature à favoriser l’optimisation de l’efficacité des centrales d’énergies renouvelables, la gestion des opérations de stockage et la maintenance préventive, et la réduction de la consommation d’eau utilisée pour le nettoyage des panneaux solaires ».

Yasmina Benmesaoud

Issam Lotfi : un outil stratégique pour une industrie durable

Issam Lotfi, directeur du pôle études stratégiques à l’IRES, a souligné que l’IA est un outil indispensable pour accompagner la transition vers une industrie marocaine plus durable. Il a insisté sur l’importance d’intégrer l’IA dans les efforts de décarbonation, dans un contexte mondial marqué par des crises qui reconfigurent les chaînes de valeur et où le Maroc, grâce à sa position géographique et ses infrastructures, peut se hisser comme un hub industriel vert.

« L’IA constitue un outil stratégique pour accompagner le rythme de la transition vers une industrie marocaine plus durable, d’où la nécessité d’adopter d’une approche globale pour intégrer cette technologie dans les efforts de décarbonation.

*Le monde traverse de multiples crises qui redéfinissent les chaînes de valeur mondiales, et le Maroc, fort de sa position géographique et de ses atouts, est placé au centre de cette transformation, au moment où la transition vers une industrie verte s’impose comme une nécessité urgente pour faire face aux défis des changements climatiques. »



Issam Lotfi

Abdellatif El Ouali : l’IA, nouveau moteur du sport marocain

Enfin, l’enseignant-chercheur Abdellatif El Ouali a détaillé le potentiel de l’IA pour révolutionner le sport marocain. Selon lui, cette technologie permet non seulement d’améliorer la performance et l’inclusivité, mais aussi de détecter des talents via des bases de données de profils prometteurs. Il a insisté sur le rôle préventif de l’IA en médecine sportive pour anticiper les blessures, ainsi que sur la nécessité de développer des infrastructures connectées accessibles aux personnes en situation de handicap, afin de promouvoir le Maroc comme destination sportive de premier plan.


« L’intelligence artificielle s’impose progressivement comme un levier stratégique pour le développement du sport au Maroc, tant sur le plan de la performance que de l’inclusion.
L’IA est une technologie qui offre une capacité inédite à améliorer les trois piliers fondamentaux du sport, à savoir la motricité, l’activité physique et la performance.

[…] La technologie IA présente des solutions pour réduire l’écart entre différents pratiquants de sports et fournir des analyses spécifiques à même d’améliorer leur apprentissage et performance sportifs dans un cadre plus inclusif. Aussi, l’intégration des outils d’IA est primordiale en vue de dénicher des talents sportifs au niveau national, à travers la constitution de bases de données de profils dotés de potentiels prometteurs en vue de les orienter vers des disciplines individuelles ou collectives adaptés à leurs talents. 

[…] Sur le plan préventif, l’IA permet d’anticiper, dans le cadre de la médecine du sport, les charges physiques d’entraînement sur les athlètes afin d’éviter les blessures, tout en intégrant une analyse plus fiable des données météorologiques dans la programmation d’événements sportifs, à l’instar de la Coupe du monde des clubs actuellement organisée aux États-Unis.

[…] S’agissant des infrastructures, il serait judicieux de faciliter l’accès aux équipements sportifs connectés, y compris pour les personnes en situation de handicap. Les infrastructures sportives connectées constituent un atout pour promouvoir la destination Maroc en prévision d’événements sportifs d’envergure tels que la Coupe d’Afrique des Nations et la Coupe du Monde ». 



Abdellatif El Ouali

Au fil des interventions, un constat s’impose : qu’il s’agisse de finance, de diplomatie, de sport, d’énergie ou d’industrie, l’IA s’érige en véritable catalyseur de performance et de résilience pour le Maroc. Cette transversalité confirme que la réussite de la stratégie nationale sur l’intelligence artificielle ne peut reposer sur un seul secteur ou ministère : elle exige une synergie intersectorielle, un leadership politique assumé et un engagement constant des acteurs publics et privés pour transformer l’IA en un levier inclusif et durable, à la mesure des ambitions du Royaume.

Meyssoune Belmaza
Meyssoune Belmaza
Directrice de publication

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